- Interview
Bien manger quand on est étudiant : deux nutritionnistes font le point
- Nutrition
Manque de temps, budget restreint, manque d'inspiration… Quand on est étudiant, on ne se nourrit pas toujours de façon équilibrée. Que doit-on manger pour avoir « sa dose » recommandée de protéines, vitamines et autres glucides ? Les conseils de deux nutritionnistes, les professeurs Patrick Tounian, chef du service pédiatrique de l’hôpital Trousseau à Paris (AP-HP) et Jean-Daniel Lalau du CHU d’Amiens.
Spécialistes de la nutrition, les professeurs Patrick Tounian et Jean-Daniel Lalau exercent à l’hôpital parisien pour enfants et adolescents Armand Trousseau pour le premier et au CHU d’Amiens pour le second. Ils font un point sur les aliments qu’il faut manger au quotidien et sur les pratiques à éviter.
Comment "bien" manger ?
Jean-Daniel Lalau :
"La première chose à retenir, c’est de ne pas s’imposer une alimentation trop stricte. Se nourrir doit avant tout être un plaisir.
Cela étant dit, pour manger de façon équilibrée, il faut essayer d'associer au cours des repas cinq groupes d’aliments.
Un bon moyen de se souvenir de ces aliments est de se les représenter sur les doigts d’une main : le pouce pour la viande, le poisson, les œufs, l’index pour les féculents (riz, pâtes, pommes de terre…), le majeur pour les légumes (cuits et crus), l’annulaire pour les produits laitiers et l’auriculaire pour les matières grasses."
Pourquoi faut-il associer les aliments ?
Jean-Daniel Lalau :
"Il est important d’associer les aliments car ils se complètent. Par exemple, si l’on mange des féculents seuls, on a rapidement faim alors que s'ils sont mélangés à des légumes contenant des fibres, la sensation de faim apparaît plus tardivement.
Toujours selon cette logique, pour un sandwich, il vaut mieux choisir un pain avec des céréales ou de la farine complète plutôt qu’un pain blanc."
Où trouve-t-on des fibres ?
Jean-Daniel Lalau :
"Les fibres sont présentes dans les tomates, les choux, les poireaux ou encore dans les légumes secs (ou légumineuses) comme les petits pois, les haricots blancs ou rouges ou les pois chiches.
L’avantage des légumes secs, c’est que ce sont des féculents en soi et qu’ils contiennent des fibres dans leur coque. En outre, ils ne coûtent pas cher.
Une salade de lentilles, quelques dès de tomates et de jambon et un filet d’huile d’olive constitue par exemple un repas simple, bon, équilibré, peu coûteux et facile à préparer."
Quelles sont les mauvaises habitudes des jeunes en matière d'alimentation ?
Patrick Tounian :
"Aujourd’hui, on assiste chez les filles (et de plus en plus chez les garçons) à la mode du "thin gap" (le fait d'avoir un écart assez large entre les cuisses). Le fait de ne quasiment pas se nourrir pour atteindre une minceur extrême engendre des restrictions énergétiques dangereuses. Sur un terrain prédisposé, ce type de comportement peut également favoriser le développement d’anorexies mentales.
Autre phénomène qui pose problème : la mode végane.
Choqués par les récentes polémiques autour des abattoirs, de plus en plus de jeunes ne veulent plus consommer aucun produit issu des animaux et ne mangent par conséquent plus de viande.
Or, c’est principalement dans la viande que l’on trouve du fer qui est un nutriment essentiel pour le bon fonctionnement du cerveau et de l’immunité."
Quels sont les risques en matière d'alimentation ?
Patrick Tounian :
"Une mauvaise alimentation aboutit à des carences qui peuvent avoir de graves conséquences sur la santé. Les jeunes ont par exemple des carences en fer qui provoquent anémie et fatigue. C’est le cas de 20 % des jeunes filles.
Autre problème : la carence en calcium qui fragilise les os et favorise les risques de fracture et la carence en vitamine B12 en particulier chez les végétaliens qui peut engendrer des attaques neurologiques et des paralysies.
Pour ne pas avoir de carences, les adolescents devraient manger chaque jour 2 produits carnés, soit l’équivalent de 130 grammes de viande ou de jambon, 3 produits laitiers, un ou deux végétaux (légume ou fruit) et 2 portions de poissons par semaine."
Comment éviter les carences quand on a opté pour un régime végétarien ?
Patrick Tounian :
"Je pense qu’à l’adolescence, il faudrait tout simplement éviter d’être végétarien car c’est là que l’on a le plus besoin des apports nutritionnels des différents aliments pour se développer.
Si l'on a décidé de ne plus manger de produits issus des animaux, pour éviter les carences, il faut boire de l’eau riche en calcium.
Concernant les carences en fer, un cachet à base de fer peut être prescrit mais les jeunes rechignent souvent à prendre des médicaments d’autant que plus que ce type de cachet donne parfois des douleurs au ventre."
Jean-Daniel Lalau :
"Si l’on a choisi d’être végétarien, il faut préparer ses repas avec stratégie pour compenser le déficit en acides aminés présents dans la viande. Et si l’on a banni la viande, il est recommandé de manger du poisson ou des œufs.
Autre option : associer des féculents avec des végétaux.
Les plats traditionnels des différents continents le font systématiquement : plats à base de maïs et de haricots rouges en Amérique du sud, de riz et de soja, en Asie, couscous à base de semoule et de pois chiche au Maghreb, association de mil et d’arachide en Afrique subsaharienne…"
Et l’obésité chez les jeunes, n’est-elle pas problématique ?
Patrick Tounian :
"L’obésité est dangereuse après 40 ans. À l’adolescence, ce n’est pas une maladie grave, c’est un problème psycho social : les jeunes obèses sont stigmatisés et souffrent du regard des autres. Pourtant, les problèmes d’obésité ne sont pas liés à l’alimentation, ils sont liés à une prédisposition génétique. Il faut arrêter de penser que les obèses sont incapables de résister à la gourmandise. Pour maigrir, ils doivent lutter contre leur nature et se restreindre tout le temps."
Jean-Daniel Lalau :
"La prise de poids peut subvenir dans des moments de transition : lorsque l’on quitte ses parents pour aller faire des études, par exemple et que l’on se retrouve seul face à la nourriture.
Si l’on se rend compte que l’on commence à grossir (par exemple si l’on prend 5 kilos en 3 mois, il ne faut pas hésiter à en parler avec un professionnel (il y a par exemple des nutritionnistes dans les espaces santé des universités).
Et pour limiter la prise de poids, au-delà de ce que l’on mange, il faut miser sur l’activité physique car bouger reste plus facile que de moins manger."
Isabelle Fagotat © CIDJ
Article mis à jour le 01-02-2019
/ créé le 01-02-2019
Crédit photo : Dan Gold