Enquête Les 13-25 ans et la presse : comment consomment-ils l'actualité ?

Odile Gnanaprégassame Odile Gnanaprégassame
Publié le 20-03-2019

En bref

  • En tant que collégien, lycéen ou étudiant, vous êtes confronté à une masse de contenus liés à l'actualité. À la rédaction du Cidj nous avons voulu savoir s'il est facile de faire le tri et si les formats de la presse sont adaptés aux 13-25 ans. Des adolescents et des journalistes nous ont répondu. Vous reconnaîtrez-vous dans leurs propos ?
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Les 13-25 ans et la presse : comment consomment-ils l'actualité ? Crédit : Cidj

La lecture d'un article paru dans Le Parisien, retraçant le parcours de son père de son pays natal à la France, a donné le goût de l’information à Chaka. « J'ai trouvé que les propos de mon père ont été retranscris fidèlement par le journaliste », confie le collégien. Depuis, il est un lecteur régulier de ce journal, essentiellement dans sa version en ligne. 74 % des 15-19 ans – les "millennial" – utilisent tous les jours ou presque leur smartphone pour s’informer, d’après une étude du ministère de la Culture*. Comment perçoivent-ils l’information ? La presse traditionnelle est-elle adaptée pour eux ? Éléments de réponse avec des collégiens, des étudiants et des journalistes spécialisés dans la presse d'information destinée aux préadolescents et adolescents.

C’est un phénomène presque instinctif auquel les jeunes n'échappent pas : plus l’information est proche d'eux, plus ils s’y intéressent. Après une année inachevée en fac de psycho, Léa, 19 ans, cumule trois emplois pour gagner à peine plus d’un Smic. Elle expérimente les réalités du monde économique et les difficultés financières. L’actualité autour des gilets jaunes attise naturellement sa curiosité. En lisant Le Parisien, Chaka aime suivre ce qui se passe dans sa ville. Il déplore cependant que les évènements positifs ne soient pas assez mis en avant comme le tournoi de foot inter-quartier par exemple. Ce qu’il apprécie dans le format écrit ? « Le suspens de découvrir l’histoire au fur et à mesure de la lecture ». Noémie, 20 ans, en prépa littéraire, lit la presse internationale et économique, notamment le New-York Times et The Economist, pour se préparer aux concours d’entrée à l’école normale supérieure et en école de commerce.

De manière générale, les jeunes interrogés aiment se tenir au courant de l’actualité nationale et internationale, sans pour autant prendre connaissance de toute l’actualité. Les fils d’information des réseaux sociaux et des moteurs de recherche constituent le principal canal par lequel ces jeunes s’informent. « Je consulte une ou deux fois par semaine le fil d’actualités sur mon ordinateur », confirme Zerda, en 4e. C’est aussi le cas de Bilel, dans la même classe, qui relève que « le sujet des gilets jaunes est très présent dans les journaux ». Les chaînes d’information en continu comme BFM TV sont beaucoup regardées aussi, constatent les journalistes Cécile Bourgneuf, co-fondatrice du P’tit Libé et Aline Leclerc, journaliste au quotidien Le Monde. Côté réseaux sociaux, Instagram semble avoir pris une longueur d’avance auprès des 13-25 ans, et nombre de médias y sont présents. « On tease nos articles avec une belle photo et un texte, et on renvoie vers notre site », explique Marion Gillot, rédactrice en chef du magazine Le Monde des ados. « Il y a tout sur Instagram, quand je tombe sur un sujet qui m’intéresse, je vais aller consulter l’article sur le site du journal », affirme Hana. Elle dit avoir saturé de Facebook, même si elle y a apprécié les vidéos sous-titrées qu'on peut visionner sans le son.

Ce sont justement les vidéos qui remportent beaucoup de succès chez les adolescents et les étudiants. « C’est plus attractif qu’un contenu écrit », reconnaît Hana qui regarde notamment des vidéos conçues par Brut, média créé en 2016 qui diffuse surtout sur les réseaux sociaux. « L’image a un poids important chez les jeunes, analyse Marion Gillot. Les vidéos de Brut sont plutôt bien faites, elles emmènent les jeunes vers l'info. Ces derniers ne doivent pas s’en contenter mais essayer de faire des liens avec d’autres formats qui traitent du même sujet ».

« Les adolescents perçoivent bien la différence de traitement de l’information selon les médias, remarque Cécile Bourgneuf. Ils se méfient, remettent en cause et ce n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais il ne faut pas tomber dans l’excès et le complotisme ». Noémie trouve gênant que l’information soit traitée de « manière subjective et pas toujours limpide ». Zerda raconte avoir lu un jour une information étonnante sur Internet concernant le comportement d’un président étranger. « J’ai cherché à connaître la source, mais je ne l’ai pas trouvée. Je me suis alors dit que c’était douteux ». Léa considère que « BFM TV ne reflète pas la réalité »,  elle fait plutôt confiance aux grands journaux : « il y a plus de détails, on comprend mieux, mais ça ne veut pas dire forcément que tout ce qu'ils publient est vrai. Si besoin, je recoupe avec d’autres sources ».

Aline Leclerc estime que « l’accès à un foisonnement d’informations incite les jeunes à se poser des questions, souvent de bonnes questions ». Cette journaliste du Monde participe aussi à un média original, le Live Magazine dont le concept est le suivant : des journalistes montent sur scène dans une salle de spectacle pour raconter une histoire vraie à partir de leur travail. « On s’est rendu compte que ce format plaît aux jeunes car il propose des histoires bien écrites, bien racontées et incarnées », détaille sa fondatrice, Florence Martin-Kessler. Elle a mis en place avec Hélène Kuhnmunch, professeur en lycée, également cinéaste, un dispositif d’éducation aux médias, le Live Mag Académie. Des collégiens et lycéens sont invités à venir voir le spectacle avec leur classe. Puis, à leur tour ils accueillent l'un des journalistes pour un échange autour du spectacle, des médias et du métier de journaliste. C'est ainsi qu'Aline Leclerc a rencontré la classe de 4e de Chaka, Bilel, Zerda et Izem. « On a beaucoup aimé l’histoire qu’elle a raconté durant le spectacle », confie Bilel. « Elle se passe dans un quartier où la vie est difficile pour les habitants », poursuit Chaka. La présence d’une classe de 3e n’ayant pas vu le spectacle a permis aux élèves de 4e d'aller au-delà des questions préparées en amont, favorisant ainsi la spontanéité de l'échange. Ils ont interpellé la journaliste sur l’appartenance des grands médias à de grands groupes privés mais aussi sur les différences entre une chaîne d’info en continu telle que BFM TV et Le Monde.

« Je leur ai expliqué notre façon de travailler, les contraintes auxquelles nous sommes confrontés dans l’exercice de notre métier. Une chaîne d’info travaille dans une temporalité qui n’est pas la même dans un journal écrit qui bénéficie de plus de recul avant de délivrer l’information. De plus, je ne leur cache pas que même si j’aime mon travail, il m’arrive de douter et de me remettre en question », raconte Aline Leclerc. Elle poursuit : « C’est notre rôle en tant que journaliste d’aider les jeunes à aiguiser leur esprit critique pour qu’ils forgent leur propre opinion ». Cette rencontre a été très appréciée par les élèves rapporte leur professeure Zoé Lerouge. « J’ai appris des choses sur le travail de journaliste, déclare Izem. Assister au spectacle m’a donné envie de m’informer plus ». La dernière étape du Live Mag Académie consiste à produire une chronique sur le spectacle pour la présenter à un concours auquel participent d’autres établissements. « L’année dernière, c’est une classe de bac pro qui a remporté le prix », dévoile Hélène Kuhnmunch.

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Marion Gillot et Cécile Bourgneuf, qui écrivent dans des publications destinées aux préadolescents et adolescents, estiment elles aussi que l’éducation aux médias fait partie de leur travail quotidien de journaliste. Les deux rédactions reçoivent régulièrement les lecteurs et des publics scolaires pour leur faire découvrir le processus de fabrication de leur journal respectif. « Il y a peu de contenus fiables sur Internet pour les 8-13 ans, déplore Cécile Bourgneuf, co-fondatrice du P’tit Libé, en ligne chaque vendredi. « Nous donnons à nos lecteurs des clés pour comprendre un sujet d’actualité que nous décryptons avec le même professionnalisme que nous avions en tant que journaliste à Libération, explique-t-elle. Ce qui change, c’est le travail de réécriture pour adapter aux jeunes lecteurs ». Le plus du P’tit Libé ? Installé dans la rédaction de Libération, il bénéficie de l'expertise de journalistes spécialisés du quotidien ainsi que celle des correspondants à l'étranger ; il est d’ailleurs relu par un éditeur du quotidien. Disponible sur abonnement, il est aussi diffusé dans les établissements scolaires.

Le Monde des ados est « co-construit avec ses lecteurs qui ont entre 10 et 15 ans, ce qui en fait l'un de ses points forts », affirme Marion Gillot, rédactrice en chef du bimensuel. Un pool de reporters volontaires est constitué en début d’année pour participer à la conception du magazine d'info. « Par exemple, un lecteur accompagné d’un journaliste de la rédaction a réalisé à Monaco une interview de Didier Deschamps », relate la journaliste. « Nous avons aussi une rubrique dans laquelle les lecteurs posent des questions et d’autres peuvent y répondre ». Depuis 2016, un site Internet complémentaire au magazine est accessible à tous s'ouvrant ainsi à un lectorat qui n'est pas abonné à la version papier. Au cours de sa conception, Le P’tit Libé fait aussi intervenir régulièrement un lecteur qui se porte volontaire pour relire le journal avant sa finalisation. « Il nous dit quand ce n’est pas clair ou trop long à lire et on retravaille le rédactionnel », précise Cécile Bourgneuf.

Ces deux journaux trouvent leur public car ils rendent l’information accessible aux préadolescents et adolescents. Le P'tit Libé a choisi de traiter uniquement un sujet d'actualité par édition, cette semaine l'affaire Benalla, tandis que Le Monde des ados, en plus de l'actualité, traite de sujets spécifiques à la tranche d'âge de ses lecteurs, avec dans le dernier numéro par exemple un dossier "La peau et ses petits tracas".

« Si l'on veut que les 16 /17 ans et plus continuent de lire l’information, il faudrait que les journaux produisent des formats adaptés et plus pédagogiques. Parfois, il est indispensable de revenir à la base pour parler d’un sujet compliqué comme celui des lobbystes par exemple, même quand on est un grand titre de presse. Enfin, il faut impliquer davantage les jeunes. Sur un sujet comme le climat, leur donner la parole peut inciter un jeune lecteur à lire tout le dossier consacré à ce sujet », conclut Marion Gillot.

*Les jeunes et l’information, 2018.

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