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Reportage Mon job de livreur à vélo

Laura El Feky Laura El Feky
Publié le 02-09-2016

En bref

  • Si vous habitez dans une grande ville vous les avez sans doute déjà croisés : ils sont à vélo  et parcourent la ville avec le repas de leurs clients sur le dos ! Ces coursiers à vélo, pour la plupart étudiants ou intermittents, travaillent pour les nouvelles start-up de la food-tech : Deliveroo, Ubereat ou Stuart. Ils sont le plus souvent micro-entrepreneurs et font un job « ubérisé ». Ils travaillent quand ils veulent et ont pour certains des revenus intéressants. Mais, revers de la médaille, ces jobs sont précaires, parfois sans protection sociale. Cidj.com a enquêté sur les avantages et inconvénients de ce job de coursier indépendant.
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Job de coursier à vélo Crédit : Viktor Kern - Unsplash

A l'occasion du sommet Tech for Good organisé en mai 2018 à l'Elysée, Uber et Deliveroo ont annoncé renforcer la protection sociale de leurs chauffeurs et coursiers. Pour le moment les travailleurs « ubérisés » n’ont qu’une protection sociale réduite. 

"Je n'aurai pas imaginé que je pouvais être payé à faire du vélo" sourit Sébastien 23 ans. "Maintenant le vélo fait partie de ma vie, alors qu'avant je n'en faisais pas du tout !"  nous confie Yacine, 21 ans, coursier à vélo depuis quelques mois.  Les deux jeunes hommes que nous avons rencontrés lors de leur tournée, shift dans le jargon, ont accepté de nous parler de leur job. Un job qui, même s'il est ouvert à tous, nécessite d'être en bonne condition physique.

"Je parcours à vélo environ 80 à 90 kms par jour" calcule Sébastien. Certaines tournées peuvent d'ailleurs être plus difficiles que d'autres notamment s'il fait très chaud ou si l'algorithme de l'application les envoie dans les points culminants de la ville. Des obstacles toutefois jugés supportables pour les deux cyclistes qui apprécient travailler dehors sur leur vélo.

Chez les livreurs, le temps c’est précieux. Le repas doit arriver le plus tôt et le plus chaud possible chez le client, soit idéalement moins d'une trentaine de minutes après que la commande ait été passée.

On voit d'ailleurs souvent les livreurs rouler vite, et prendre des risques en brulant les feux rouges. Tout l'enjeu est alors de conjuguer vitesse et vigilance : "On ressent de l'adrénaline à vélo, surtout quand on slalome entre les voitures ou lorsque l'on prend une descente à vive allure. Mais il faut aussi apprendre à être sur le qui vivre car rouler en ville est dangereux il faut être toujours très vigilant" prévient Yacine.

Après avoir arrêté la fac de droit, Sébastien est aujourd'hui livreur à vélo depuis un an. Son leitmotiv : mettre le plus de sous de côté pour intégrer à la rentrée prochaine une école d’hôtellerie restauration coûteuse. 

Sébastien a choisi de travailler environ 7h par jour pour la start-up. "Il y a de tous les profils, certains font ça à plein temps, comme moi, tandis que d’autres ne travaillent que 5 ou 10 heures par semaine » explique-t-il. "Ce qui me plaît, c’est la souplesse de ce job. On travaille quand on veut".

Idéal donc pour ceux qui souhaitent un job flexible au niveau des horaires. Chaque livreur s'inscrit sur le planning en ligne au créneau horaire qui l'intéresse. "En ce moment je fais tous les rushs du midi et ceux du soir. Ça me fait du 11h-14h30 et du 19h-22h30, en me gardant quand même le samedi soir et le dimanche midi comme weekend car c’est important de décrocher !" raconte le jeune homme.  

Sébastien qui travaille une quarantaine d’heures par semaine, dit gagner entre 3 100 et 3 600 € TTC par mois, auquel il faut soustraire le montant des charges sociales. " Ce job me permet de gagner bien plus d'argent de l'heure qu'un travail salarié " comptabilise le jeune homme. Travaillant pour la même boîte depuis un an, il bénéficie encore de l’ancien système de rémunération : 7€50 de l’heure auquel s’ajoute 2, 3 ou 4 € par livraison.

Yacine, qui est dans la boîte depuis moins longtemps, est passé au nouveau système de rémunération, moins avantageux. Il gagne 5€75 par course effectuée. Deux livraisons minimum lui sont toutefois garanties, ce qui lui permet d'être payé au moins 11€50 même s’il ne fait aucune livraison. Lui aussi travaille à temps plein, il nous dit gagner environ 2 000 € mensuels.

Aux revenus que perçoivent les livreurs s’ajoutent les pourboires des clients et les éventuels bonus financiers versés par la boîte : recommandation lorsqu’un livreur parraine une nouvelle recrue, bonus pluie en cas d’intempéries...

Ce que gagne un coursier à la fin de la journée dépend du nombre de livraison qu'il a effectué. Si Sébastien s’en sort très confortablement, ce n’est pas toujours aussi rose pour les coursiers indépendants, surtout les nouvelles recrues qui n'ont pas la priorité sur les plannings. "Les places sur le planning sont limitées et partent vite car il y a de plus en plus de coursiers" remarque Yacine. "Pour quelqu’un qui commence ce n’est pas forcément évident de trouver des heures au début" confirme Sébastien et il faut bien souvent quelques semaines pour faire sa place. 

"Pour pouvoir travailler comme coursier il faut absolument un smartphone et un forfait internet prévient Sébastien. Avant un shift le livreur se connecte à l’appli et reçoit un message lorsqu'une course lui est attribuée. Une fois qu'il accepte la livraison, il reçoit le nom et l’adresse du resto ainsi que celle du client" explique-t-il.

Le vélo est aussi à la charge du cycliste : "Au début j’ai commencé, j’avais un VTT se souvient Yanis mais ce n’est pas du tout adapté à une conduite en ville, c’était dur. Aujourd’hui j’ai un fixie super léger qui ne fait que 9kg c’est idéal mais il m’a quand même coûté 500 euros" souffle le jeune homme.

"En tant que micro-entrepreneur le matériel est à notre charge et malheureusement on n’a pas de déduction fiscale" regrette Sébastien. Le micro-entrepreneur ne peut en effet pas récupérer la TVA sur ses achats, pourtant à but professionnel. Ce qui peut être handicapant pour investir au début dans son équipement. Malgré tout le cycliste tient à investir dans du bon matériel : "c’est notre outil de travail. Moi par exemple j’ai opté pour des pneus anti crevaison. Bien que ça coute plus cher, c'est beaucoup plus pratique au quotidien." conclut Sébastien.

Ce que Yanis apprécie, c'est l’autonomie qu’offre ce job. "On a des choses à respecter, comme le port du t-shirt et du sac à dos aux couleurs de la boîte mais sinon on travaille en toute indépendance, on n’a pas de patron sur le dos" apprécie le jeune micro-entrepreneur. "Le matin je suis content d’y aller je sais qu’ici, contrairement à mon ancien job, personne ne va me faire de remarque parce que ma chemise est mal repassée". 

Mais l'avis de Yanis n'est pas partagé par tous, au contraire. Ces nouvelles start-up sont aussi souvent  critiquées pour leur management, notamment à cause des blâmes (appelés strikes) qu'elles distribuent aux livreurs qui n'arrivent pas à réparer leur crevaison de pneu, qui annulent leur créneau au dernier moment ou qui ne portent pas l'uniforme. 

Le plus souvent micro-entrepreneurs (auto-entrepreneurs), les livreurs à vélo nouvelle génération sont prestataires de services pour les nouvelles start-up de la foodtech. « Avant de commencer, je ne connaissais pas ce statut explique Sébastien mais on m'a bien renseigné et les démarches pour obtenir le statut sont assez simples. En revanche c’est après que ça se complique ».

Ce que confirme son collègue Yanis : "Au début quand on commence on ne s’intéresse qu’à l’argent que ça va nous rapporter" reconnaît-il "et puis, au fur et à mesure, on prend conscience des inconvénients en discutant avec les autres livreurs : pas de sécurité de l’emploi, galère pour louer un appart car on n'est pas salarié...".

Avec ce job pas de congés payés. Il ne permet pas non plus d’ouvrir des droits à l’assurance chômage et c’est au micro-entrepreneur de cotiser pour les caisses de retraite, de sécurité sociale ou de prévoyance.

"C’est un job qui permet de dépanner un an ou deux mais je ne peux pas envisager ça sur le long terme" explique Yannis.

D'autant plus que "les cotisations augmentent au fur et à mesure des années pour l'autoentrepreneur" rappelle Sébastien qui bénéficie encore du dispositif d'aide au chômeur créateur ou repreneur d'entreprise (ACRE). En effet, les cotisations sont faibles au début (5,8% du chiffre d’affaires) mais augmentent progressivement pour dépasser les 20%.

"En tant que micro-entrepreneur le chiffre d'affaire est plafonné, si on dépasse ce seuil on perd le statut et on nous bascule automatiquement en entreprise individuelle classique ce qui nous prive des avantages du statut de micro-entrepreneur et devient beaucoup moins intéressant financièrement" poursuit Sébastien.

Une protection sociale très limitée, Sébastien en a fait les frais en début d’année. "Jusque-là je n'avais eu que deux ou trois glissades pas très méchantes mais en janvier dernier une voiture a grillé un feu rouge et m'a percuté. J’ai fait un vol plané de cinq mètres. Blessé au genou, je n’ai pas pu travailler pendant un mois et demi" se souvient-il.

S’il avait été salarié, Sébastien aurait pu bénéficier de l’assurance accident du travail prévue par le code de la sécurité sociale. Il aurait ainsi pu percevoir des indemnités journalières pour compenser la perte de son salaire pendant son arrêt de travail, mais là Sébastien n’a eu le droit à rien. 

De son côté, Deliveroo affirme au magazine l'Usine Nouvelle avoir été le premier acteur de la livraison de repas à "proposer une assurance protection civile et une complémentaire santé gratuite (...)".

Ubérisation, qu'est-ce que ça veut dire ? On n’a pas arrêté d’entendre le mot « ubérisation » en 2016. S’il n’est pas encore entré dans le dictionnaire, il est tout de même référencé sur Wikipedia depuis février. Ubérisation vient du nom de l’entreprise Uber, la plateforme qui met en relation directement chauffeurs et clients. Le mot a ensuite été décliné à d'autres domaines (logement, baby-sitting, co-voiturage...) pour parler de la nouvelle économie qui repose sur une offre de services proposée par des non-professionnels à des particuliers via une surface d'échanges en ligne.

Mon job ubérisé ! Baby sitting, soutien scolaire, ménage à domicile, garde d'animaux... Il n’y a pas qu’auprès des plateformes de livraison de repas à vélo qu’on dégote un job en version ubérisée. De nombreuses plateformes mettent en lien des clients potentiels et des jeunes à la recherche d’un job. Pour les titulaires du permis de conduire et/ou leur propre véhicule, il y Uber ou Heetch. Pour le baby sitting, le soutien scolaire, la garde d’animaux, les heures de ménage ou l’aide aux senior, il y a la plateforme Yoopies. 

En Chiffre. Sur un million d’auto-entrepreneurs en France,
80 000 travailleraient pour une plateforme numérique selon l’observatoire de l’ubérisation. 

Propos recueillis en 2016. Mis à jour en 2018.

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