- Enquête
Élève le jour, aidant le soir : 700 000 jeunes mènent une double vie
- Vie étudiante
Soutenir un proche en situation de handicap ou atteint d’une maladie, c’est le quotidien de milliers de jeunes en France. Encore peu connu, ce statut de jeune aidant est rarement assumé et très souvent caché. Des soutiens existent pour les accompagner dans leur quotidien, même s’il reste des progrès à faire.
Faire les courses pour soulager une mère frappée par un cancer, nourrir son père devenu infirme après un accident ou encore donner le bain à son petit frère atteint de trisomie 21. En France, ils seraient 700 000 jeunes à venir régulièrement en aide à un proche en perte d’autonomie. À l’échelle du lycée, cela représente 3 à 4 élèves par classe !
Un chiffre certes impressionnant, mais certainement sous-évalué. « Il est compliqué d’estimer le nombre de jeunes aidants, car, la plupart du temps, les situations sont tues, rarement verbalisées » explique Amarantha Bourgeois, directrice de l’association Jeune AiDants Ensemble (JADE).
Jeunes aidants : de quoi parle-t-on ?
L’expression "jeune aidant" commence tout juste à trouver sa place en France. Officiellement, il s’agit de jeunes, jusqu’à 25 ans, qui apportent une assistance régulière et bénévole à un ou plusieurs proches en perte d’autonomie du fait d’une maladie ou d’un handicap. Cette aide peut prendre plusieurs formes : faire des courses, pratiquer des soins du quotidien, préparer les repas, s’occuper du ménage…
L’association JADE et l’Université de Paris ont choisi de distinguer les jeunes aidants mineurs des jeunes aidants âgés de 18 à 25 ans. Et pour une raison bien prosaïque : « Seuls les jeunes adultes aidants peuvent bénéficier, de par leur majorité, de dispositifs d’accompagnement comme le droit au répit, le congé proche aidant… » affirme Amarantha Bourgeois.
Être aidé quand on est jeune aidant
« S’il est délicat pour un aidant adulte de tout concilier, imaginez pour un collégien ou un lycéen ! » relève Amarantha Bourgeois. Difficulté à se concentrer en classe, taux d’absentéisme important, voire décrochage scolaire. Être aidant représente « une charge mentale énorme » explique Cécile Jung Loriente, chercheuse au Cessa et auteure d’un récent rapport sur la question. « Certains jeunes sont tellement dans l’empathie que leurs préoccupations liées à leurs activités d’aidants ne les quittent jamais. À l’école, ils se demandent constamment si tout se passe bien pour la personne dont ils s’occupent, surtout si celle-ci reste seule à la maison ».
Si le programme de réussite éducative (PRE) comme le projet d’accueil individualisé (PAI) peuvent être enclenchés pour aider les jeunes aidants, les établissements scolaires favorisent la mise en place d’un aménagement de certains cours en télé-enseignement partiel avec le CNED. « Je pense à un garçon dont le papa a eu un accident de voiture. Avec l’obligation d’une surveillance permanente, c’est devenu difficile pour ce jeune de tout concilier avec sa maman. Il était très fatigué et a complètement décroché en classe de première. C’est en suivant trois matières à distance qu’il a pu reprendre la situation en main et obtenir son bac avant de poursuivre des études supérieures » se rappelle Amarantha Bourgeois.
Les soutiens peuvent aussi se traduire simplement par une écoute bienveillante de l’infirmière scolaire, de certains enseignants ou d’associations spécialisées. Selon Hélène de Chantérac, directrice Soutien aux aidants au sein de l’association Nouveau souffle, seulement un aidant sur deux s’estime bien renseigné. Pour les autres, il faut apporter « une aide à l’information, mais aussi des conseils pour découvrir comment vivre leur rôle de manière plus sereine. Les ateliers, de visu ou à distance, permettent aux jeunes aidants de se rencontrer et de discuter de leur quotidien ». L’association JADE propose des séjours dits « de répit » et des ateliers artistiques pour apprendre à s’exprimer sur son rôle d’aidant.
Ce qui se passe à la maison doit rester à la maison
Au moment de l’adolescence et de la construction de soi, il n’est pas évident de parler de sa situation si particulière. Être aidant devient alors un sujet tabou que l’on tait par peur d’être pointé du doigt. « Les jeunes ont rarement envie d’en parler, car cela fait partie de leur vie privée, voire intime, que l’on ne partage pas » relève Hélène de Chantérac. « Dans une société stigmatisant beaucoup la maladie comme le handicap, de nombreux jeunes aidants préfèrent cacher leur vie, par peur des moqueries de leurs camarades » poursuit Amarantha Bourgeois.
Dans « Trajectoires et socialisations des jeunes aidantes », Cécile Jung Loriente rapporte le cas d’une jeune fille qui disait qu’à l’école « elle ne parlait pas du tout de sa situation parce que le collège était un endroit où elle était juste elle et non plus celle qui prend soin de son frère handicapé ». Enfin exister autrement qu’à travers son statut d’aidant.
Une meilleure prise en charge des aidés pour soulager les aidants
S’ils sont fiers de pouvoir aider leurs proches, de nombreux jeunes aidants apprécieraient pourtant d'être déchargés de cette responsabilité. D’après une enquête Ipsos-Macif sur la situation des aidants en 2020, 36 % des jeunes interrogés souhaiteraient ne plus venir en aide à la personne qu’ils accompagnent. Pour cela, ils demandent que leurs proches soient mieux pris en charge. « Plus on répondra aux besoins du proche aidé, plus l’aidant sera soulagé afin d’apporter une aide raisonnable et proportionnée à la mesure de ce qu’il a réellement envie de faire » martèle Amarantha Bourgeois. Et la route reste longue pour combler les manquements. Aux embarras psychologiques s’ajoutent les problèmes pratiques. Difficulté pour obtenir une aide à domicile, lourdeurs administratives, manque de soutiens financiers pour adapter un logement… Ne serait-il pas temps de venir en aide aux aidants ?
Marine Ilario © CIDJ
Article mis à jour le 02-05-2022
/ créé le 02-05-2022
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