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Lou Carenar : « L'orgasme masculin, on pensait à tort que c’était une évidence »
- Sexualité
Orgasme ou éjaculation, utilisation des sex-toys, pression à la virilité... Le documentaire « Jouis si t'es un homme » dévoile sans tabou les témoignages d'onze hommes sur leur sexualité. Aux commandes, la jeune réalisatrice Lou Carenar raconte les coulisses du tournage.
« Tu sais Lou, moi je n’ai jamais eu d’orgasme. » Cette phrase, issue d'une confidence d'un ami faite à Lou Carenar, est à l'origine de son premier documentaire. Face au peu de témoignages et de documentations sur l'orgasme masculin, la réalisatrice de 29 ans a interrogé onze hommes sur le sujet. De différents âges, milieux et orientations sexuelles, ils se sont confiés sur leurs rapports à leurs sexualités. Sans filtre.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la sexualité masculine ?
Avant d'être réalisatrice, j’ai fait des études de philosophie qui comprenait une grande part de sociologie. J’adorais les sujets liés au genre et à la sexualité, et s’il y avait beaucoup de ressources sur la sexualité féminine, ce n'était pas le cas de la masculine. À l’époque, ce n’était même pas une question. On pensait que de ce côté-là, les hommes n’avaient pas de problèmes. Un jour, un ami m’a confié : « Tu sais Lou, moi je n’ai jamais eu d’orgasme ». Hyper surprise et naïve, je me suis dit : "Le pauvre, il doit être le seul homme au monde à qui ça arrive !" Puis, en interrogeant d’autres connaissances, je me suis rendu compte que l’orgasme masculin était tabou. Il y avait un sujet à creuser.
Pouvez-vous nous raconter les étapes de création de votre documentaire ?
De la naissance de l’idée à la sortie finale, ça m’a pris trois ans. J'ai envoyé un premier jet à France Télévisions, et j’ai eu de la chance que le sujet leur plaise et qu'ils me fassent confiance. J’ai été mise en relation avec une équipe, une boîte de production, un chef décorateur qui a pu recréer mes envies d’univers pop et contemporain, pour reprendre les codes des réseaux sociaux chers à la jeunesse d’aujourd’hui. J’avais très envie de traiter ce sujet avec un film où le spectateur voit le visage de la personne qui parle. Cela brise les tabous, et crée une certaine intimité entre l’un et l’autre. Que le spectateur se dise que ce "gars qui témoigne, c'est quelqu'un de lambda, qui me ressemble… Ça pourrait être moi !"
Comment avez-vous fait pour que les onze participants se livrent face caméra ?
J’ai d’abord fait un appel à témoignages via les réseaux sociaux. Le bouche-à-oreille aussi à compté pour trouver des participants de toutes orientations sexuelles, mais aussi d'origines sociales et d'âges différents. J'ai passé beaucoup de temps avec les participants, au téléphone et en face à face, pour m’assurer qu’ils étaient à l’aise à l’oral, qu’ils avaient quelque chose à raconter. Le documentaire, c’est un travail au long cours. Il faut prendre le temps de connaître les personnes interviewées. Sur le plateau, j’ai fait en sorte qu’il y ait le moins de monde possible. Je me suis placée juste à côté de la caméra, pour donner l’impression de se trouver dans une conversation entre deux personnes. Les interviews durent presque une heure que l’on coupe ensuite au montage : au début, la personne peut être un peu crispée, puis elle se détend.
Cela vous semblait indispensable de donner la parole à un professionnel ?
Au début, pas vraiment. Pour moi, la parole intime suffisait à me convaincre sans que celle-ci ne soit forcément complétée par des propos scientifiques. Mon objectif premier était de changer la perspective sur la sexualité masculine, en montrant le côté plus tendre, plus émotionnel, plus fragile. Mais je me suis rendue compte que les mots du Docteur Bou Jadoué, le sexologue qui intervient à plusieurs reprises, me permettaient de rendre légitime mon propos. Toutes ces questions restent nouvelles et encore taboues. C’est rassurant de montrer que l’on n’avance pas dans l’ombre, mais que l'on s’appuie sur des chiffres et de plus en plus d'études.
En moyenne, les jeunes suivent 2,7 cours d’éducation sexuelle durant leur scolarité. De votre côté, avez-vous déjà eu de tels cours ?
Très peu, ou pas que je me souvienne. Il me semble que l'on parlait davantage de l’aspect « mécanique » de la sexualité : comment mettre un préservatif, prendre une contraception… Et je trouve ça primordial d’apprendre à se protéger. Mais une fois que ça a été dit, il faut aussi pouvoir parler de plaisir, de consentement, de sentiments. Et ne pas seulement voir le sexe sous l’aspect du seul risque. C’est marrant, car il y a deux dualités : l’orgasme féminin qui, au fil des années, a été sacralisé et réduit au statut de mythe, et celle que l'on abordait à peine, l’orgasme masculin, car on pensait à tort que c’était une évidence. Est-ce si étonnant ? Cela rejoint l’idée que les hommes doivent refouler leurs émotions. Et l’orgasme est aussi lié à cet état mental, aux ressentis, aux sensations, au corps… Et pas seulement à la performance.
Quels ont été les premiers retours sur la sortie de « Jouis si t’es un homme » ?
Au début, je craignais les critiques du type « ah, c'est encore une femme qui parle du plaisir masculin ». Mais finalement, ce n’est pas si étonnant, car les discours liés à la sexualité, comme au consentement, proviennent à l’origine des discours et recherches féministes. Et même si j’orchestre le projet, je n’ai pas la prétention de savoir ce que ressentent les personnes interrogées : je leur donne la parole. Sur Instagram, j’ai reçu de messages d’hommes qui me remerciaient, car ils comprenaient maintenant qu’ils n’avaient jamais eu d’orgasme de leurs vies. Ou d’autres qui me disaient qu’ils ne s’étaient tout simplement jamais posé la question. Et j’ai aussi eu des retours de femmes, qui avouaient que leur vision de la sexualité masculine avait changé. J’en suis fière, car en dehors du fait que j’aime l’esthétisme de mon documentaire, je voulais qu’il fasse passer un message.
« Jouis si t’es un homme » est accessible gratuitement sur France Tv Slash.
Perrine Basset Fériot © CIDJ
Article mis à jour le 25-10-2023
/ créé le 25-10-2023
Crédit photo : Emma Martegoute