Reportage En immersion dans un atelier de prévention contre les violences sexistes et sexuelles
En bref
- Plus d’un quart des étudiants déclarent avoir été victime d’au moins un fait de violence sexiste, sexuelle ou LGBTQIA+.
- Nous avons assisté à un atelier de sensibilisation organisé dans une école d’ingénieur.
- Élodie Lowenski, Sophie Poirier et Jade confient leurs impressions et analyses.
Violences sexistes et sexuelles : l’enseignement supérieur aussi
La parole se libère dans l’enseignement supérieur. Ce microcosme qui brasse tout de même près de 3 millions d’étudiants n’est pas épargné par les violences sexistes et sexuelles. En témoignent des cas révélés ces dernières années dans des écoles privées et aussi à l’université. Face à cette réalité, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a lancé un plan national de lutte contre ces violences en 2021. Celui-ci bénéficie cette année d’une nouvelle enveloppe d’un montant de 1,8 million d’euros à destination des associations de prévention. De plus en plus d’établissements d’enseignement supérieur mettent en place des actions d’information et de prévention. C’est le cas de l’ESIEA, une école d’ingénieur dans le domaine du numérique située en région parisienne. « C'est la deuxième année que l'on met en place des ateliers de sensibilisation sur les violences sexuelles et sexistes au sein de l’établissement », explique Sophie Poirier, responsable de la vie étudiante et de la vie associative à l’ESIEA. « Cette année, nous avons la chance d’accueillir en première année 20 % de jeunes femmes. Soit beaucoup plus que le taux habituel dans les écoles d’ingénieur, particulièrement dans le domaine du numérique. » Sophie Poirier a tenu à organiser cet atelier dès la rentrée, avant le week-end d’intégration et les autres évènements étudiants de l’année. « Pour toutes les populations qui pourraient se sentir concernées par la notion du consentement et par le harcèlement, c'est important d'en parler tout de suite, d’ouvrir la parole et surtout d’expliquer qu'on peut aborder ces sujets-là », affirme-t-elle.
Focus
Ce qu’en a pensé Jade, étudiante en 1ère année
« Durant cet atelier de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, j’ai appris que le fait d’avoir une emprise sur quelqu'un constitue un fait aggravant. J'ai été étonnée que de "simples" faits puissent être considérés comme des agressions, comme une main aux fesses par exemple. Je ne pensais pas qu'on puisse prendre cinq ans d'emprisonnement pour cela. » Pour la jeune femme, l’éclairage juridique « sur ce qu'on pourrait voir comme des évènements anodins, mais qui pourtant ne le sont pas » est salutaire. Elle poursuit : « Comprendre quelles pourraient être les sanctions permet d’éviter de banaliser les choses. »
Un atelier en trois temps qui démarre par le photolangage
Mais l’atelier ne consiste pas uniquement en un apport de connaissances juridiques. La théorie, c’est important, mais quoi de mieux que des exercices pour tenter de se mettre à la place de l’autre ? « Le meilleur moyen de se rendre compte concrètement de ce que représentent les violences sexistes et sexuelles », estime Élodie Lowenski, juriste au Centre d'information sur le droit des femmes et des familles du Val-de-Marne (CIDFF) et coanimatrice. Ainsi, l’atelier proposé se compose de trois parties : un atelier photolangage, un atelier de théâtre-forum et la projection d’un court-métrage. Avec pour objectif de favoriser la prise de parole et le débat. Lors de l’atelier photolangage, la deuxième juriste coanimatrice en explique le principe : « Je vais mettre des photos sur la table et vous en choisissez une qui représente pour vous les violences sexistes et sexuelles. Et après, vous devrez m'expliquer pourquoi ». Jade se lance : « J'ai choisi une photo représentant un homme et une femme durant une soirée. Pour moi, ça se rapporte à de l'attouchement parce qu'il a sa main posée assez haut sur sa jambe, en dessous de sa robe. Et je vois que la femme n’est pas d’accord grâce à son langage corporel : elle se met sur le côté. Je dirais que c’est une violence sexuelle ». Parmi les étudiants, certains ne prennent pas du tout la parole. Et ceux qui interviennent semblent assez pertinents dans leurs propos. Même si quelques-uns hésitent à nommer les choses. À l'image d'un étudiant qui n’ose pas employer le bon terme pour décrire sa photo : un homme qui regarde les fesses d’une femme. « Ce ne sont pas des gros mots », rappelle la juriste face aux rires gênés des participants.
À suivre, un théâtre-forum et un court-métrage
Puis, Élodie Lowenski anime l’atelier théâtre-forum qui met en situation les étudiants afin de comprendre concrètement les implications et incidences lorsqu’on est victime, témoin ou auteur de violences. « Ainsi, ils peuvent se rendre compte et ressentir par exemple : " il était trop proche de moi et a envahi mon espace ". » Elle propose aux étudiants d’imaginer et de jouer une scénette dans laquelle une personne drague lourdement une autre qui est en train de boire un verre avec une amie. C’est Jade qui endosse le rôle de l’autrice de harcèlement. Elle insiste pour que sa cible la suive pour discuter. À la fin, la juriste sonde les étudiants pour les conduire à analyser cette situation. Chacun décrit son ressenti. « J’ai trouvé qu’elle allait trop loin alors que je lui ai dit non », explique l'étudiant qui a joué le rôle de la personne harcelée. Celui qui interprète le témoin de la scène évoque la confusion éprouvée dans un premier temps. Jade dit s’être inspirée de situations rapportées par des amies. « Le harceleur fait une inversion psychologique. Il dit "tu ne connais pas tes propres désirs, et moi je sais ce que tu veux". » « C’est se mettre en position de force, ce qui conduit la victime à se renfermer sur elle-même », acquiesce Élodie Lowenski. « Une emprise s’installe petit à petit. » Dans la dernière partie de l’atelier, un court-métrage est projeté. Il montre une société dans laquelle les hommes sont victimes de sexisme. Le film est suivi d’un débat et de questions qui interrogent notamment les stéréotypes. L’occasion pour la juriste de définir à nouveau les violences sexistes et sexuelles. « Tous les étudiants ne sont pas bien informés sur ce sujet. Un atelier de deux heures et demie ne suffit sans doute pas, mais au moins cela permet d’ouvrir le débat », conclut-elle.
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Besoin d'aide ?
Retrouvez une liste des associations de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ici. Vous pouvez appeler Violences Femmes Info au 3919 (appel gratuit et anonyme, 24h/24 et 7 jours/7). Ce service est porté par la Fédération nationale Solidarité Femmes.