Seconde main, upcycling, réparation… y a-t-il de l’emploi dans le réemploi ?
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Vêtements achetés en friperie, smartphone reconditionné, vélo vintage… Par souci écologique ou économique, le marché de l’occasion fait de plus en plus d’adeptes. Mais derrière la tendance qui redonne vie aux objets, y a-t-il des opportunités d’emploi ?
Sous la forme d'une note sur dix précédée d’un logo en forme de clé à molette et d’un écrou sur fond vert, jaune, orange ou rouge. Peut-être avez-vous déjà aperçu cette nouvelle étiquette en magasin ? Il s’agit du tout nouvel indice de réparabilité. Depuis le 1er janvier 2021, il est obligatoire sur certains objets électroniques comme les smartphones ou les ordinateurs portables, et vous indique si le produit est réparable. L'objectif ? Encourager à acheter durable, jeter moins, réparer plus. Une tendance qui devrait s’accentuer dans les années à venir.
Du neuf avec du vieux
« Plus on allonge la durée de vie d’un produit, plus on réduit son impact environnemental », résume Kako Nait Ali, docteur en chimie des matériaux. La mode, la décoration et l’ameublement sont les premiers secteurs auxquels on pense lorsqu’on parle de seconde main.
Et la pratique est « loin d’être nouvelle, elle s’inscrit dans l’économie circulaire », détaille Elora Dos Reis, chargée de mission économie circulaire aux Canaux, un lieu dédié aux économies solidaires et innovantes. Une façon de « boucler la boucle » pour éviter de prélever des ressources dans la nature pour produire du neuf.
Jusqu’ici, pour chiner des pièces d’occasion, on allait dans les brocantes, des vide-dressings ou encore « des réseaux de structures de l’économie sociale et solidaire, comme Emmaüs ou les ressourceries, dont la vocation est d’abord sociale : proposer des produits à bas coûts et faire travailler des personnes éloignées de l’emploi », rappelle Aurore Médieu, responsable Transition écologique et économie circulaire de ESS France.
Aujourd’hui, « si les enseignes se mettent à la seconde main c’est pour faire face à la concurrence du commerce en ligne, comme le site Vinted, et faire en sorte que le consommateur revienne en magasin » remarque Kako Nait Ali. Une stratégie adoptée par des enseignes comme Kiabi, H&M ou Ikea qui a même ouvert, en Suède, son premier magasin entièrement dédié à la seconde main.
Parfois, on détourne même complètement la matière de base, on parle alors de réutilisation ou d’upcycling. Des créateurs, y compris du luxe, créent des vêtements ou des accessoires à partir de matières récupérées, voire d’objets détournés (sac en bâche de camions, ceinture faite avec des pneus, fauteuil à partir d’anciennes baignoires…).
Tous les domaines concernés
Difficile d’imaginer un secteur où il ne serait pas possible de faire du neuf avec de l’ancien. Même dans l’alimentaire, un produit non utilisé peut devenir une ressource. Une brasserie lilloise a ainsi décidé de remplacer une partie des céréales habituellement utilisées dans la préparation de la bière par des invendus de pain sec.
Dans le secteur du conditionnement, quelques entreprises ont remis au goût du jour le système de consigne et proposent de laver les emballages plutôt que de les jeter.
Dans l’informatique, il n’y a pas que les particuliers qui sont friands de seconde main. L’entreprise où exerce Cédric Laroyenne, directeur RSE et membre du C3D, le collège des directeurs du développement durable, a opté pour des smartphones de seconde main reconditionnés pour ses équipes.
Du côté, du bâtiment et des travaux publics (BTP), qui génèrent « près des 3/4 des déchets produits en France », des initiatives émergent pour réutiliser des matériaux issus d’un bâtiment démoli pour les nouvelles constructions.
« Tous les secteurs d’activité et tous les métiers peuvent être concernés », résume Elora Dos Reis, chargée de mission économie circulaire aux Canaux qui propose un MOOC gratuit dédié à l’économie circulaire appliquée au bâtiment, au design et au mobilier.
Des compétences spécifiques
Dans la filière du réemploi, certains métiers sont accessibles sans diplôme. C’est le cas de l’agent valoriste qui au sein d’une ressourcerie ou d’une recyclerie va mobiliser ses compétences en bricolage pour nettoyer, trier, réparer les objets collectés.
Pour faire face à la concurrence, « les structures vont sûrement de plus en plus être amenées à créer leur plateforme en ligne pour vendre leurs produits de seconde main sur Internet ». Ce qui pourrait également nécessiter, à terme, des besoins en compétences numériques et en e-commerce mis au service du réemploi.
Dans le secteur de la réparation, ce sont surtout des profils de techniciens qualifiés qui vont être recherchés. Avec la nouvelle réglementation qui prévoit d’améliorer la mise à disposition de pièces détachées, « le métier de réparateur d’équipements électroniques et électriques devrait prendre plus d’importance dans les années à venir », prévient Aurore Médieu.
Idem pour les réparateurs cycles qui vont bénéficier de la hausse de la cote de popularité du vélo.
Aujourd’hui, 60 % des réparateurs de cycles interrogés par la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) comptent recruter dans les prochains mois.
Pas de nouveaux métiers mais une façon différente de les exercer
Pour la plupart des emplois, « il ne s’agit pas de nouveaux métiers », détaille Aurore Médieu, « mais de métiers déjà existants exercés par des professionnels capables de mettre leurs compétences au service d’une économie plus circulaire. »
Il faut aussi « remettre en cause ce que l’on pense savoir sur l’environnement », ajoute Béatrice Bellini, maître de conférences en sciences de gestion à l’université Paris Nanterre. « Dans l'économie circulaire, il y a des initiatives vertueuses et parfois de fausses bonnes idées, prévient Valérie Weber-Haddad, économiste à l’Ademe. Certaines initiatives n’ont en réalité pas ou peu d’impact environnemental, voire contribuent à la surconsommation, comme certaines plateformes ou boutiques d'achats et de revente. »
« L’économie circulaire demande de repenser nos façons de produire et de consommer », rappelle Aurore Médieu. Pour une économie vraiment circulaire, « il faut aussi un effort des fabricants à faire de l’écoconception. » Or, les entreprises restent sur un objectif classique, « celui de maximiser les profits », résume Cédric Laroyenne, directeur RSE chez EPSA et membre du C3D, le collège des directeurs du développement durable. Son poste consiste d’ailleurs à « concilier business et enjeux sociaux et environnementaux ». Devenir plus vertueux « demande un courage financier » aux entreprises et aux actionnaires. « D’autant plus que l’impact n’est pas visible tout de suite, c’est parfois un investissement sur 30 ans ou 50 ans », explique-t-il.
Un autre modèle pourrait se dessiner dans les années à venir : « c’est l’économie de fonctionnalité, on ne vend plus un produit mais son usage », résume Béatrice Bellini. On n’est plus propriétaire de son vélo ou de son appareil de musculation mais on les loue. Un moyen qui permettrait d’inciter les industriels « à fabriquer des produits qui durent vraiment plus longtemps et qui puissent être upgradés », défend-elle.
Laura El Feky © CIDJ
Article mis à jour le 29-04-2021
/ créé le 31-03-2021
Crédit photo : Robinson Greig/ Unsplash