- actualité
Christelle, éboueure : portrait d'une reconvertie heureuse
- Secteurs qui recrutent
À 43 ans, Christelle Pastre s’est reconvertie en tant qu’éboueure à la Ville de Paris. Un métier qui la passionne, une branche dans laquelle elle souhaite faire carrière.Dans la rue, elle se trouve souvent confrontée au manque de respect des passants.
Des passants peu reconnaissants
« Tu vois mon chéri, si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras comme la dame. » Cette phrase, Christelle Pastre l’a entendue maintes fois dans la rue aux heures où Paris s'agite. Car, avant, invariablement, à six heures tapantes, l’éboueure -que l'on appelle aussi éboueuse- et son « roule-sac » (le petit chariot comprenant balai, pince et sacs-poubelle) évoluent en solitaire dans une ville encore endormie. D’un geste appliqué, l’éboueuse s’attache alors à ramasser chaque mégot, « le sol étant un immense cendrier » -, des canettes abandonnées et les feuilles mortes de l'automne. Dans sa quête, elle côtoie d’autres lève-tôt, des livreurs, des agents d’entretien et d'autres éboueurs qu'elle salue d'un signe de la main. Les heures passent et sur le coup de huit heures, la vie reprend sur la rue de Rivoli. Les cyclistes s'empressent. Les piétons, les yeux rivés sur leur téléphone, l’évitent tant bien que mal malgré son gilet jaune flamboyant. Les pavés reluisent grâce à cette femme, qui exécute, tous les jours, les mêmes gestes mais « avec le sourire ». L’estomac bien accroché, Christelle ne recule devant rien : ni les rats, ni les pigeons morts, ni les excréments d’animaux ou ceux humains. Cela n'empêche pas pour autant les accidents : quelques jours plus tôt, elle s’est piquée avec une seringue à travers ses gants. Direction « hôpital » pour découvrir qu'il s’agit d’une seringue utilisée par un diabétique, et non par un drogué. Christelle se demande parfois si le cycliste, qui l’a traitée de « connasse » quelques minutes auparavant, a conscience de la réalité de son quotidien : « Je pense que chaque personne qui nous prend de haut devrait vivre une journée dans la peau d’un éboueur. »
Faire carrière à la propreté
Des préjugés, Christelle en était bourrée avant de devenir elle-même éboueure. Elle affirmait haut et fort que « ce n’était pas un métier d’avenir ! ». D'autant que rien ne destinait cette originaire de l’Essonne à exercer un jour cette profession. Vingt ans plus tôt, Christelle n’avait qu’une idée en tête : faire carrière dans la restauration. Serveuse, puis adjointe à la direction, le confinement aura raison de son établissement. Christelle passe alors par la case intérim avant de s’intéresser au concours de propreté de la Ville de Paris. Un de ses meilleurs amis y travaillait et il finit par la convaincre que ce métier est « fait pour elle ». L’oiseau de nuit n’a pas peur des horaires décalés, ni de se lever à 3 heures pour commencer à 5 h 45, et pourtant « je suis sûrement celle qui a le plus de temps de transport pour venir travailler ». À 43 ans, Christelle n’aspire plus au brouhaha entêtant d’une salle de restaurant et apprécie de travailler seule, à son rythme. Les odeurs ? Même pas peur ! Le froid ? « J’ai l’impression d’être immunisée depuis que je travaille dehors ! » En avril 2024, le concours écrit et oral en poche, elle entre à l’école des agents de la propreté. Une douzaine de jours durant lesquels elle apprend à manier son balai, « bien plus lourd qu’un balai de maison » et intègre les priorités (parvis d’écoles et de mairies...) comme les consignes de sécurité. Ses préjugés envolés, Christelle compte bien construire son avenir ici. Elle ambitionne d’abord de devenir conductrice de petits engins de nettoyage, puis technicienne des services opérationnels et enfin agente de maîtrise, soit l’une des « cheffes des chefs » de la propreté.
Une fierté non dissimulée
Il suffit d'interroger des passants pour obtenir toujours la même réponse : aucun d’entre eux n’a jamais vu de femme éboueure. Et pourtant, dans ce monde masculin, la profession se féminise. L’atelier 1/1 de la Ville de Paris, auquel Christelle est rattachée, a été le premier à accueillir des éboueures au début des années 2000. Aujourd’hui, elles sont douze femmes à tenir le flambeau, soit la moitié de l’effectif total. Christelle a conscience que, dans l'imaginaire collectif, elle est loin d'afficher le poids et la taille d’un éboueur classique. Son petit gabarit ne l’a jamais empêchée de se lancer dans une aventure, même s'il est vrai que le décès soudain de son meilleur ami - celui qui l’avait poussé à passer le concours - l'a poussé à se jeter corps et âme dans la profession. Si la fierté d’exercer un métier « utile » a toujours été présent, Christelle enfile aujourd’hui son uniforme « en hommage » à cet ami : « Je suis ses traces, et je pense qu’il serait heureux de me voir réussir ». Une chose est sûre : avec ses 12 000 pas quotidiens, l’éboueure fait l'économie d'un abonnement à une salle de sport. Mieux, en changeant de « canton » tous les matins, c’est-à-dire de « secteur », son quotidien n’a « rien de routinier ». Christelle s’estime même être chanceuse de trouver un sens à son quotidien et recommanderait même à un jeune d'entrer « dans la vie active en tant qu’éboueur. » Sa fille, en formation de pâtissière, ne marche pas encore dans ses pas, mais reste très fière de sa mère. Christelle lui souhaite, un jour, de « finir » comme elle.
perrinebasset © CIDJ
Actu mise à jour le 30/11/2024
/ créée le 30-11-2024
Crédit photo : Caroline Feral Palma - CIDJ