Histoire Révolution des Œillets : une dictature, des fleurs… et Harry Potter
En bref
- À première vue, rien ne relie l’univers magique d’Harry Potter au Portugal. Et pourtant… C’est à Porto que J.K. Rowling commence à imaginer les aventures du jeune sorcier, dans un pays marqué par les stigmates d'une longue dictature sous le régime autoritaire d'António de Oliveira Salazar.
- Le lien entre ces deux mondes tiendrait dans un nom : Salazar Serpentard. Un clin d’œil qui en dit long sur l’influence de l’histoire réelle sur l’imaginaire d’une des écrivaines les plus lues au monde.
- À l’occasion du 25 avril, anniversaire de la Révolution des Œillets qui mit fin à la dictature, retour sur cette période oubliée — et sur la manière dont elle a peut-être inspiré un univers connu de tous.
Et si Porto avait inspiré l’univers d’Harry Potter ?
En 1991, J. K. Rowling pose ses valises au Portugal pour y enseigner l’anglais, à Porto. Dans les cafés animés de la ville, à commencer par le Majestic, la future auteure à succès entame l’écriture de Harry Potter à l’école des sorciers. Premier tome d’une longue série qui dépassera le demi-milliard d’exemplaires vendus. Parmi les protagonistes de son univers, Salazar Serpentard intrigue. Bien que l’autrice n’ait jamais confirmé de lien, comment ne pas établir de parallèle entre Salazar Serpentard et António de Oliveira Salazar. C’est sous sa coupe que le Portugal a connu une dictature longue d’un demi-siècle (1926 à 1974). Sous le régime autoritaire d’António de Oliveira Salazar, chef de l'Estado Novo (État Nouveau), le nationalisme, le colonialisme, la censure, la police politique (la PIDE) et le rejet des libertés individuelles formaient les piliers d’un régime, dont la devise était « Dieu, Patrie et Famille ». Mais le 25 avril 1974 marque sa chute, avec la Révolution des Œillets : un coup d’État pacifique mené par de jeunes officiers du Mouvement des Forces Armées (MFA), rapidement soutenus par des millions de portugais. Pourtant, en France, cette date historique, devenue « fête nationale bis » au Portugal, reste largement méconnue. Mais Rowling, vivant au Portugal deux décennies après la Révolution des Œillets, a sans doute été marquée par l’héritage du salazarisme. Sa saga Potter révélant une tension permanente entre ordre et liberté : la chute de Voldemort résonne comme une victoire contre l’oppression.
Focus
Pourquoi dit-on la Révolution des Œillets ?
On raconte que, le 25 avril 1974, Celeste Caeiro devait livrer des œillets rouges à un restaurant qui venait tout juste d’ouvrir dans le centre de Lisbonne. Mais au vu des circonstances, l’événement est annulé, et la fleuriste repart avec ses œillets. En chemin, elle croise des militaires et leur demande ce qu’il se passe. Ils lui répondent qu’ils partent renverser le régime. A leur tour, ils lui demandent une cigarette, mais Celeste n’a que ses fleurs. Elle les offre donc aux militaires pour exprimer son soutien. Ces derniers les glissent dans le canon de leurs fusils, en signe de paix. Dans les rues de la capitale en ébullition, les Lisboètes, censés rester chez eux, bravent l’interdiction et rejoignent les militaires. Peu à peu, des canons fleurissent un peu partout dans la ville. Celeste, celle qu’on appelle désormais Celeste dos Cravos – Celeste des Œillets – continue de parcourir la ville avec ses fleurs, qu’elle distribue aux soldats révolutionnaires. C’est ainsi que l’œillet rouge est devenu le symbole de cette révolution pacifique, qu’on appelle aujourd’hui la Révolution des Œillets.
Le Portugal à l’honneur dans l’œuvre de J. K. Rowling
L’influence portugaise affleure aussi visuellement : les uniformes de Poudlard rappellent les capes noires des étudiants de Porto et Coimbra, tout comme les traditions académiques empreintes de mysticisme, ou encore l’architecture néogothique de l’Université de Porto, ses escaliers monumentaux, ses vitraux, et les Jardins du Palais de Cristal, qui évoquent la Forêt Interdite. La librairie Lello, avec ses escaliers courbes et son atmosphère féerique, alimente les spéculations. Rowling a démenti toute inspiration directe, mais l’imaginaire de Porto semble bien avoir nourri l’univers magique d’Harry Potter de manière plus diffuse. Car la saga, elle-même, se lit comme une critique des régimes autoritaires. Le Ministère de la Magie, corrompu et opaque, rappelle des bureaucraties répressives. Dolores Ombrage, figure du pouvoir abusif, évoque la surveillance de la PIDE. Face à cela, l’Ordre du Phénix incarne la résistance. Harry Potter dépasse ainsi le cadre du divertissement pour devenir une métaphore politique. À Poudlard, lorsque le Ministère de la Magie impose ses lois autoritaires et que la direction de l’école choisit la passivité par crainte des représailles, ce sont les élèves eux-mêmes qui s’organisent : Harry, Hermione et Ron fondent l’Armée de Dumbledore dans une salle secrète. Face à un pouvoir corrompu et à la répression, ils créent un réseau clandestin, apprennent à se défendre et refusent la soumission.
Focus
Tout commence avec une chanson
À 0h20, dans la nuit du 24 au 25 avril 1974, Rádio Renascença diffuse « Grândola, Vila Morena », une chanson interdite, écrite par José Afonso, dont les paroles célèbrent la fraternité et la souveraineté du peuple. Ce morceau, choisi par le MFA, est le mot de passe attendu par les officiers insurgés pour lancer l’opération contre le régime. Dans le silence tendu des casernes et des foyers, les premières notes de « Grândola, Vila Morena » résonnent. Aussitôt, les militaires sortent de l’ombre : ils prennent position dans les ministères, les médias et les points stratégiques de Lisbonne. Dans les rues, la population bientôt en liesse, rejoint ce soulèvement pacifique. Les soldats, accueillis par des fleurs, avancent au rythme de la chanson, symbole d’un espoir retrouvé. En moins de vingt-quatre heures, la dictature tombe, ouvrant la voie à la démocratie. Ce moment radiophonique, devenu l’un des plus marquants de l’histoire portugaise, a fait de « Grândola, Vila Morena » l’hymne de la liberté et de la Révolution des Œillets.
Histoire, fiction et engagement : les jeunes à la conquête du changement
En 1974, au Portugal, une jeunesse animée par le même esprit de refus s’est levée. Envoyés combattre dans des guerres coloniales interminables, de jeunes officiers, lassés d’être sacrifiés pour un régime autoritaire et sourd à leurs aspirations, décident de renverser une dictature vieille de 48 ans. À peine sortis de l’académie militaire, ils prennent le risque d’une révolution : sans violence, armés de fleurs, ils offrent au pays un autre destin, comme par magie. C’est la Révolution des Œillets, symbole d’un basculement pacifique vers la démocratie, où l’insoumission individuelle rejoint la force collective. Dans la fiction comme dans l’histoire, des gestes modestes, mais porteurs de rupture, incarnent ce refus de la fatalité : s’entraîner à la magie dans le secret d’un grenier, glisser un œillet dans le canon d’un fusil. D’un côté comme de l’autre, la conviction demeure : défier l’ordre établi, c’est ouvrir la voie à un avenir différent. Aujourd’hui, face aux dérèglements climatiques, aux reculs démocratiques ou à la montée des inégalités, cette mémoire reste vive. Elle rappelle qu’il n’y a pas d’âge pour désobéir à l’injustice. En France, les mouvements sociaux récents – des Gilets jaunes aux luttes étudiantes – témoignent de la force de la solidarité. Le 25 avril, jour de la Révolution des Œillets, rappelle que les libertés ne sont jamais définitivement acquises. À l’heure où les démocraties vacillent, le dialogue entre fiction et histoire nous invite à cultiver notre esprit critique. S’inspirer des héros, qu’ils soient littéraires ou historiques, c’est imaginer un autre avenir. Comme les jeunes officiers portugais ou les sorciers de Poudlard, changer le monde commence souvent par un geste : refuser de baisser les bras.
Focus
Une dictature ignorée par les Français
Malgré l’attrait touristique et fiscal que suscite ce « pays nommé tourisme » — près de 3 millions de visiteurs français en 2023 —, le Portugal souffre d’un déficit de visibilité médiatique en France. Hors été ou grands événements sportifs, sa culture et son histoire sont peu relayées par les médias. Cette invisibilité touche aussi la société française. Les Portugais constituent pourtant la troisième communauté d'immigrés en France, après l'Algérie et le Maroc, avec environ 1,5 million de personnes d’origine portugaise. Beaucoup sont arrivés clandestinement, fuyant la dictature, la guerre coloniale et la misère. Mais un silence générationnel a souvent freiné la transmission de cette mémoire, réduite à un récit d’exil dépolitisé. Par ailleurs, l’histoire du Portugal, perçu comme une « petite nation », est éclipsée par d’autres récits majeurs du XXe siècle, tels que la Seconde Guerre mondiale, la guerre froide ou Mai 68. La Révolution des Œillets est rarement étudiée en France, souvent réduite à une simple « transition démocratique ». Or, cette révolution a mis fin à la plus longue dictature d’Europe occidentale et à 13 ans de guerre coloniale. Elle a aussi contribué à précipiter la chute du franquisme en Espagne (1975) et inspiré des transitions démocratiques en Amérique latine.