Enquête Le métier de pilote de drone va-t-il décoller un jour ?
En bref
- Prise de vue aérienne, surveillance de bâtiment, suivi de chantier, relevé cartographique de parcelle agricole, voire peut être à l’avenir livraison de colis ou taxis volants sans pilote… L’utilisation des drones se développe et pas que dans le milieu de l’audiovisuel. D’autres secteurs comme le bâtiment, l'agriculture, l’industrie ou la sécurité s’en emparent aussi. Toutefois, le carnet de commandes augmente moins vite que le nombre de télépilotes de drones, qui lui a bondi en un an. Enquête.
A ce jour, 32 300 télépilotes ont suivi une formation pour les vols de loisirs, selon les derniers chiffres de la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Mais qu'en est-il de la filière professionnelle ? Pilote de drone est-il un métier d’avenir ou des turbulences sont-elles à prévoir ?
Plus de 13 600 drones professionnels
D’une centaine d’euros pour les drones de loisirs à plusieurs milliers pour les plus techniques, le marché du drone a fortement évolué ces dernières années. La réglementation aussi, y compris pour les amateurs. Depuis le 1er janvier 2019, il est obligatoire de passer une formation gratuite en ligne de télépilotage pour pouvoir utiliser son drone de loisirs et les engins de plus de 800g doivent désormais être déclarés sur la plateforme publique AlphaTango.
Côté professionnel, du nouveau aussi. "Depuis juillet 2018, un nouvel examen théorique spécifique drone a vu le jour" explique Francis Duruflé, chargé de mission à la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC). L’obtention de ce titre délivré par la DGAC est obligatoire pour exercer. "En 2012 il y avait 50 sociétés, aujourd’hui on compte plus de 7 500 exploitants" remarque de son côté Michel Dufy, secrétaire général de l’Union nationale des exploitants d'aéronefs télépilotés (Unepat). En tout, il y a 13 687 drones à usage professionnels en France, selon les chiffres de la DGAC.
"Une révolution incontournable"
Rares sont les secteurs qui ne se sont pas encore intéressés à cet outil. Que ce soit pour produire des images spectaculaires pour un documentaire télévisé, analyser l’isolation thermique d’un bâtiment, assurer la surveillance d’un événement, mettre en valeur un bien immobilier ou aider des chercheurs à observer les dauphins… "Les potentialités du drone sont infinies constate Michel Dufy. On en découvre sans cesse" ajoute-t-il.
Dans ce domaine, l’imagination est sans limite comme en témoignent les récents tests autour des drones secouristes en montagne, des drones pompiers qui montent une lance d’incendie ou, encore plus futuriste, des taxis drones qui permettront peut-être un jour de se déplacer dans les airs sans pilote.
"Ce n’est pas un effet de mode, c’est une révolution incontournable" commente Vincent Goleau télépilote de drone et formateur. L’engin n’est pourtant pas nouveau. "Le drone est utilisé depuis la seconde guerre mondiale par l’armée mais les équipements étaient très lourds et très chers analyse Francis Duruflé, avec les progrès technologiques, on a vu apparaître dans les années 2010 des drones beaucoup plus légers embarquant des caméras capables de faire des films de qualité" résume-t-il. Equipé de capteurs spécifiques (thermiques, multispectraux, infrarouges...) le drone non-militaire a pu progressivement élargir son champs d'application.
Plus rapide, moins cher et moins risqué
"Pour inspecter un pont ou un monument on était obligé d’utiliser une nacelle ou d’envoyer un hélicoptère avec un photographe technique à bord, aujourd’hui un drone peut le faire beaucoup plus rapidement et à moindre coût" explique Michel Dufy.
"Dans l’audiovisuel on s’en sert pour faire des images aériennes mais aussi, comme c’est très stable, pour remplacer un steadicam (système stabilisateur de prises de vues) ou faire des travelling sans avoir à louer des rails et un camion" constate Cristina Enache, télépilote de drone. Pour en savoir plus sur le pilotage de drone dans le milieu de l'audiovisuel, lire aussi l'interview de Cristina.
Certaines entreprises ont même développé leurs propres solutions en interne. C’est le cas de la SNCF qui a créé Altametris, la filière drone du groupe. "On réfléchissait depuis plusieurs années à des moyens plus simples d’inspecter des infrastructures difficiles d’accès en réduisant les risques humains et sans interrompre la circulation des trains" explique Flavien Viguier, directeur adjoint d’Altametris. Créée en 2017, l'entreprise compte aujourd'hui une douzaine de drones et robots. "On utilise les drones pour déceler la présence de points de corrosion sur les installations ou d’arbres dangereux aux abords de celles-ci, qui pourraient perturber le trafic. Les drones sont également utilisés pour détecter la présence de personnes ou d’animaux ou modéliser en 2D et 3D le réseau ferré" précise Flavien Viguier.
Mais peu d’emplois pérennes dans la filière drones
Le secteur attire de nombreux candidats mais malgré les promesses, les débouchés ne décollent pas. "En pleine structuration, le marché n’est pas encore totalement mature" selon Flavien Viguier. Voire déjà "saturé" pour Francis Duruflé. "Parmi les quelques 7 600 opérateurs drones inscrits à la DGAC, la plupart ont une autre activité à côté" poursuit Michel Dufy.
"L’image d’innovation et de relative accessibilité de la filière drones a créé beaucoup d’envie" observe Flavien Viguier. "On reçoit quotidiennement plusieurs candidatures de télépilotes mais il y a encore peu d’emplois pérennes pour ce type de profil" prévient-il. "Sur 40 personnes, l’équipe ne compte que trois télépilotes de drone. Il s’agit de télépilotes confirmés anciens pilotes de drones militaires ou pilotes d’avion privés, qualifiés pour voler hors vue" précise le directeur adjoint d'Altametris.
"Le drone est un outil, pas un métier"
"On ne demande pas seulement de faire des images, une expertise technique est recherchée par les entreprises" ajoute Michel Dufy. Selon les missions, l'oeil du photographe, la précision d'un pilote d'avion, l'expertise d'un géomètre ou d'un couvreur fait la différence entre deux télépilotes. "Pilote de drone n'est pas un métier" insiste Vincent Goleau. "C’est un atout supplémentaire sur le CV, comme le permis de conduire, mais ce n’est pas suffisant" confirme Francis Duruflé.
D'autant plus que les appareils deviennent de plus en plus faciles à piloter voire carrément autonomes. Un constat que l’actualité ne dément pas : le 4 février 2019 la DGAC a donné à la société Azur Drones son autorisation pour faire voler ses drones autonomes de surveillance, au-dessus de sites sensibles. Pour ce modèle de drone pas besoin de télépilote, le vol est supervisé à distance par un agent sans formation spécifique au télépilotage. Une première en France.
Analyser les données collectées par les drones
Côté conception même constat, les débouchés sont encore timides. Le drone est un concentré de technologie qui fait appel à l’intelligence artificielle (IA), l'électronique, la mécanique des fluides, la puissance embarquée mais là encore les besoins sont limités puisque les sociétés françaises fabricant des drones se comptent sur les doigts de la main.
En revanche, face à la quantité exponentielle de données collectées par les drones sur le terrain, les opportunités sont plutôt à saisir du côté de la transformation et de l'interprétation des données. Chez Altametris par exemple, 80% du personnel travaille dans le traitement de données, l'équipe compte surtout des "titulaires d’un bac pro, d’un BTS, d’un diplôme d’ingénieur, ou d’un doctorat dans les métiers de la data-science, la topographie, la géomatique, le génie-civil ou le génie électrique" conclut Flavien Viguier.
L'interview vidéo de Cristina, pilote de drone.Le nombre de télépilotes a bondi en un an mais les débouchés restent timides. Cristina, elle, travaille principalement dans le milieu de l'audiovisuel :