À bon entendeur Quand la musique est bonne… pour la santé

Caroline Féral Palma
Publié le 21-06-2025

En bref

  • La musique est présente dans toutes les cultures depuis la préhistoire, et pourrait même avoir précédé le langage articulé.
  • Elle agit sur la santé mentale et physique, avec des effets bénéfiques prouvés, mais ces effets ne sont pas systématiques.
  • À l’occasion de la Fête de la Musique, cinq spécialistes – chercheurs, musiciens et thérapeutes – reviennent sur les origines de la musique, et ses effets sur le cerveau et les émotions.
Quand la musique est bonne… pour la santé !
La musique agit sur le corps et l'esprit Crédit : Canva

Avant le langage, la musique : une origine préhistorique

Depuis la nuit des temps, l’humanité fait de la musique. Bien avant l’écriture, nos ancêtres fabriquaient déjà des sons. L’archéologue Laurent Davin imagine une scène vieille de 15 000 ans : dans un des tout premiers villages de l’humanité, un adulte chante et mime la parade d’un oiseau pendant que des enfants façonnent des figurines d'argile. « Ce n’était pas qu’un jeu, explique-t-il. Ce moment servait probablement à transmettre un mythe, un savoir ou un rite. » La datation des plus anciens instruments de musique, flûtes en os de vautour ou en ivoire de mammouth, les situe à 40 000 ans. En France, la grotte d’Isturitz a ainsi livré des dizaines de flûtes vieilles de plusieurs millénaires quand la découverte d’autres objets sonores – rhombes, lithophones, racloirs, hochets – témoigne d’une grande diversité musicale. Et encore, ce n’est qu’un fragment de la réalité, car « les instruments en matériaux périssables, comme le bois ou la peau, ont disparu, mais ont bel et bien existé », assure le chercheur. Rituels, chasses, deuils ou fêtes… les fonctions des instruments étaient sans doute multiples. Certains chercheurs pensent même qu’elle a pu précéder la parole, la musique comme le langage partageant bien des similitudes rythmiques, d’intonation et évidemment de transmission d’émotions. « Ces deux modes de communication ont probablement co-évolué », avance Laurent Davin. Dans certaines grottes ornées, comme celles de Portel ou Niaux, les zones disposant de la meilleure acoustique sont aussi les plus décorées. Comme si la musique participait déjà à une forme de mise en scène du monde.

Mais que se passe-t-il dans le cerveau quand on écoute un morceau ? Derrière l’émotion immédiate, le processus se révèle complexe. « Il ne faut pas croire que la musique agit mécaniquement sur le cerveau, comme si les vibrations modifiaient nos neurones », explique Emmanuel Bigand, chercheur au CNRS. C’est un processus subtil : une série de traitements et d’interprétations stimulent un vaste réseau cérébral. À l’écoute de la musique, plusieurs zones du cerveau s’activent ensemble : celles liées à l’audition comme à la mémoire, à la motricité ou aux émotions… « Ces régions se synchronisent, comme des neurones qui échangeraient leurs numéros », métaphorise Bigand. Ce phénomène de plasticité cérébrale renforce les connexions et les capacités cognitives. Autrement dit : la musique entraîne le cerveau. Karol Beffa, compositeur et professeur au Collège de France, souligne que la musique libère dopamine et endorphines. Certaines études montrent qu’elle peut réguler le rythme cardiaque, la respiration et la tension artérielle. Elle aiderait aussi à réduire la douleur ou à récupérer d’un traumatisme. Et pourrait même favoriser l’apprentissage. Emmanuel Bigand évoque un effet de transfert : un enfant qui pratique la musique développe des aptitudes qui facilitent l’apprentissage des mathématiques comme des langues. Une vraie gymnastique mentale quitte à utiliser la « poésie des sons » comme outil thérapeutique ? En milieu hospitalier, la musicothérapeute Salomé Chion accompagne des patients atteints de troubles neurologiques, parfois même en réanimation. « Un geste simple, comme taper sur un tambour, peut devenir une affirmation de vie pour un patient dans le coma », raconte-t-elle.

La musique agit aussi sur notre manière de communiquer et s’inscrit pour certains comme un langage universel. Quelques notes suffisent à faire surgir une émotion, un souvenir, sans besoin de traduction. Le musicien Karol Beffa relate ses concerts tenus à l’étranger où une « connivence immédiate » s’installe entre l’auditoire et les musiciens, alors qu’ils ne parlent pas la même langue. Il se souvient d’une improvisation harmonieuse en Crète avec un joueur de lyre, et ce, après une simple demi-heure de répétition. Pour Salomé Chion aussi, la musique établit des passerelles. Avec des enfants autistes ou des personnes non verbales, elle permet de nouer un lien : « Je joue une note, le patient me répond. On ne parle pas, mais on communique : une relation s’établit. » Ce pouvoir de liaison ne doit rien au hasard. Car, pour Emmanuel Bigand, la musique sert, dans toutes les cultures, à la cohésion, aux rituels et à la régulation émotionnelle. Le compositeur et musicologue David Christoffel nuance néanmoins l’idée convenue que la musique serait une langue commune à toute l’humanité. Ce que l’Occident perçoit comme un langage émotionnel universel n’est parfois qu’un fantasme. L’écoute dépend du contexte culturel, du vécu et de la sensibilité de chacun. « Si vous jouez du Mozart à des Indiens d’Amazonie, ils ne réagiront pas forcément avec enthousiasme », illustre Bigand. Sans compter que certaines personnes ne ressentent tout simplement rien face à la musique. Entre 1 et 4 % de la population mondiale vit avec une amusie congénitale : un trouble neurologique empêchant de percevoir la mélodie ou d’en extraire une émotion. Pour ceux qui en sont atteints, un morceau peut sonner comme un bruit quelconque, ou une langue étrangère.

Et même chez ceux qu’elle émeut, la musique n’est pas toujours une alliée, et au contraire servir à isoler, manipuler, voire à blesser. « Elle a un pouvoir sur le cerveau, souligne Emmanuel Bigand. Comme tout pouvoir, il peut être utilisé à bon ou mauvais escient. » Et de rappeler que la musique a parfois servi à la torture, notamment à Guantanamo, avec la diffusion de morceaux à volume très élevé dans les centres de détention dans le but d’épuiser, de désorienter et de briser les détenus. De quoi provoquer l’ire des artistes impliqués malgré eux (Britney Spears, Eminem ou Metallica) dans l’exécution de ces basses œuvres militaires. Chez certains adolescents, l’écoute répétitive de certains morceaux peut renforcer un mal-être. Et là, « la musique enferme », prévient le chercheur. Répétée à l’excès, une mélodie devient une prison. Aussi, David Christoffel invite à se méfier des discours trop enthousiastes : ce n’est pas la musique en elle-même qui fait du bien ou du mal, mais la relation qu’on entretient avec elle. Un même morceau apaise ou ravive une douleur, selon le moment, le contexte ou la personne. D’ailleurs, en musicothérapie, tout commence par un bilan psychomusical, rappelle Salomé Chion : « On cherche à comprendre la relation que la personne entretient avec le son ». Chaque accompagnement fait l’objet d’un ajustement sur mesure. Christoffel pointe d’ailleurs les limites des playlists « zen » ou « focus » proposées par les plateformes : « Ce ne sont pas des thérapies, mais des promesses marketing. » Agir sur le cerveau, apaiser ou bouleverser les émotions : la musique, ce « bruit qui pense », détient un pouvoir aussi immense qu’ambivalent. La musique est un miroir : celui de notre histoire, de notre culture et de notre état intérieur. Encore faut-il savoir l’écouter.

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