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Emily, joueuse de roller-derby : « Lorsque les gens apprennent que je suis championne de France, ils me prennent au sérieux »

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Depuis presque cinq ans, Emily Gauthier s'entraîne deux à trois fois par semaine au roller derby.

Patineuse à la Nothing Toulouse, Emily Gauthier a eu un coup de foudre pour le roller derby lorsqu’elle était petite. À bientôt 25 ans, cette surveillante de collège est devenue une sportive de haut niveau. Du 1ᵉʳ au 3 novembre 2024, elle s'envolera pour Portland (États-Unis) afin de participer aux championnats du monde d'une discipline peu connue.

D’Emily à la Chute

À la ville, Emily Gauthier se fait appeler Emily, ou « pionne », par les collégiens qu’elle encadre la journée. Sur la piste, Emily Gauthier se fait appeler « la Chute ». Un surnom peu reluisant, choisi pourtant de son plein gré comme « derby name » (nom de joueuse), en souvenir de ses premiers entraînements sur patins durant lesquels elle ne parvenait pas « à lâcher le mur ». Comme de nombreuses filles de son âge, Emily a découvert le roller derby à la sortie du film « Bliss », en 2009. Le scénario est simple : Bliss, jeune ado rebelle, ne trouve pas sa place dans les concours beauté de sa campagne texane. Lors d’une virée secrète à Austin -la grande ville voisine- elle découvre une discipline mélangeant la culture punk et le « girl power » : le roller derby. À tout juste 10 ans, les yeux d’Emily s’écarquillent : « Un sport de contact exclusivement féminin, ça me faisait rêver », se souvient-elle. Pour la jeune spectatrice, la trajectoire sera tout autre, car Narbonne, sa ville natale, ne possède pas encore d’équipe. Elle doit attendre ses 17 ans pour se lancer corps et âme dans cette discipline. Elle l’admet volontiers : ce sport a changé sa personne, physiquement, et sa personnalité, timidement. Le quart de siècle approchant, la confiance gagne la sportive, de quoi l'autoriser à affirmer son attirance pour les filles et s’autoriser à aimer son corps. Et voilà, dans un même élan, « la Chute » gagner sa place dans la meilleure équipe de France : la Nothing Toulouse.

Faire du roller sa priorité

Face à des coéquipières qui cumulent parfois des dizaines d’années de derby dans les jambes, Emily a « sérieusement ramé pour raccrocher le niveau ». La patineuse a multiplié les entraînements (deux à trois par semaine), s'est découverte coach d’une équipe d'un niveau inférieur et a surtout adapté ses horaires de travail. De quoi, en trois ans, grimper rapidement les échelons, passant du niveau Nationale 2 à celui d’Élite. « Le derby est devenu ma priorité, et il n’est plus question aujourd’hui de louper un entraînement par flemme ou par envie de boire un verre entre amis. » En juin 2024, la Nothing Toulouse donne tout ce qu’elle a dans le ventre pour enfin décrocher une place aux championnats du monde, les Women's Flat Track Derby Association (WFTDA). Une première dans l’histoire du derby français. Et une pression de plus qui pèse sur les épaules de ces joueuses « loisirs », qui affichent pourtant la carrure de vraies professionnelles. Emily a ressenti, au fur et à mesure des années, ce changement de mentalité : « Lorsque je me rends à l’entraînement, je ne me prépare pas en cinq minutes. J’ai besoin de temps pour me concentrer, et faire redescendre les nerfs ». Cette émotion, Emily a appris à la canaliser avec l'aide d'un psy. En équipe, le rituel d’avant match démarre souvent par une petite séance de sophrologie : « Jouer au haut niveau requiert beaucoup de maturité émotionnelle ». En plus du psy, Emily peut compter sur le soutien de sa mère, la « plus grande fan de l’équipe ». Chez ses proches, sa passion provoque souvent une même interrogation (« roller quoi ? »), avant de susciter une certaine fascination : « Lorsque les gens apprennent que je suis championne de France, ils me prennent au sérieux. »

Le derby, un sport en manque de financement

Aujourd’hui, la blockeuse de la Nothing Toulouse peut se vanter d’être multiple fois championne de France, vice-championne d’Europe et d'avoir été sélectionnée parmi les joueuses des treize meilleures équipes du monde pour batailler aux épreuves mondiales de Portland. Le film Bliss semble alors lointain, tant la bande d'amies a gagné en sérieux et en quête de résultat. Si la discipline reste marquée par un folkore punk associant collants déchirés et slogans politiques, le niveau s'est élevé. Et l’espoir de professionnalisation aussi. Sur le papier, le roller derby se veut économiquement accessible, avec une adhésion annuelle d’une centaine d’euros seulement. Auxquels s’ajoute le coût du matériel, avec casques, protections et patins. À l’image de beaucoup de sports méconnus, la discipline manque de sponsors et d’argent pour financer le déplacement de ses joueuses. « Plus tu joues à haut niveau, plus tu sors de l’argent de ta poche », reconnait Emily. Comptez environ 1 250 € pour un aller-retour à Portland, un coût à multiplier par 22 (le nombre de joueuses et d’accompagnants), pour attendre les 27 500 €. Aussi, pour financer le voyage, la Nothing Toulouse a fait feu de tout bois, allant de la mise en place de cours particuliers à la création d’une cagnotte de dons. Aujourd’hui, et à quelques heures seulement de s’envoler pour les championnats du monde de roller derby, Emily continue d’espérer d'en faire un jour son métier. Battante, si « la Chute » continue de tomber, c’est pour toujours mieux se relever.

Les règles du roller derby, expliquées par Emily. Le match de roller derby se joue sur une piste ovale, qui ressemble vaguement à une piste d’athlétisme en version réduite. Deux équipes s’affrontent, composées chacune de cinq joueuses : quatre blockeuses, dont le rôle est d’empêcher l’équipe adverse d’avancer, et une jammeuse, qui tente de passer devant et marquer des points. Au derby, la connaissance des règles est aussi importante que les compétences techniques. Les décisions se prennent collectivement au sein d’un groupe mélangeant des coachs et des joueuses. Ce sport, assez violent, entraîne des blessures d’usure, comme des doigts cassés, des tendinites et parfois des commotions cérébrales. Importée des États-Unis, il n’existe que depuis une quinzaine d’années en France. Les premières équipes s’entraînaient dans des parkings souterrains ou des zones goudronnées, par manque de piste.

Perrine Basset Fériot © CIDJ
Article mis à jour le 29-10-2024 / créé le 29-10-2024