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Intégrer sans bizuter : ils l’ont fait

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Peu de jeunes savent que le bizutage est punissable de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amendes

Malgré son interdiction pénale votée en 1998, le bizutage étudiant ne se conjugue toujours pas au passé. Selon un récent rapport, un jeune sur dix affirme avoir été victime de bizutage (1 sur 8 dans les grandes écoles). Des initiatives démontrent pourtant qu’une intégration sans humiliation reste possible.

Quand les BDE s’organisent

Olympiades sportives, jeux en piscine, boissons « soft »… Il y a peu, un tel scénario n’aurait pas été envisagé sérieusement pour animer un week-end d’intégration (WEI) d’une grande école parisienne. Et pourtant, ce fut au menu des jeunes recrues de Sciences Po Paris, en septembre 2024. Aux manettes : 22 membres du bureau des élèves (BDE) dont son coprésident, Paul Serre. Fraichement élu, le jeune homme de 21 ans peut se féliciter d’avoir orchestré le plus gros WEI de son école avec 237 participants, soit le double de la fréquentation ordinaire. De son côté, Lucie Fournier s’est chargée d’un week-end d’intégration à l’Université Catholique de l’Ouest (UCO) à Angers en 2022. À l’époque, l’étudiante de deuxième année de biologie motivait les membres de son BDE pour mettre en place cet événement, suspendu depuis plusieurs années. Et ce fut cette fois un week-end « nature » dans un camping. « On a fait de grandes olympiades sportives, avec un ventriglisse, des combats de sumo, un bubblefoot et des soirées », énumère l’étudiante. Au total, une centaine d’élèves se sont joints aux festivités, dont des étudiants de première, deuxième et troisième années. « On voulait que chaque jeune se sente intégré au groupe, en les laissant composer leur équipe et les groupes installés dans les bungalows ». Un moyen d’éviter la traditionnelle rivalité entre les nouveaux arrivés et leurs aînés, soit la première étape du bizutage.

Une méconnaissance du bizutage

Si Paul Serre prend aujourd’hui le sujet très à cœur, il reconnait n’avoir découvert les sanctions pénales - allant jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amendes - qu’à son entrée au BDE. Pour lui, son intégration se résumait à une soirée « de type médecine » dans un champ garni de quelques tentes, où la musique techno se fondait dans un torrent d’alcool.« Je ne savais pas vraiment dans quoi j’atterrissais… À vrai dire, la question de la sécurité ne se posait pas », se rappelle-t-il. Des situations classiques auxquelles Marie-France Henry, présidente du Comité national contre le bizutage, se confronte au quotidien. Lors des ateliers de prévention qu’elle organise dans les universités volontaires, elle constate et déplore une grande méconnaissance du bizutage : « La plupart des jeunes rigolent de faits pourtant répréhensibles et tombant sous le coup de la loi. » Selon le rapport « Derrière les rites étudiants : Enquête sur les événements d’intégration dans l’Enseignement supérieur français », publié en septembre 2024, un étudiant sur quatre ne considère pas le fait de formuler des blagues dégradantes comme du bizutage. Idem pour le fait de forcer autrui à participer à des activités (1 jeune sur 5). Or, sur ce point, Marie-France Henry se montre intransigeante : « Le consentement n’existe pas en matière de bizutage. » Sans qu’il soit question d’interdire toutes soirées d’intégration, la présidente préfère le conseil et l’accompagnement des jeunes organisateurs de WEI pour changer les mentalités : « Lorsque l’on encadre une soirée, il faut rester lucide et sobre du début à la fin. » La présidente encourage les organisateurs à disposer d’un fichier avec le nombre exact d’étudiants, avec leurs noms et coordonnées. « J’ai parfois entendu de bonnes idées, comme le fait qu’un membre encadrant soit réparti dans chaque dortoir collectif afin de veiller à ce qu’il n’y ait pas de débordements la nuit ». Mais la plupart du temps, les membres des BDE ignorent encore qu’ils engagent leur responsabilité pénale en cas d’accidents.

Une responsabilité partagée avec les administrations

Dans le processus de l’organisation de son WEI, le BDE de biologie de l’UCO a présenté le projet à l’administration de l’université et « elle s’est montrée pointilleuse en nous interrogeant sur le lieu, le nombre de participants et le type d’activités proposées afin de s’assurer qu’on soit en sécurité », se souvient Lucie Fournier. Si elle n’a pas bénéficié elle-même d’une formation sur les dangers du bizutage, elle affirme que ses collègues du « bureau rapproché » ont suivi deux journées de prévention. Paul Serre, quant à lui, déplore le manque d’implication de sa propre administration. « Tout le travail mis en place après les témoignages de Sciences-Porcs (ndlr: vague de dénonciations de violences sexuelles dans l'école en 2021) n’a pas été pérennisé. Ainsi, il n’y a plus de référente violences sexistes et sexuelles au sein de l’établissement. » Alors, le jeune homme, et son équipe, ont décidé de prendre les choses en main en s’entourant de deux associations, Nous Toutes et Addiction France, pour leur WEI. De quoi découvrir, au cours de réunions de prévention, des gadgets désormais répandus dans les clubs et discothèques comme la capote de verre, destinée à éviter tout versement de drogue dans son verre par un tiers malveillant. « Et pendant les soirées, nous avons limité à quatre le nombre de tickets de boissons alcoolisées pour chaque étudiant. Un bon moyen de limiter drastiquement les débordements. » Quant à l’équipe encadrante, ce fut l’interdiction pure et simple de toute boisson alcoolisée pendant les rondes. Le co-président, malgré son implication, reconnaît une ombre au tableau : « En contrôlant la consommation d’alcool au niveau du bar, nous n’avons fait que déplacer le problème vers les bungalows, où les jeunes buvaient leurs propres boissons. » Eux n’auront pas testé si la fête avec moins d’alcool est aussi folle. Reste que, en s’en tenant aux plus récentes données de Santé publique France, les alcoolisations ponctuelles importantes (6 verres ou plus en une seule occasion) tendent à diminuer chez les moins de 24 ans. Preuve que les habitudes changent, à la vitesse des mentalités. Lentement, mais sûrement. À Science-Po, le sponsor des WEI d'hier, un soda énergisant souvent associé et ingurgité avec un alcool fort, a ainsi laissé sa place à un distributeur de thé... froid.

Perrine Basset Fériot © CIDJ
Article mis à jour le 20-09-2024 / créé le 18-09-2024