Espionnage : 5 choses méconnues à savoir sur la formation d'agent secret

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Une agente de l'unité clandestine de la DGSE

Habituellement cachée, la vie clandestine des espions se dévoile dans un documentaire inédit diffusé sur France TV. On y découvre les coulisses des services secrets français, une institution qui recrute, chaque année, environ un millier de candidats ainsi que des stagiaires et des apprentis. Mais c'est au prix d'une formation intense et rigoureuse.

Ne les appelez pas espions, mais officiers traitants

Obtenir des informations confidentielles. Au-delà de cette quête incessante, le mystère demeure entier autour du métier hors du commun d’agent secret. En cela, le documentaire DGSE : la fabrique des agents secrets de Théo Ivanez et Jean-Christophe Notin, adapté du livre éponyme publié aux Éditions Taillandier, dévoilant les coulisses de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), se révèle précieux. Par le recueil de nombreux témoignages (anonymes, bien sûr) d’agents secrets, ce film, accessible gratuitement sur la plateforme France TV distille de nombreuses informations à même de lever le voile sur une profession discrète. En guise de préambule, le spectateur apprendra qu'on ne dit pas « espion » ou « agent secret », mais « officier traitant ». C'est moins glamour sur le papier, mais tout aussi risqué sur le terrain. « Un officier traitant [...] recueille du renseignement à partir d’une source humaine en l’amenant à transgresser un interdit et nous dire ce qu’il ne devrait pas nous dire » explique, face caméra et visage flouté, un certain Franck, expert en renseignement humain. Et de révéler que pour parvenir à ses fins, et inciter des sources à trahir leur secret, un espion utilise la méthode du MICE : Money (l’appât du gain), Ideology (l’idéologie), Compromise (chantage), Ego (donner de l’attention et un sentiment d’importance à la source). Et, comme tout, cela s’apprend. Pas sur les bancs de l'école, mais presque.

Une formation continue tout au long de la vie d'un espion

« Quand vous entrez à la DGSE, des formations permettent rapidement d'intégrer votre service et de remplir la mission », précise Lionel, directeur de l’administration. Si les premières affectations se situent à Paris ou en région parisienne, en fonction du poste, la réalisation de missions à l’étranger devient possible. Toutefois, pour devenir véritablement un officier traitant espion, un autre stage de plusieurs mois s'impose. Le début d'un long parcours de formations distillées tout au long de la carrière. Une douzaine par an, précise la DGSE. Mais au-delà du savoir-faire, le métier requiert surtout du savoir-être. « On veut des gens extrêmement disciplinés, mais capables d’initiatives. On veut des autonomes, pas des indépendants. Des audacieux, pas des chiens fous. Des gens rigoureux, pas des rigides. Des créatifs, pas des fantasques, déroule méthodiquement Franck, expert en renseignement humain. Tout est affaire de positionnement de curseur ». Malgré ces exigences, les services secrets ne recherchent pas pour autant un seul et unique profil d’agent.

Un métier de terrain associé à beaucoup de paperasse

En tout, la DGSE compte 300 métiers répartis en huit spécialités : le renseignement, le cyber, les sciences et technologies, les langues étrangères, l’administration générale, les affaires immobilières, le soutien et la logistique et enfin la sécurité et la protection. Chaque année, la direction recrute environ 1 000 personnes en CDI ou en CDD de trois ans renouvelable une fois (avec proposition de CDI au bout de six ans). Mais rien n'empêche de rejoindre les services secrets par le biais d'un stage de plusieurs mois en Master 2 ou en fin de cursus ingénieur. Dans tous les cas, la procédure de recrutement s'avère longue et s'étend sur une période de 4 à 6 mois. Comme l'environnement de travail et les informations qui circulent sont particulièrement sensibles, les candidats se trouvent soumis à des tests psychologiques et de sécurité, prévient la DGSE. Aussi, pour intégrer leur rang, il faut se tenir prêt à changer de vie : une fois recruté, votre métier actuel ou celui pour lequel vous vous formez ne sera plus qu’une couverture. Votre « vrai métier sera clandestin et au service de la DGSE » explique un des témoins du documentaire. Si les hommes et les femmes qui s'expriment à visage caché et voix trafiquée par IA, ont emprunté des chemins différents pour rejoindre la DGSE, tous partagent une même cause. Celle de servir la France, au prix d'aventures et d'actions, tout en composant avec une réalité bureaucratique.

Permis de (ne pas) tuer

Le documentaire souligne l'importance pour un agent secret de faire preuve d'inventivité, et ce, dès sa formation. L'un des exercices auquel se prête un stagiaire consiste à aborder un client dans un bar et à engager la conversation avec lui. Si son argumentaire fonctionne, la jeune recrue parviendra à mettre sa cible en confiance pour obtenir tout naturellement ses coordonnées. Ainsi, un bon espion use de son intelligence pour parvenir à ses fins, n’usant de la force physique qu'en dernier recours. C'est pourquoi la formation comprend aussi des stages de tir sur différents types d’armes, comme les armes de poing et les armes d’assaut, mais aussi un apprentissage des techniques de combat à main nue, accessibles à tous. Objectif :  protéger son pays et ses concitoyens, tout en assurant leur propre survie. Le mémorial en hommage aux agents décédés en mission, présenté dans le documentaire, rappelle toutefois la réalité du danger. « Notre mission n’est pas de tuer, mais de collecter du renseignement » précise l’un d’eux. L’usage de la force n’est envisagé qu’en cas de situation extrême, notamment si l’agent est découvert.

Un bon agent est un caméléon 

Pour se fondre dans la masse et ne pas éveiller les soupçons, il s'agit de se fondre dans le décor. Soit de « réaliser des gestes opérationnels dans une vie normale, et c’est cela l’avenir du renseignement », explique dans le reportage Bernard Emié, ancien directeur général de la sécurité extérieure de 2017 à 2024. Concrètement, un espion en mission à l’étranger utilise une identité fictive avec un faux nom, un faux passé et un faux métier créé de toutes pièces. Mais pour rester crédible, dans les pays utilisant la reconnaissance biométrique, il opère sous sa véritable identité. Pour résumer, selon les termes de l'ancien directeur, les missions de la DGSE sont « extraordinaires » et réalisées avec des « moyens exceptionnels » par des « gens ordinaires ». Discrétion et confidentialité sont de mises, surtout en cas de succès. « L’ultime victoire pour un membre de la DGSE, c’est de réussir une opération extrêmement complexe et ambitieuse qui n’est pas du tout éventée » rappelle Bertrand, directeur de recherche et des opérations. Comprendre qu'un agent parfait reste un agent discret capable de dire adieu aux réseaux sociaux. Et ça n'est, là encore, pas donné à tout le monde...

Des renseignements, pour quoi faire ? Les renseignements recueillis par les agents secrets permettent d’anticiper des menaces, de protéger les intérêts nationaux, de comprendre les intentions des autres pays et d'assurer la justice (en recueillant des preuves, par exemple). Les agents secrets participent aussi aux prises de décision des autorités. En effet, les analystes de la DGSE rédigent des « notes jaunes » à destination de l’Élysée, du ministère des Armées, du Quai d’Orsay et du ministère de l’Intérieur pour leur fournir des informations fiables et précises sur un sujet sensible.

 

Laura El Feky © CIDJ
Article mis à jour le 11-04-2024 / créé le 11-04-2024