Comment tu parles ? Julien Barret, linguiste : "Dans le vocabulaire des jeunes, on retrouve des mots de l’ancien français"

Perrine Basset Fériot
Publié le 11-02-2025

En bref

  • En résidence à l’université Sorbonne Paris Nord, Julien Barret répertorie les nouvelles expressions des jeunes.
  • Après un premier livre en collaboration avec des lycéens, le linguiste capte la parole des étudiants à travers son podcast « Apprends les bails ».
  • En décortiquant ces expressions, il cherche l’origine de ces nouveaux mots.
Julien Barret est linguiste et réalisateur du podcast Apprends les bails.
Pendant six mois, Julien Barret, en résidence à l'université Sorbonne Paris Nord, invite les jeunes à parler à son micro avec leurs propres mots. Crédit : Julien Barret

En s'intéressant aux vocables utilisés par les jeunes, souvent emprunts d'argot, peut-on réellement parler de nouveaux mots ?

À l’origine, la construction de la langue française telle qu’on la connaît aujourd’hui a été voulue par Jules Ferry. Pour uniformiser le langage, il a obligé les maîtres et les maîtresses à cesser d’utiliser leurs langues d’origine, comme l’occitan, l’alsacien, le breton… Aujourd’hui, notre lexique continue de se renouveler, notamment via des emprunts aux autres langues comme l’anglais, l’arabe, l’antillais, mais aussi en puisant dans les argots africains comme le nouchi et le camfranglais. Dans le vocabulaire des jeunes, on retrouve aussi des mots de l’ancien français, comme « darons/daronnes », des sigles, des acronymes, des troncations avec des mots coupés comme « déter », pour « déterminé ». À l’université de Villetaneuse, il y a une grande mixité avec des jeunes ayant grandi dans le 93 ou en Île-de-France, et des étudiants nés à l’étranger. Lors de mes dernières interviews, j’ai rencontré une jeune venue de Madagascar et un jeune arrivé des Comores. Je pensais dans un premier temps qu’ils découvriraient les nouveaux mots que je leur présentais, alors que non, certains leur étaient familiers. La force de la langue vient aussi de cette rapidité à évoluer. Les étudiants le racontent : dans une conversation entre amis, quelqu’un peut faire une faute ou détourner un mot. Puis, via les réseaux sociaux, cette nouvelle expression va devenir une tendance et va se diffuser à grande échelle.

...le podcast est, d’après moi, la meilleure forme pour mettre en valeur l’art oratoire. Il y a quelques années, j’avais déjà eu l’occasion de réaliser quelques épisodes, notamment pour le studio Majelan, sur des ateliers d’art oratoire. Avec l’audio, j’ai la possibilité d’aller plus loin dans mon projet « Apprends les bails » : comment le mot se prononce ? Avec quelle sonorité ? Quelle atmosphère ressort des paroles des jeunes ? Étant en résidence pendant six mois à l'université Paris Sorbonne Nord, j'ai la chance de pouvoir prendre le temps de me balader dans les couloirs et d’aller à la rencontre des étudiants. J'ai envie de donner à entendre les voix des principaux concernés et de leur permettre d'être acteur de ce projet. Au fil des interviews, je me suis confronté à une résistance des jeunes qui ne souhaitent pas être filmés. C'est dommage, la vidéo aurait été le bon format, car l’art oratoire passe aussi par l’image : le corps reste un élément essentiel à la prise de parole. Je souhaitais aussi que le projet final de cette résidence puisse s'inscrire dans le temps, en privilégiant le podcast plutôt qu'une conférence ou des ateliers par exemple, et que les jeunes puissent s’en emparer.

Aller à leur rencontre m’a semblé être la démarche la plus évidente, la plus naturelle. J’aurais pu les contacter via les réseaux sociaux ou par téléphone, mais je souhaitais ancrer leurs réponses dans le lieu qui les entoure : l’université. Comme disent les jeunes, j’avais envie d’être « dans le vrai ». Aller sur le terrain est une méthode empirique chez les linguistes. À chaque fois que quelqu’un parle, il parle d’un endroit donné, selon son époque, son genre, son âge… À Saint-Denis, il y a une culture orale très présente, avec le rap, le stand-up, la rue… En interviewant les jeunes, je leur demande un exercice assez complexe : définir les mots qu’ils utilisent au quotidien est loin d’être facile. Certaines expressions, issues des réseaux sociaux, ont été déformées au fil des conversations et on ne retrouve pas toujours l’origine exacte. Je leur demande aussi de changer de registre de langues, en traduisant leur argot dans un discours plus soutenu.

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