Dyslexie Dys, mais déterminés : comment ces élèves méritants surmontent leurs difficultés ?

Laura El Feky
Publié le 10-01-2025

En bref

  • En France, les troubles dys, comme la dyslexie ou la dyspraxie, concerneraient en moyenne 2 enfants par classe, bénéficiant aujourd'hui d'une meilleure reconnaissance et d'un suivi adapté.
  • Malgré une meilleure compréhension médicale, les familles continuent de rencontrer des obstacles dans le parcours de diagnostic et de suivi.
  • Les principaux défis restent les longs délais de rendez-vous médicaux, l'avance des frais et des adaptations scolaires encore trop limitées.
Troubles dys
Les troubles neurodéveloppementaux (TND) se manifestent rarement seuls : dans 50% des cas, ils s'accompagnent d'un second TND, explique l'orthophoniste Marie Plaziat-Lecroq. Crédit : Wildpixel / iStock

Dyslexie, dyscalculie, dyspraxie… qu’est-ce que c’est ?

Imaginez un monde où les lettres dansent et se confondent. Un « p » se métamorphose en « q », un « b » en « d ». Les sons se brouillent, les homophones deviennent des pièges. Et les mots ? Un puzzle désordonné. En classe, pendant que les camarades progressent à grands pas, les élèves atteints de troubles dys luttent pour déchiffrer, compter, écrire, coordonner leurs gestes et se concentrer. À la maison, les devoirs tournent au conflit. Une source de frustration pour toute la famille. Pourtant, ces jeunes ne manquent pas de capacités, bien qu’ils souffrent de maux peu visibles que l’on résume par les troubles dys. « Dans le domaine du soin, nous parlons de troubles neuro-développementaux (TND), précise d’emblée Marie Plaziat-Lecroq, orthophoniste et membre de la commission prévention et promotion de la santé de la fédération nationale des orthophonistes (FNO). Ces troubles, qui affectent le développement cérébral, ont des répercussions sur la vie scolaire, sociale et familiale. Ils englobent les troubles spécifiques des apprentissages incluant des difficultés en lecture (dyslexie), en expression écrite (dysorthographie) ou en mathématiques (dyscalculie) mais aussi le trouble d’acquisition des coordinations (anciennement dyspraxie) ainsi que les troubles du spectre autistique, les troubles du langage ou le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ».

La dyslexie, l'un des troubles dys les plus courants, est généralement diagnostiquée vers l'âge de 6 ou 7 ans, même s’il n’est pas rare que les cas légers passent inaperçus des années durant. Et cette étudiante en première année d'histoire de l'art et d’archéologie à la Sorbonne, diagnostiquée sur le tard, en a fait les frais. « Les professeurs m'avaient toujours dit de faire attention à l'orthographe, mais j'avais déjà l'impression de faire de mon mieux », se souvient Eden. Enfant, elle peinait à distinguer certains mots à l'écrit, comme "lion" et "loin", mais elle compensait en essayant de déduire le sens à partir du contexte de la phrase. Ce n'est qu'à la rentrée en seconde, suite à une évaluation, que sa professeure de français lui suggère de consulter une orthophoniste, ouvrant enfin la voie à un diagnostic et à une prise en charge adaptée. La dyslexie pure, caractérisée par des difficultés en langage écrit sans trouble de la compréhension orale, est relativement rare. L’orthophoniste Marie Plaziat-Lecroq précise que « 50% des troubles neuro-développementaux (TND) sont associés à un deuxième TND. Des recherches internationales ont mis en évidence l'implication de plusieurs dizaines de gènes dans les compétences en lecture ». L’hérédité jouant un rôle important, les orthophonistes s’intéressent à l’historique familial lors des bilans. Cependant, il n’existe pas « un seul gène de la dyslexie » mais plutôt un ensemble de variations génétiques. Cette complexité génétique explique pourquoi les troubles dys se manifestent souvent ensemble et pourquoi leurs symptômes varient d’une personne à l’autre.

Bien que ces troubles soient durables, le diagnostic posé par un orthophoniste est souvent vécu comme un soulagement, marquant le début d'une prise en charge sur mesure. « Tous les enfants progressent, quel que soit leur niveau initial », affirme Marie Plaziat-Lecroq. Eden, suivie tout au long de son lycée à raison d'une séance hebdomadaire d'une heure, témoigne de progrès significatifs dès les premiers mois : « J’ai vu la différence et puis ça me faisait du bien d’y aller, c’était un cadre différent de l’école, on est là pour apprendre, mais sans la pression scolaire », confie-t-elle. En effet, l’objectif poursuivi par les professionnels vise à rendre autonomes, les enfants et les adolescents. Et pour susciter leur intérêt et maintenir leur motivation, les ressources de nature diverse sont exploitées. Cela passe par la « lecture du mode d'emploi de leur montre connectée, le déchiffrage de posts Instagram d’Hugo Décrypte, l’analyse des paroles de chansons, détaille l’orthophoniste. On leur donne des moyens mnémotechniques adaptés à leur façon d'apprendre et on leur propose des compensations ». Mais malgré les progrès réalisés, le trouble demeure une réalité permanente contre laquelle il faut lutter. Ainsi, dans des situations de stress ou de fatigue, les difficultés resurgissent sans crier gare. C'est pourquoi les professionnels insistent sur l'importance d'un repérage et d'une prise en charge précoces pour maximiser l'efficacité de l'accompagnement. À condition toutefois de disposer d’un rendez-vous avec un spécialiste. Or, en la matière, les délais se révèlent souvent incompatibles avec une prise en charge rapide. 

Le chemin des personnes atteintes de troubles dys relève du chemin de croix, comme le rappelle Elvire Cassan, journaliste, autrice de L’Odyssée des dys et mère d'une enfant de neuf ans multi-dys. Le premier obstacle majeur demeure l'accès aux soins. Ainsi, Aya*, 47 ans, dyslexique et mère d'un enfant de 14 ans également atteint de dyslexie, déclare qu’il faut attendre « environ un an » pour obtenir une première consultation, ce qui entraîne, mécaniquement, « une année scolaire perdue ». S'ensuit ensuite un marathon de rendez-vous médicaux et paramédicaux. « Quand il y a d'autres TND associés, les enfants se retrouvent avec des agendas de ministre car ils ont souvent plusieurs soins chez plusieurs professionnels de santé », reconnaît l’orthophoniste. La coordination des soins devient essentielle pour éviter une surcharge. Tout comme la nécessité de faire « des pauses thérapeutiques quand cela s’avère nécessaire ». Angle mort des thérapies, leur coût pèse lourdement sur les familles : si l'orthophonie est en partie prise en charge par l’Assurance maladie, d'autres séances comme l'ergothérapie ou la psychomotricité ne le sont pas. Résultat, « le reste à charge pour les familles oscille entre 500 et 600 euros par mois », calcule Elvire Cassan. Certes, la reconnaissance du handicap via la maison départementale des personnes handicapées, la MDPH, garantit, dans certains cas, une aide financière, mais au prix de la réalisation d’un dossier complexe et chronophage. Pourtant, cette étape s'avère nécessaire, ne serait-ce que pour bénéficier d'un projet personnalisé de scolarisation (PPS) avec des aménagements scolaires adaptés. Même si, dans les faits, à l’école, c'est souvent « la roulette russe, chaque année », déplore Elvire Cassan. À chaque rentrée, cela nécessite pour les parents de nouvelles explications et négociations avec les enseignants. À l’université, la lutte continue. Eden, étudiante, a dû batailler pour obtenir des aménagements à la Sorbonne. Et malgré ses efforts, certains cours restent sans preneur de notes, il ne reste alors plus qu’à compter sur la solidarité de ses camarades.
 

Focus

Des actes en accès direct, sans prescription médicale

L'orthophoniste joue un rôle crucial dans le dépistage, le diagnostic et la prise en charge des troubles du langage et de la communication. Traditionnellement, l'accès aux soins orthophoniques passe par une prescription de bilan orthophonique par le médecin traitant. Cependant, depuis 2023, les orthophonistes qui exercent dans certaines structures (centres de santé, MSP…) ont la possibilité de réaliser des actes en accès direct.
 

Si les aménagements pour les troubles dys progressent, ils demeurent insuffisants. Aux examens, certains élèves bénéficient d'un temps supplémentaire pour relire leur copie. L'utilisation en classe d'outils technologiques comme les logiciels de dictée vocale ou les stylos scanners s'avère précieuse, mais leur acceptation par le corps enseignant dépend de son ouverture d'esprit. Ainsi, si l’orthopédagogie se révèle répandue au Québec, cette science de l’éducation est rare en France. Géraldine Loty, ancienne professeure des écoles, devenue orthopédagogue, résume la méthode d’une phrase : « Il s’agit d’observer ce qui gêne l'enfant dans son apprentissage pour lui proposer une adaptation adéquate ». Cependant, la journaliste Elvire Cassan regrette que l'adaptation soit principalement à la charge des enfants, sans remise en question de la pédagogie générale. Pourtant, des mesures simples comme « l'utilisation d'une police Arial 12, avec un interligne de 1,5, ou la lecture à voix haute des leçons par l'enseignant profiteraient à tous les élèves, et pas seulement à ceux atteints de troubles dys » suggère-t-elle. Et plus tard, dans le monde professionnel, le sujet reste tabou. Aya*, autrefois responsable d'une boutique de chaussures, reconnaît avoir longtemps dû dissimuler ses difficultés d'écriture au travail. Ce n’est que récemment qu’elle commence à en parler plus ouvertement. 
 

« Au début de ma carrière, les parents qui accompagnaient leurs enfants se reconnaissaient souvent dans le diagnostic posé, souligne l’orthophoniste chevronnée. Ils n'avaient pas été diagnostiqués eux-mêmes, bien qu’ayant toujours eu des difficultés. Simplement, à leur époque, ils étaient considérés comme des mauvais élèves. » Aujourd'hui, la situation s'est améliorée : « Les médecins et les enseignants sont formés aux signes d'alerte et ont aujourd’hui accès à des outils de repérage de ces enfants » explique la professionnelle. Mais on doit faire mieux. Elvire Cassan observe ainsi que « les personnes [qu’elle a] rencontrées, qu'elles aient 10, 20, 40 ou 60 ans, expriment toutes des difficultés quotidiennes similaires. Il y a eu beaucoup d'effets d'annonce, mais concrètement, peu de choses ont réellement évolué ». Ainsi, l’école n'est toujours pas adaptée, avec des aménagements fréquemment bafoués. « On a ce sentiment d'imposture qui persiste » confie Aya*. L’orthophoniste confirme : « Ils ne sont pas dupes, même les plus jeunes. Ils voient bien que les autres vont plus vite, donc l'estime de soi est souvent mise à mal ». Face à ces défis, les professionnels encouragent les jeunes à croire en eux, bien conscients des efforts supplémentaires qui leur incombent : « Ils travaillent deux fois plus à la maison pour obtenir la moitié de la note. C'est plus dur pour eux, et ils sont aussi bien plus fatigués ». Et pourtant, une note n’intègre pas la ténacité et la détermination qu’il faut à certains pour concourir avec les autres. Plus que de l’égalité, un effort d’équité serait certainement apprécié par les dys. 

 

* le prénom a été modifié à la demande de lintéressée.
 

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