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Rester amis après une rupture, un exercice délicat
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Lorsqu’une relation amoureuse prend fin, on éprouve parfois l’envie de conserver un lien avec son ex, mais est-ce une bonne idée ? Pour les psychologues Camille Rochet, Marylise Richard et Saverio Tomasella, il est capital de prendre le temps de digérer la rupture. Rares sont les relations entre ex dépourvues d’ambigüité, alors construire une amitié apparaît compliqué, voire risqué.
Pourquoi vouloir rester ami avec son ex ?
« J’aimerais bien y croire, mais j’y vois plutôt une forme de souffrance ». Pour Camille Rochet, psychologue et thérapeute de couple, l’amitié après une rupture amoureuse semble relever de l’utopie. Et c’est justement cette envie qu’il faut interroger. La psychologue décèle dans cette aspiration la traduction d’une dépendance et d’une difficulté à faire le deuil de la relation passée. « Pour certains, mais c’est plutôt rare, rester amis fonctionne bien, admet Marylise Richard, car il n’existe pas de règle absolue en la matière. » Mais la psychologue, formée à la thérapie familiale et de couple, prévient que « maintenir ce lien à tout prix apparaît comme une façon d’éviter de faire face au vide que provoque inévitablement la rupture ». Tant pour celui qui quitte que pour l’autre. Et c’est bien souvent la peur d’un effacement de soi qui motive les tentatives de perpétuation d’un lien. Histoire de « vérifier » que l’on a bien compté pour l’autre. « C’est très difficile de constater de l’indifférence de la part de l’être que l’on a aimé », reconnait Camille Rochet. D’où l’envie parfois irrépressible de le suivre sur les réseaux sociaux afin de s’assurer que la tristesse de la séparation est partagée ? « Une dérive malsaine », alerte Saverio Tomasella, psychologue et psychanalyste, qui conduit en réalité à surveiller son ex, voire à s’immiscer dans sa vie quitte à critiquer ses nouvelles relations. » Si Camille Rochet estime relativement facile de passer d’une relation d’amitié à une relation amoureuse, les deux y gagnant une dimension supplémentaire, l’inverse n’est pas valable. « Dans ce cas, on retire une dimension au lien, et c’est éprouvant sur le plan psychologique. »
De l’importance de digérer la rupture amoureuse
« Le sentiment amoureux ne disparait pas du jour au lendemain », rappelle Marylise Richard. Et on ne sait pas trop comment composer avec, d’où la tentation de rester proche et de maintenir un lien. » Pourtant, quel que soit le type de rupture – subie ou d’un commun accord – les psychologues invitent à prendre du temps pour soi. De respecter « une période de sevrage pour se déshabituer de la présence quotidienne de l’autre et retrouver son indépendance », affirme Savario Tomasella. Bien que cela n’interdise pas de conserver un lien avec son ex quand il demeure encore des choses à se dire sur la relation ou sur la manière dont la séparation s’est produite. Tout cela participe au " deuil " de l’autre. L’occasion de comprendre ce qui n’a pas fonctionné et d’accepter la rupture : on se s’apporte plus, on ne s’aime plus, on évolue différemment… Et pour s’en parler, Marylise Richard préconise des échanges par téléphone ou par message plutôt qu’au cours de rencontres de visu. Dans ce moment très douloureux et triste, Saverio Tomasella recommande de ne pas occulter ses sentiments quitte à « les exprimer à un ami proche, à un parent, ou dans son journal intime. » Si besoin, la consultation d’un psychologue facilitera le nécessaire processus de mise au point avant d’avancer. Ne pas hésiter à appeler une ligne d’écoute comme Le Fil santé Jeunes (0 800 235 236) ou le numéro national de prévention du suicide (31 14) en cas d’idées noires. Il ne faut jamais rester seul avec sa souffrance. D’ailleurs, Saverio Tomasella appelle à réinvestir à cette occasion son groupe d’amis, à s’engager dans des activités plaisantes, car « la camaraderie et l’amitié apportent aussi de l’affection. »
Un deuil nécessaire, mais à géométrie variable
L’étendue de ce deuil amoureux varie selon la durée de la relation, de son intensité, mais aussi de la nature des éléments du couple. Chacun aura son propre cheminement : « Chez les jeunes, la relation amoureuse s’apparente à une quête fusionnelle, car on rencontre l’autre qui vient nous compléter », relève Marylise Richard. La séparation bouleverse d’autant plus. « À cette étape de leur vie, ils expérimentent leurs premières amours, et réalisent parfois mutuellement qu’ils n’étaient en fait que des amis ». Dans ce cas, rien ne s’opposerait à poursuivre cette amitié. En revanche, certaines situations doivent amener sans tergiverser à sortir son ex de sa vie. En premier lieu, si seulement un des deux nourrit l’espoir de renouer avec la vie du couple désormais désuni. Cela se traduit par une trop grande disponibilité de l’un qui le conduit invariablement à presser l’autre de se (re) voir. Un autre que, sans le savoir, on autorise alors à se venger de quelque chose qui lui aurait déplu pendant la relation. Ou à nous rendre encore plus malheureux en s’affichant avec sa nouvelle relation. Autre cas de figure rédhibitoire, la relation houleuse. Si elle fut compliquée et/ou émaillée de violences, y compris verbales, « il convient de mettre l’autre à distance », exhorte Marylise Richard. Elle encourage même à se faire accompagner par un psychologue si la simple évocation ou le souvenir de la relation provoquent un mal-être. Et parfois pour déterminer si on est, ou a été, victime de violences au sein du couple, il faut s’exprimer sur le tchat Comme on s’aime. Des professionnels répondent de manière anonyme et confidentielle aux interrogations des jeunes sans distinction de genre ou d’orientation sexuelle.
Les frontières troubles d’une amitié entre ex
À ce stade, on peut légitimement se demander si une relation amicale s’avère parfois envisageable après une vie en couple ? « Si les deux ex s’entendent sur l’idée de se fréquenter en tant qu’amis, pourquoi pas », concède Marylise Richard. Et d’ajouter un bémol : « Attention, dans ce genre de situations, on a tendance à ne pas trop évoquer ses ressentis. L’un de deux peut attendre davantage. Il faut être clair avec les intentions des deux parties ». La clé étant l’écoute de soi et de l’autre. « Il faut aussi accepter que ça puisse échouer », prévient la psychologue. Et assumer un nouvel échec. Aussi, « il convient de définir au préalable un cadre à cette relation », poursuit Marylise Richard. D’établir des frontières. On ne se rend plus chez l’un ou l’autre ni dans les familles respectives. On fixe des rendez-vous plutôt en journée. On évite les situations romantiques comme un dîner en tête-à-tête le soir. On prévoit des rencontres plutôt brèves, et pourquoi pas avec d’autres amis. Et une fois rentré chez soi, on s’oblige à une introspection : comment je me suis senti ? C’était sympa, mais est-ce que j’avais envie qu’il ou elle me prenne la main ? Est-ce que je tiens à cette amitié pour ne pas être oublié ? Ai-je pris comme une trahison qu’il-elle me raconte sa vie (sans moi) ? Est-ce que j’éprouve de la jalousie à propos de ses nouvelles amours ? Autant de signaux qui démontrent que l’on n’est pas prêt pour une relation amicale avec son ex. Quant à s’assurer du ressenti de celui-ci ? Cela impliquerait d’en discuter à deux. Avec le risque que l’autre dissimule ses véritables intentions, par calcul, par embarras ou par crainte de se montrer vulnérable. Pas simple.
Embarrassant désir quand tu nous tiens
Quand l’attirance revient chez un des deux, c’est le red flag. Persister dans cette relation pour ne pas blesser son ex, ou s’imposer alors qu’il ne souhaite pas la reprise de la relation amoureuse conduit à coup sûr à des tensions. « L’absence d’ambigüité reste rare. Il faut parfois laisser passer beaucoup de temps (une, deux ou trois années…) après la séparation pour éventuellement nouer une relation amicale », insiste Marylise Richard. Parce que « le corps conserve le souvenir de l’autre et qu’on ne peut pas lui mentir », poursuit Camille Rochet. « Se retrouver dans une proximité physique peut donner envie d’embrasser l’autre ou de refaire l’amour, relève Saverio Tomasella. Il s’agit d’un aspect complexe à gérer. » D’autant plus que la relation amicale avec un ex diffère d’une amitié lambda : le degré d’intimité est plus élevé. Ainsi, on connait les fragilités de son ancien partenaire dévoilées dans le cadre du couple. Sans ambiguïté, « il faut se comporter de manière respectueuse, insiste Saverio Tomasella quand Marylise Richard conseille de « s’abstenir de dire du mal de son ex à ses amis ». A fortiori lorsqu’on partage une sphère commune, comme un groupe d’amis ou un établissement d’enseignement. Et si l’on est obligé de se côtoyer – en cours par exemple – sans rechercher un lien d’amitié ? « On essaie de convenir avec son ex de garder ses distances, d’éviter de se parler ou de s’afficher avec ses nouvelles relations pendant un temps », conseille Camille Rochet.
Frex ou le meilleur des mondes ?
Selon Saverio Tomasella, la culture sentimentale évoluerait depuis une dizaine d’années. Rester amis avec son ex ne serait ainsi plus tabou. Même si les « frex » - contraction de friend et ex – se trouvent plutôt chez les adultes, d’autant plus s’ils ont des enfants communs. Chez les adolescents et jeunes adultes, c’est moins évident. Car, « après la douleur de la rupture, ils vont rencontrer beaucoup d’autres personnes », rassure le psychanalyste. La vie reprend ses droits. C’est d’ailleurs pourquoi l’entretien d’un lien d’amitié entre ex se révèle dangereux, car « il peut empêcher de se projeter sur autre chose », considère Camille Rochet. D’autant qu’en situation assez classique où l’un des deux forme un nouveau couple « cela risque d’être vécu comme un deuxième abandon par celui qui est seul. Sans compter que le nouveau conjoint n’acceptera pas forcément la présence d’un ex. » En matière de sentiment, la naissance d’une relation tout autant que sa conclusion a tout d’un exercice d’équilibriste. Ce qui les rend aussi précaires que précieux.
Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 28-03-2024
/ créé le 28-03-2024
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