Chirurgie esthétique des 18-34 ans : une enquête sonne l’alerte
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S’acheter un nouveau nez ? Rien de plus facile avec la chirurgie esthétique qui connaît un boom sans précédent chez les jeunes français. Un engouement dont les journalistes Elsa Mari et Ariane Riou remontent le fil pour en connaître les raisons. Ce qu’elles révèlent dans un livre est alarmant : les 18-34 ans se retrouvent au cœur de pratiques peu scrupuleuses qui les mettent en danger.
Un nez fin, des seins volumineux, des fesses rebondies, des mollets musclés et bien dessinés… Depuis 2019, les 18-34 ans ont plus recours à des actes de chirurgie ou de médecine esthétiques que les 50-60 ans jusqu’ici patientèle historique. On parle ici de rhinoplasties aux ultrasons, de prothèses mammaires en silicone, de liposuccions d’amas de graisse à l’aide de canules, d’injections de botox ou d’acide hyaluronique, de greffes capillaires…
Plus qu’une tendance, un véritable phénomène de société constatent les journalistes Elsa Mari et Ariane Riou. Dans Génération bistouri, Enquête sur les ravages de la chirurgie esthétique chez les jeunes (JC. Lattès), paru le 15 février dernier, elles révèlent les mécanismes qui poussent les jeunes à modifier leurs corps, quitte à prendre des risques pour leur santé physique et mentale.
Neuf mois d’enquête mettent en évidence le rôle de certains influenceurs très suivis et de certains chirurgiens esthétiques peu scrupuleux. Les deux journalistes précisent ne pas s’opposer à la chirurgie esthétique, mais entendent bien dénoncer ses dérives auprès d’un public jeune et influençable que l’uniformisation de l’apparence et la dépersonnalisation guettent. Premiers coupables : les réseaux sociaux qui transforment les jeunes en images.
Modèle en série et filtres à gogo
Un sablier. Ça vous dit quelque chose ? C’est la forme d’un corps féminin érigé en modèle à copier, propulsé par l’influenceuse américaine Kim Kardashian. Nombre de jeunes françaises, notamment avant 25 ans, veulent lui ressembler. À commencer par les stars de téléréalité à qui la course aux like sur les réseaux sociaux impose une routine devenue incontournable avant de poster une photo : user d’artifices via des applications de retouche ou des filtres pour améliorer leur apparence. « L’Instagram des influenceuses doit être parfait. Quitte à tricher », écrivent les journalistes.
Une influenceuse, qui déclare ne plus retoucher ses photos, leur explique tout en mimant une injection dans le visage : « Pour ressembler à leur filtre, les filles sont obligées de… ». Quand le virtuel rattrape le réel. Au fil des nombreuses émissions auxquelles elles participent, les stars de téléréalité deviennent des clones. Au point qu’il est difficile de les distinguer. Cette uniformisation déteint sur leurs abonnés. Des followers de plus en plus jeunes. Or ce corps n’est possible qu’artificiellement soulignent les autrices de l’enquête. Si Kim K. assure de l’authenticité de son fessier, ses fans, pas dupes, ne lui en tiennent pas rigueur. Ils - elles - l'admirent. Et c'est bien le problème. Transformer son corps à coups de bistouri ou d'injections n'est plus tabou. Encore plus depuis que la cadette de Kim K., Kylie Jenner, a fini par avouer ses injections aux lèvres en 2015. Suivie par des millions d'abonnés à travers le monde, sa confession décomplexe toute une jeune génération. Des candidates de téléréalité en parlent même ouvertement dans les émissions, les producteurs choisissant de conserver ces passages à l’antenne. Contribuant ainsi à banaliser la chirurgie esthétique.
Pire, elles en font la promotion sur leurs réseaux sociaux. Elsa Mari et Ariane Riou dénoncent : « Depuis 5 ans, il ne se passe pas un jour sans que l’une de ces vedettes de téléréalité ne glisse le nom d’un chirurgien, d’une opération ou d’une clinique aux jeunes qui les suivent. » Une incitation à recourir à ces pratiques qui occulte les risques, les étapes douloureuses ou la période de convalescence suite à une intervention. Laissant planer sur la chirurgie esthétique une aura de magie. Problème : la promotion de tels actes demeure interdite. Et ça, les jeunes français le savent peut-être moins. Officiellement, les chirurgiens ou cliniques concernées réfutent toute publicité et tout partenariat avec des influenceurs. En réalité, l’enquête des journalistes met au jour des procédés clairement commerciaux.
Le business de la chirurgie esthétique
L’une des illustrations les plus flagrantes reste la publication de photos « avant-après » non seulement par les influenceuses elles-mêmes, mais aussi par certains de leurs chirurgiens. Pourtant « le code la santé publique interdit aux médecins de faire appel à des témoignages de tiers pour vanter leurs expériences et de délivrer une information commerciale », soulignent les journalistes. Les médecins peuvent uniquement fournir des contenus informatifs. Donner envie de recourir à la chirurgie esthétique reste proscrit. C’est pourtant l’effet que pourraient avoir ces publications. Il n’empêche. Près d’un tiers de praticiens posséderaient un compte sur les réseaux sociaux pour y promouvoir leur activité.
Lors de la 4e édition du Congrès Aime, les assises pour l’innovation en médecine esthétique, une conférence intitulée « Instagram, un tremplin pour démarrer son activité esthétique ? » les interpellent. L’un des praticiens, que l’Ordre des médecins a déjà suspendu deux années pour publicité, affirme que 70 à 80 % de ses patientes prennent rendez-vous grâce à son compte Instagram. Dans la bouche des intervenants, les patientes deviennent des « clientes ». Un médecin assume, sans ciller et sans regret, avoir conclu des partenariats avec des influenceuses. Un autre, rencontré par les autrices dans son cabinet parisien, assure sans ambiguïté : « On fait du business ! ». Le mot est lâché. Si tous les professionnels de la médecine et de la chirurgie esthétiques ne basculent pas dans ces dérives, beaucoup assènent des coups de canif au code de déontologie.
Ont-ils en tête que cette course à l’image imprègne inévitablement la jeunesse rivée sur les réseaux sociaux, s’interrogent Elsa Mari et Marianne Riou ? En mettant un instant de côté l’aspect relatif à la santé, ces interventions esthétiques présentent un coût. De quelques centaines d’euros pour des injections à plusieurs milliers pour des prothèses mammaires ou des implants fessiers. Un frein qui n’entame pas la détermination des 18-34 ans. Tout au plus repousse-t-il l’échéance. Pour réduire les frais, certains jeunes se tournent vers des pays étrangers où un véritable tourisme médical prospère, longuement décortiqué dans l’enquête.
« Pack all inclusive » et injectrices illégales
Chaque année, la Tunisie ou la Turquie accueillent de nombreux étrangers, dont des Français, dans des cliniques spécialisées en esthétique. L’une d’elle, située en Tunisie, s’était vue gratifiée d’une recommandation sur les réseaux sociaux appartenant à de jeunes femmes et hommes issus de la téléréalité. Une autre, réalisant des greffes capillaires en Turquie, met en avant une quarantaine de figures connues des jeunes qui vantent son savoir-faire. Les tarifs restent quatre fois moins cher qu’en France. Ces cliniques proposent des packs all inclusive : hôtel, transport, repas, opération. De quoi séduire. À quelques centaines de mètres, un établissement dentaire promet un sourire flambant neuf en un temps record. Testé et approuvé par des rappeurs français ! Ils participent d’ailleurs à des clips promotionnels diffusés dans la salle d’attente.
En France, l’Association des réussites et des ratés de la chirurgie esthétique indique recevoir trois ou quatre appels par jour de personnes intéressées par une intervention en Turquie ou connaissant des complications une fois rentrées. Un médecin en charge de la Santé publique auprès de l’Ordre national des médecins au moment de l’enquête avertit : « Il y a deux questions à se poser. Si ça tourne mal, à qui puis-je m’adresser ? Et, en cas de problème, qui va m’indemniser ? Très souvent, la réponse est : personne ! ». Éloquent.
Dernière tendance dans cette course à la beauté : le recours aux services d’injectrices illégales pour augmenter le volume des lèvres ou du fessier avec de l’acide hyaluronique. La dérive ultime, s’inquiètent les deux journalistes. De qui parlent-elles ? De particuliers, majoritairement des femmes, qui s’engouffrent dans ce business en utilisant les mêmes codes que les influenceuses ou certains chirurgiens. Compte Instagram avec clichés « avant-après », recommandations enthousiastes par des stars de téléréalité, bouche-à-oreille… Elles proposent des tarifs plus abordables, se déplacent à domicile ou « exercent » dans leur appartement.
Parfois dans des locaux glauques, comme le constatent les journalistes entrées dans la peau de « patientes ». Les normes d’hygiène et de sécurité ? Inexistantes. Le syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique se dit très préoccupé. N’importe quel produit peut être injecté. L’enquête révèle par ailleurs une opacité quant aux qualifications de ces usurpatrices qui emploient la dénomination de « docteur ». L’Ordre national des médecins dans l’hexagone auprès duquel l’inscription reste obligatoire pour exercer, ne les répertorie pourtant pas. Après plus d’une dizaine d’années d’études, ces professionnels connaissent bien l’anatomie humaine. Les injectrices illégales ne peuvent en dire autant. Dans le livre, le témoignage d’une jeune femme qui a dû subir une greffe du visage suite à une injection mal exécutée en est un exemple glaçant.
Victimes de la mode
Une pseudo prise de conscience n’intervient que lorsque fin 2021, des influenceuses frôlent la mort suite à des injections. Certaines mettent alors en garde leurs abonnées. Une façade. Afin de préserver leurs partenariats, elles continuent de promouvoir les actes esthétiques, vérifient les journalistes. « Elles font le choix de montrer un soin du visage à l’acide hyaluronique plutôt qu’une liposuccion ».
Mais les autrices pointent que même effectuée par un médecin diplômé et autorisé, une intervention esthétique comporte des risques liés à l’anesthésie, à l’intubation, aux suites opératoires… De plus, les implants mammaires ou fessiers durent une dizaine d’années seulement. Les jeunes en sont peu conscients. Il leur faudra repasser sur la table d’opération. Et disposer de quoi payer une nouvelle intervention…
Si l’envie de se rendre dans une clinique étrangère apparaît comme une solution, il faut se rappeler qu’elles ne sont pas soumises aux normes européennes, notamment en termes d’autorisation pour les produits utilisés. Les autrices relatent par ailleurs leur rencontre avec une jeune femme de 24 ans, rescapée d’une quadruple intervention d’une durée totale de 6 heures. Autant d’opérations à la suite met en danger la vie des patients. Dans une clinique du Sud de la France qui a ouvert ses portes à Elsa Mari et Ariane Riou, un chirurgien a opposé un refus catégorique pour effectuer trois opérations lors d’une même intervention. La patiente assure qu’elle reviendra plus tard s’occuper de son nez.
Quant au sourire flambant neuf obtenu par un limage extrême des dents, la technique n’est pas pratiquée dans l’hexagone prévient un dentiste français. « Ces gamins sont condamnés à perdre leurs dents à 50 ans », se désole-t-il.
L’image uniformisée et artificielle de la beauté mise en valeur sur les réseaux sociaux opère une remise en question chez les jeunes de leur propre apparence. En toile de fond : le risque d’addiction et d’insatisfaction qui pousse à se transformer encore et encore. Quitte à ne plus se reconnaître. Ou à le regretter plus tard. Le côté irréversible de la chirurgie reste peu abordé. Et si la mode changeait ?
Alors qu'elles souhaitent mettre en garde la jeunesse face à un recours précipité aux interventions esthétiques, Elsa Mari et Ariane Riou alertent aussi les institutions et pouvoirs publics. Le 24 mars dernier, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé l’interdiction de la promotion de la chirurgie esthétique par un influenceur dans le cadre d'un partenariat rémunéré. Il deviendra obligatoire d’indiquer l’utilisation de filtre ou de retouche lors d’un partenariat rémunéré sur les réseaux sociaux. « Nous le faisons pour limiter les effets psychologiques destructeurs de ces pratiques pour l’estime des internautes, en particulier les plus jeunes », précise-t-il. Une bonne nouvelle, si les incriminés ne parviennent pas à détourner cette obligation.
En France :
- 744 000 actes esthétiques en 2019 dont 321 000 en chirurgie esthétique et 423 000 en médecine esthétique (injections d’acide hyaluronique ou de botox).
- 8e rang mondial selon la société internationale de la chirurgie esthétique (Isaps).
- Dans certaines cliniques, les 18-34 ans représentent 50 % des patients.
Dans le monde :
- Les 18-34 ans recourent le plus à une augmentation mammaire (54 %) et à la rhinoplastie (64,5 %).
- La technique de la liposuccion, mise au point en France, reste aujourd’hui la 2e intervention la plus pratiquée après l’augmentation mammaire.
Source : Génération bistouri, Enquête sur les ravages de la chirurgie esthétique chez les jeunes, Elsa Mari et Marianne Riou (JC. Lattès)
Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 14-04-2023
/ créé le 14-04-2023
Crédit photo : Cemile Bingol - iStock