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Paris sportif : à quel moment ça dérape ?
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Ça ne vous aura sûrement pas échappé qu’entre l’Euro de football et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris, l’été 2024 sera sportif. Une saison de rêve pour les plateformes de paris en ligne qui vont faire le plein. Avec le risque pour les jeunes recrues d’y perdre santé comme économies.
Les vieilles ficelles font toujours recette
Le loto conserve une longueur d’avance bien que talonné par les paris sportifs. Aussi, dans une période estivale aussi porteuse, les tiroirs-caisses des plateformes de jeux d’argent vont déborder. Et pour s’en assurer, avec des promesses de gains faramineux, les mastodontes du secteur inondent les réseaux sociaux de publicité. Leur cible ? Les jeunes de 18-24 ans qui représentent déjà la moitié des parieurs sportifs en France. Et pour convaincre l’autre moitié, ces opérateurs usent d’une technique éprouvée, celle du « bonus de départ ». Il s’agit d’offrir une somme aux nouvelles recrues pour les aider à franchir le pas. Si les paris se révèlent perdants, et à condition de s’en tenir au seul pécule remis par la plateforme, aucune conséquence fâcheuse pour le joueur débutant. Seulement voilà, à l’instar des drogues, la première dose appelle la suivante qui, cette fois, nécessite d’investir ses propres deniers. Évidemment, là comme ailleurs, il faut compter sur les codes promo et autres offres de parrainage, souvent relayés par les influenceurs, pour assurer une attractivité continue aux jeux d’argent et de hasard. De hasard !, faut-il le rappeler : que l’on soit calé ou non en matière de foot ou de natation, les résultats restent le fruit d’une somme d’impondérables, de la blessure à la météo en passant par la « réussite » au « bon moment ». Si le « sport est une source de vie » selon la formule de Pierre de Coubertin, le rénovateur des Jeux olympiques modernes, le pari est généralement une source de pertes… Financières.
Passer des pertes en profits
L’Autorité nationale des Jeux est formelle. À l’occasion de la Coupe du Monde 2022, 70% des parieurs ont perdu de l’argent. Pire, en alignant les gains en face des mises, on obtient une moyenne qui, sur cette compétition d’envergure, revient à une perte moyenne par parieur de 32€. Autrement dit, une poignée a gagné quand une majorité a perdu. C’est toujours bon à savoir alors que nombreux joueurs pensent que la consultation de pronostics, de statistiques ou la lecture d’articles leur garantit une plus grande maîtrise de leurs mises. Ce biais cognitif, appelé illusion d’expertise, peut pousser certains à jouer gros alors que l’issue reste incertaine. Il n’empêche que 64 % des personnes ayant l'intention de miser pendant l'Euro 2024 pensent que les paris sportifs permettent de s’enrichir. D’ailleurs, les mises se révèlent toujours plus importantes au fil des années pour s'élever à 1 982 €, en moyenne par joueur, pour l’année 2023. Une manne pour des opérateurs qui continuent à prospérer grâce à cette fameuse illusion du gain. En effet, l’anticipation d’une victoire s’intensifie lorsqu'un joueur a l'impression d'être sur le point de gagner. Convaincu qu'il est sur le seuil de rafler la mise, il sera enclin à poursuivre le jeu avec encore plus d'enthousiasme et de mises de fonds. Évidemment, les plateformes de jeux en ligne exploitent cette sensation du « quasi-gain ». Ainsi, un joueur qui parie sur le 17 et voit le 18 surgir, percevra subjectivement qu'il a « quasiment gagné », alors que, objectivement, il a perdu de la même manière que si le 2 était sorti. Sans compter sur le design des applis mobiles qui jouent à fond sur la perte de repères spatio-temporels, en usant de notifications, pour créer une urgence à participer aux évènements sportifs en cours de dénouement.
Endorphine et dopamine, les deux hormones fautives
« Nous disposons, dans notre cerveau, d’un système de récompense qui nous motive à accomplir des actions qui nous permettent de continuer à vivre », explique le psychiatre et addictologue Patrick Bendimerad au cours d'un webinaire proposé par le CIDJ. Lorsqu’on réalise des actions telles que manger, boire ou entretenir des relations affectives, le cerveau libère des endorphines et de la dopamine. Les deux hormones du plaisir. Or, dans le cadre d’une addiction, ce mécanisme physiologique se retrouve piraté : le jeu libère ces deux molécules, de manière plus explosive et intense. Certains joueurs expérimentent même le « big win », une émotion tellement puissante qu’ils vont constamment rechercher à la vivre à nouveau... à travers le jeu. Le psychiatre insiste : « le cerveau du patient addicté ne fonctionne plus comme le cerveau de celui qui ne l’est pas, il y a une altération de sa capacité de contrôle ». L’envie impérieuse de jouer, appelée le « craving », se développe alors et vient se percuter aux valeurs. C’est ce qui explique qu’une personne souffrant d’addiction aux jeux d’argent continuera à jouer même si elle se retrouve en situation de précarité ou d'endettement. Outre les conséquences financières, l’addiction aux jeux sportifs conduit souvent à l’isolement ou à des problèmes familiaux. Selon Santé publique France, certains troubles de la santé mentale se présentent davantage chez les joueurs pathologiques, comme les troubles anxieux ou de l’humeur (4 fois plus concernés) ou les épisodes maniaques (x 8,8). Sans compter sur le tabagisme, la consommation de drogue ou l’abus d’alcool fréquemment associés au jeu compulsif. Environ 370 000 Français seraient concernés par le jeu excessif.
Pour que le jeu ne vire pas au cauchemar
Si vous souhaitez malgré tout parier en ligne, le site Joueurs info services livre quelques conseils pour ne pas se laisser happer. En substance, cela revient à conserver le contrôle. Au niveau des sommes engagées, fixez-vous une limite et respectez-la ; misez uniquement de l’argent dont vous disposez en se gardant évidemment de s’endetter pour jouer. Le site recommande ainsi de tenir un carnet de compte précisant les entrées et sorties. De même, contrôlez le temps que vous passez sur l'application, en utilisant un bloqueur la rendant inaccessible à certains moments de la journée ou après une durée d'utilisation définie par vos soins. Malheureusement, sur Internet, il n’est pas possible de faire comme le joueur forcené, Philippe Bouvard : il s’était fait purement et simplement interdire de casino pendant trois ans, ne pouvant résister à la tentation… Il faut dire qu’il est tombé dedans très jeune. « J’avais 20 ans et […] je suis entré au casino de Deauville. Naturellement, j’ai gagné. La chance est toujours bienveillante avec les débutants. Le virus du jeu m’a agrippé. Il ne m’a plus jamais lâché », se remémorait le journaliste et écrivain, en 2010, dans les colonnes de Paris-Match. Alors, même si la tentation est grande, n’essayez jamais de retrouver l’argent que vous avez perdu. Si vous vous en sentez capable, clôturez vos comptes et supprimez les applications de votre téléphone. Reprenez les activités que vous réalisiez et que vous avez peut-être laissées tomber à cause du jeu, ou trouvez-vous-en d’autres pour retrouver des repères plus sains. Parlez-en à des proches de confiance, appelez Joueurs Info Service ou rendez-vous dans un centre spécialisé dans le traitement des addictions si vous n'arrivez pas à vous en sortir par vous-même. Et Bouvard de conclure : « J’ai pour le jeu un mélange de fascination et de répulsion. Fascination, car c’est un univers tout à fait à part, qui m’a procuré mes plus belles émotions. Répulsion, aussi, car le jeu est un vrai fléau social. Les joueurs les plus frénétiques sont des gens suicidaires. Ils ne jouent pas pour gagner, mais pour perdre. »
Fiona Simoens © CIDJ
Actu mise à jour le 28-06-2024
/ créée le 28-06-2024
Crédit photo : Eddy Billard / Unsplash