- Enquête
Intelligence artificielle : quel impact sur l’emploi ?
- Digital
Robots capables de construire des maisons, recruteurs virtuels, appareils détecteurs de tumeurs, logiciels d'évaluation de prêts bancaires, l’intelligence artificielle se développe dans de nombreux secteurs. Si elles facilitent certaines tâches, les machines intelligentes impactent en profondeur le marché du travail, les compétences et les métiers.
Les commerciaux seront-ils bientôt remplacés par des conseillers virtuels ? Les robots seront-ils capables de poser un diagnostic aussi bien que les médecins ? Les logiciels feront-ils mieux que les comptables ? Ces professions sont-elles amenées à disparaître ? Quel impact aura l’intelligence artificielle (IA) sur l’emploi, les métiers ? Bâtiment, banque, santé, énergie, transport, assurances… La plupart des secteurs d’activité sont impactés. « L’intelligence artificielle transforme les emplois au même titre que l’électricité, la roue et la machine à vapeur ont révolutionné le monde du travail », résume Raja Chatila, directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (Isir), professeur en robotique et intelligence artificielle à Sorbonne Université. Faut-il s’en inquiéter ? L’IA menace-t-elle l’emploi? Va t-elle en créer ? En soulageant les salariés des tâches les plus ingrates et les plus répétitives, la machine va-t-elle améliorer les conditions de travail ?
Une lame de fond
D’après une étude du cabinet McKinsey, d’ici 2030, 60 % des métiers pourraient être concernés par l’automatisation. Le déploiement de l’IA dans l’économie engendre d’ores et déjà des besoins en spécialistes de l’informatique et des mathématiques. « Nos métiers sont de plus en plus impactés par la digitalisation et l’intelligence artificielle, dans les domaines de la robotique, de la maintenance, de l’architecture industrielle ou de l’automatisation », analyse Mikaël Butterbach, responsable emploi, formation et gestion des compétences d’Airbus. En 2018, l’avionneur prévoit le recrutement de 250 personnes dans les métiers du digital, parmi eux, des profils bac +5 qui occuperont des postes d’ingénieurs en intelligence artificielle ou d’experts en machine learning.
Intelligence artificielle : des profils hautement qualifiés
« L’IA est une lame de fond qui provoque une mutation très profonde des métiers et des compétences. Transport, santé, énergie, banques, assurances, tous les secteurs vont avoir besoin de spécialistes de l’intelligence artificielle. Pour nous, c’est une source d’opportunités avec un spectre plus large de possibilités d’embauches pour nos diplômés », souligne Pascal Bianchi, professeur enseignant chercheur en statistique et optimisation à Télecom Paristech qui propose plusieurs formations en intelligence artificielle.
Les profils recherchés ? « Des profils hautement qualifiés, capables de faire de la programmation, de développer des algorithmes. Toutes les grandes entreprises, organismes publics et startups recherchent aujourd’hui des data scientists capables de traiter les données pour faire de la prédiction », poursuit Francis Bach, spécialiste du machine learning, chercheur à l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique).
Des métiers à inventer
Mais l’intelligence artificielle devrait aussi créer des professions qui restent à inventer. En 2016, un rapport du forum économique de Davos indiquait que 65 % des enfants entrant actuellement en école primaire exerceront un emploi qui n’existe pas encore. Selon une autre étude du fabricant informatique Dell et du think tank « l'Institut du Futur », la robotisation et l’intelligence artificielle devraient profondément transformer le domaine professionnel : 85 % des emplois de 2030 n’existeraient pas encore selon cette étude.
« Chaque révolution a des conséquences sur le monde du travail. Il y a 10 ans était lancé le premier Iphone qui a permis l’apparition de nouveaux métiers comme celui de développeur d’application sur des technologies spécifiques ou de responsable de la monétisation, dans le secteur du jeu en ligne. Les bacheliers de cette année vont exercer des métiers qui n’existent pas encore mais il est difficile de savoir lesquels », souligne Eric Dosquet, chief innovation officer chez Avanade, une joint-venture entre Accenture et Microsoft, qui accompagne les entreprises dans leur transformation digitale.
Des professions menacées
En permettant aux machines de reproduire des tâches jusqu’alors effectuées par des humains, l’intelligence artificielle risque aussi de faire disparaître certains métiers, notamment les professions les moins qualifiées qui comportent des tâches répétitives facilement automatisables. Parmi les emplois les plus menacés, le rapport sur l'IA de Cédric Villani, mathématicien et député de l’Essonne, mentionne notamment les postes d’ouvriers non qualifiés dans les industries de process, la manutention, le second œuvre du bâtiment, la mécanique ainsi que les agents d’entretien ou les caissiers.
« Peut-être que certains métiers seront in fine amenés à disparaître car l’IA pourra dans certains domaines, faire le travail aussi bien voire mieux qu’un humain mais elle ne remplacera pas l’expert. Elle sera plutôt son assistant », pronostique Pascal Bianchi.
L'IA au service de l'humain
Même constat pour Catherine Pélachaud, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui développe avec son équipe à l’Isir, des agents virtuels pour coacher et aider les personnes âgées dans leur quotidien. « À aucun moment un agent virtuel ne peut remplacer l’homme. L’intérêt de ces tuteurs virtuels, c’est qu’ils donnent des informations utiles sur l’hygiène de vie, la nourriture… Ce sont comme des compagnons auxquels les personnes âgées se confient mais ils doivent toujours intervenir en complément d'un humain. Notre but n'est pas de remplacer l'homme mais d'offrir des outils pour faciliter certaines tâches », résume-t-elle.
Gain de temps
Autre argument mis en avant par les spécialistes : en laissant aux machines le soin d’effectuer les tâches les plus répétitives, hommes et femmes peuvent se concentrer sur des activités plus valorisantes. C’est dans ce sens que le studio d’animation TeamTO investit dans son département recherche et développement. « Nous avons créé notre propre logiciel d'animation. Nous développons des outils pour optimiser la production qui permettent aux animateurs de se concentrer sur des tâches créatives à forte valeur ajoutée », explique Guillaume Hellouin, Pdg de TeamTO. Car l'objectif principal de l'IA est de simplifier certaines activités fastidieuses et de permettre ainsi un gain de temps. « Grâce à elle, les médecins ou avocats peuvent être assistés par des logiciels de recherches bibliographiques automatisées et se focaliser sur des tâches plus intéressantes », souligne Francis Bach.
Le rôle du politique
Si les professions à haute qualification comme celle d’avocat ou de médecin ne sont pas, en tout cas pas pour le moment menacées, les profils moins qualifiés devront être accompagnés pour s’adapter au mieux au changement. Tout l’enjeu de l’IA réside dans la formation des jeunes et des moins jeunes face à ces nouveaux défis. « L’objectif de la technologie, c’est de soulager l’être humain et de rendre le travail plus efficace mais il faut que les révolutions technologiques soient encadrées par le politique. L’intelligence artificielle créé des emplois mais elle créé surtout des richesses. La question est de savoir comment on les partage. La réponse est politique. L’État a un rôle à jouer », prévient Raja Chatila.
Isabelle Fagotat © CIDJ
Article mis à jour le 27-03-2019
/ créé le 20-08-2018
Crédit photo : Markus Spiske