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Handicap psychique : le difficile parcours de Marie vers l'emploi
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Suite à un licenciement après 8 ans en tant que vendeuse en boulangerie, Marie*, en situation de handicap, est de nouveau à la recherche d’un emploi. Face aux difficultés à s’insérer dans le marché du travail et à y rester, elle confie ses appréhensions et ses aspirations.
Après 8 années passées à travailler en boulangerie, Marie est en reconversion professionnelle. Installée à la table d'un café parisien aux côtés de sa mère, la jeune femme a accepté de se confier sur cette nouvelle étape dans sa vie professionnelle. Elle souhaite rester dans la vente, car elle s'y sent à l'aise et aime le contact avec les gens - c’est d’ailleurs quelque chose que l’on ressent quand on la rencontre. Elle vise une reconversion en tant que vendeuse idéalement dans une animalerie ou une boutique de vêtement. Seulement voilà, en recherche depuis 6 mois, elle ne reçoit pas de réponse à ses candidatures.
Un fait somme toute assez courant. C'est le lot de nombreux demandeurs d'emploi de faire face à des candidatures restées lettre morte auprès des entreprises... Peut-être. Sûrement. Mais Marie a une autre explication. « À la lecture de ma lettre de motivation, les recruteurs ne doivent pas savoir quoi me répondre, alors ils ne me répondent pas », estime-t-elle. En effet, Marie doit surmonter un obstacle de plus pour convaincre les recruteurs de l'embaucher : elle souffre d'un déficit neuropsychologique. Autrement dit, elle a un handicap. Et force est de constater que le handicap constitue un frein à l’embauche en milieu ordinaire. « Lors de mon rendez-vous à Pôle Emploi, on m’a conseillé de ne pas indiquer mon handicap sur mon CV mais uniquement sur ma lettre de motivation. Conseil que j’ai suivi... », déclare la jeune femme.
Une 1re formation professionnelle réussie... mais pas d'emploi à la clé
« J'ai commencé à avoir conscience de ma différence lorsque j'étais en 6e, explique Marie. En cours de gym, des élèves se moquaient de moi car mes jambes n'étaient pas droites quand je courais ». Elle suit la majeure partie de sa scolarité en classe d'adaptation. « C’était bien car on pouvait prendre notre temps par rapport à une classe classique. » Puis de 14 à 16 ans, elle est déscolarisée car elle n’arrive plus à suivre. Ses parents optent pour un organisme privé durant ces deux années, mais sans grande conviction. « À cette époque, elle ne bénéficiait pas encore de la reconnaissance de son handicap », raconte sa mère.
À 18 ans, Marie suit une formation en zoo-cosmétologie durant deux années. Elle obtient une certification qui lui permet de travailler dans un domaine qui lui plaît, le toilettage et la vente animalière. Toutefois, même si ses stages se sont bien déroulés, cette formation n’a pas abouti à un contrat de travail. La jeune femme se tourne alors vers la mission locale pour trouver un emploi. Là, elle est dirigée vers l’association le Tipi, spécialisée dans l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté. Elle est également dirigée vers une psychologue pour effectuer des tests. Cette dernière prend l’initiative de lancer une procédure de reconnaissance du handicap pour Marie auprès de la maison départementale des personnes handicapées.
« À l’âge de 25 ans, j’ai obtenu la RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), confirme la jeune femme. Car à cause de mon handicap, j’ai des difficultés de mémorisation et de compréhension ».
Des patrons sensibilisés au handicap psychique...
La RQTH est un sésame qui devrait faciliter sa recherche d’emploi car les entreprises de plus de 20 salariés doivent compter parmi leurs effectifs 6 % de personnes en situation de handicap. « Je pense que les entreprises embauchent plus facilement des personnes en situation de handicap physique que celles en situation de handicap psychique, souligne toutefois la maman de Marie. Lorsque l’on a un handicap psychique, en plus de l’information et de l’accompagnement qui sont essentiels, on a besoin que les entreprises prêtes à recruter des travailleurs handicapés, en particulier psychiques, soient identifiées. Bien souvent, les entreprises préfèrent faire appel à des Esat, comme ça elles n’ont pas besoin d’encadrer elles-mêmes ces travailleurs handicapés ».
Le temps que la procédure en RQTH aboutisse, il se passe quelques années. Entre temps, Marie a trouvé un emploi en boulangerie grâce à l’association le Tipi. Elle a 24 ans. Elle suit une formation en apprentissage, obtient un diplôme d’agent technique des ventes en magasin (ATVM) puis est embauchée en CDI, à temps partiel. « Les patrons avaient un autre regard sur le handicap. Alors, ça se passait bien », raconte-t-elle. Elle évoque une ambiance de travail agréable avec des collègues sympas avec elle, une patronne qui lui propose des nouvelles tâches – « je faisais même un peu de caisse » - et surtout qui lui apporte son aide pour qu’elle progresse professionnellement et se sente en confiance.
Quand d'autres provoquent une rupture conventionnelle
« Marie est très autonome lorsqu’elle est dans un environnement familier, les employeurs doivent savoir la mettre en confiance pour travailler avec elle », confirme sa mère. Dans sa vie quotidienne, la jeune femme « préfère écrire sur ordinateur car il y a le correcteur automatique qui m’aide bien ». Elle est aussi créative et aime tout ce qui est manuel comme le scrapbooking. Et passe du temps avec sa grand-mère pour qui elle fait notamment les courses et avec qui elle part en vacances. Un grain de sable va venir enrayer cette stabilité que Marie a réussi à construire. Il y a deux ans, la boulangerie est rachetée. « Les nouveaux patrons n’ont pas su intégrer mon handicap, regrette la jeune femme. Ils me cantonnaient aux tâches de ménage, j’ai été écartée de la vente alors que j’apprécie beaucoup la relation client ». Elle s’accroche durant deux ans, mais la situation ne s’arrange pas. Les nouveaux propriétaires lui suggèrent une rupture conventionnelle, qu’elle accepte. À nouveau, il faut se relancer dans la recherche d’emploi. Pôle emploi l’oriente vers son agence Handipass.
Travailler en milieu ordinaire avec un handicap psychique
« Ce qui lui manque, c’est la maîtrise de la caisse », affirme sa mère. Elle aurait plus de chance de trouver dans une grande enseigne, d’ailleurs certaines d'entre elles organisent des formations d’une centaine d’heure pour apprendre à gérer une caisse. Il n’y a pas forcément d’embauche à la clé, mais je pense que ça faciliterait ses recherches par la suite. Marie a un peu peur d’aller vers l’inconnu et plus le temps passe, plus c’est compliqué, s’inquiète-t-elle. Mais bon, on n’a pas encore épuisé toutes les voies. »
« Une formation à la caisse ça serait pas mal, reconnaît la jeune femme, mais je ne sais pas trop si j’y arriverai avec tout ce qui est calcul ». Rappelons qu’elle n’a bénéficié d’aucun aménagement pour sa formation ATVM, et malgré des difficultés en mathématiques, elle a réussi à les surmonter et à décrocher son titre professionnel.
L'association le Tipi, que sa mère a recontactée, n'intervient pas après 26 ans. Alors, si les démarches au Handipass ne débouchent sur rien de concret, Marie envisage en dernier recours de travailler en Esat (établissement et service d’aide par le travail) hors-les-murs. Ce type particulier d’Esat accompagne les travailleurs handicapés dans des entreprises extérieures, avec la possibilité à terme d’une embauche directe par l’entreprise. Marie souhaite autant que possible travailler en milieu ordinaire et reste confiante. Elle conclut cette rencontre par une déclaration qui remet les choses en perspective : « Je suis optimiste ».
* le prénom a été modifié.
Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 09-01-2019
/ créé le 09-01-2019
Crédit photo : Pixabay