- Interview
Etudes de médecine : je les vis comme un marathon
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Alors qu’un plan d’action de 15 mesures destiné à améliorer le bien-être des étudiants en santé a été présenté par le gouvernement, Cidj.com a recueilli le témoignage de Lucie*. Etudiante en médecine, elle a choisi de redoubler sa 6e année. Elle nous explique comment elle est parvenue à cette décision mais aussi comment elle a réussi à trouver son équilibre. (*Le prénom a été modifié).
Comment avez-vous vécu la 1re année de médecine ?
J’ai perdu quasiment un semestre pour trouver et mettre en place des méthodes de travail qui fonctionnent pour moi. Le dispositif de tutorat se mettait tout juste en place et n’était pas très abouti… Et ne parlons pas de l’entraide entre étudiants de 1re année ! C’est difficile de se faire des amis ou de créer des relations, on se jauge beaucoup, on est en compétition. Il m’est arrivé de faire des pronostics sur qui allait être classé à quel niveau par exemple.
J’ai donc appris seule à sélectionner les infos importantes, à faire des fiches pertinentes, en prenant en compte que j’ai plutôt une mémoire visuelle. Malgré un meilleur deuxième semestre, j’ai tout de même redoublé ma 1re année. Les outils que j’ai mis en place m’ont permis de mieux vivre ma deuxième première année. Les 2e et 3e année ont été plus simples à gérer par la suite.
Ça n’a plus été le cas en 4e année ?
La préparation de l’ECN (épreuves classantes nationales) qui a lieu en 6e année, débute dès la 4e année avec l’entrée en externat. Du classement à l’ECN dépendent la spécialité d’internat et la région d’exercice, cela renforce l’anxiété. Dans ma fac, on est en stage tous les matins et l’après-midi on révise pour l’ECN. Bien que je constate une certaine solidarité entre étudiants de 6e année – nous avons un groupe Facebook sur lequel on peut échanger, poser nos questions – il faut fournir un gros travail en autonomie. Il faut dire qu’on doit potasser pas moins de 28 ouvrages qui font entre 300 à 400 pages chacun ! On est obligé de tout savoir, car une question peut porter sur un détail !
Avez-vous trouvé un moyen de décompresser malgré la charge de travail ?
Je culpabilisais de faire autre chose que réviser. Et de voir les autres travailler beaucoup, incite à travailler plus. Donc, je n’ai pas réussi à trouver comment me détendre sans avoir l’impression que je vais perdre des places au classement en travaillant moins. J’ai même arrêté l’équitation qui est ma passion…
Cette ambiance ultra studieuse a forcément des impacts sur votre bien-être ?
J’ai vécu des angoisses, des insomnies et je commençais à mal me nourrir… Et ce qui n’arrange pas les choses, c’est qu’on peut vivre des situations difficiles durant nos stages. Certains se passent très bien, d’autres moins bien. En 4e année par exemple, j’ai très mal vécu un stage car le médecin encadrant pouvait sans raison se mettre à faire des remarques négatives et s’acharner sur un étudiant devant tout le service et la salle de soins. Une fois c’est tombé sur moi, ça été très violent. J’ai eu la boule au ventre jusqu’à la fin du stage. Arrivée en 6e année, je n’y arrivais plus, j’étais pas loin du burnout. Je ne voulais pas que cela affecte ma relation au patient.
Qu’avez-vous fait pour surmonter cette situation ?
J’ai appris par le bouche-à-oreille entre étudiants qu’une psychiatre était disponible au CHU pour recevoir les étudiants en médecine. Je suis allée la voir pour lui exposer ma situation. Je ne voulais pas prendre d’antidépresseurs. L’idée de redoubler volontairement ma 6e année me trottait dans la tête. Cela me semblait être la bonne solution. Elle m’a conseillé de prendre rendez-vous avec le directeur de la fac de médecine qui a été à l’écoute et s’est soucié de mon bien-être.
Pourquoi ne pas avoir attendu de passer l’ECN ?
Je sentais que je ne pouvais pas tenir jusqu’à l’ECN. En plus, dans la région où j’étudie, seul un faible pourcentage d’étudiants ayant passé l’ECN sont admis à redoubler la 6e année s’ils ne sont pas satisfaits de leur classement. Ce qui rajoute un stress. Avec l’ECN, c’est la formation d’internat qui se joue. C’est un gros enjeu pour notre avenir. Parmi les deux spécialités qui m’intéressent, l’une demande un très bon classement, la médecine interne et l’autre est très convoitée, l’hépato-gastrologie.
Comment appréhendez-vous l’année prochaine ?
Les étudiants de ma promo ne comprennent pas pourquoi je ne tente pas l’ECN. Mais je bénéficie du soutien de ma famille et de mes proches dans cette décision. Je travaille sur moi-même, je vais courir régulièrement, je m’accorde des sorties. Je suis plus sereine. Je continue de préparer l’ECN. J’ai trouvé un rythme qui me convient et que je vais poursuivre l’année prochaine.
D’après vous, que faudrait-il faire pour améliorer les conditions d’études en médecine ?
On pourrait faire des petits groupes en 1re année par exemple. Dans ma fac, l’encadrement de travail s’est amélioré : le tutorat s’est développé, les conférences de 6e année en vue de l’ECN ont été perfectionnées. La pratique de la notation de stages par les étudiants se développe, c’est une bonne chose.
Mais on ne peut pas en dire autant de l’accompagnement et de la préparation mentale des étudiants. Il faudrait un entretien individualisé, mais on est tellement nombreux en médecine… Seule existe une incitation à aller consulter la médecine du travail pour un dépistage des troubles de l’anxiété. Mais beaucoup n’osent pas y aller…
Je pense que pour améliorer le bien-être des étudiants en médecine, il faudrait revoir le principe de l’ECN. Un classement pour chaque spécialité permettrait de réduire le nombre d’ouvrages à connaître par exemple. Dans mon cas, certains ne me seront pas utiles dans les spécialités que je convoite.
Un mot pour les futurs étudiants en médecine ?
Les études de médecine se vivent comme un marathon. Mais il faut prendre garde à ne pas s’isoler ni ruminer dans son coin. Même si c’est compliqué, il est préférable de parler de ses difficultés à son entourage. Ce n’est pas parce qu’on prend une heure pour se détendre qu’on perd du temps, au contraire, c’est tout bénef.
Le rapport de la psychiatre Donata Marra sur la qualité de vie des étudiants en santé est à l’origine du plan d’action présenté en avril par les ministres de l’Enseignement supérieur et de la Santé. Parmi les mesures prises pour améliorer le bien-être des étudiants : la création de structures de soutien et d’accompagnement, la lutte contre le harcèlement, la prévention du suicide, le renforcement du collectif en PACES… Voir l’article "15 mesures contre le mal-être des étudiants en santé".
Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 03-10-2018
/ créé le 18-05-2018
Crédit photo : Pixabay