visuel sante des armees 12/2024

Ça fait grandir Le jour où j’ai emménagé sans mes parents : des étudiants racontent

Odile Gnanaprégassame
Publié le 23-09-2024

En bref

  • La poursuite d’études supérieures conduit parfois les bacheliers à quitter le foyer familial, bien souvent dans un mélange d’appréhension et d’excitation.
  • Sept étudiants livrent leurs expériences sur cette première fois si particulière où ils se sont retrouvés seuls à devoir gérer le quotidien en autonomie.
  • Après le temps passé à prendre ses marques, la satisfaction d’emménager sans ses parents l’emporte.
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Sur 452 000 bacheliers ayant accepté une proposition sur Parcoursup en 2022, 22 % ont quitté leur académie pour poursuivre des études supérieures. Crédit : Manny Moreno - Unsplash
Infographie : en 2021, 21 % des bénéficiaires d'aides au logement étaient âgés de moins de 30 ans.
Un peu plus de deux bénéficiaires d'aides au logement sur dix ont moins de 30 ans. Crédit : Noémie Courchinoux - CIDJ
Caroline, étudiante, a trouvé un logement chez une personne âgée grâce à une association de cohabitation intergénérationnelle solidaire. Crédit : Virginie Gruenenberger - CIDJ
Infographie : les jeunes français quittent le foyer familial à partir de 23 ans en moyenne.
Les jeunes Français quittent le foyer familial à partir de 23 ans en moyenne, soit trois ans plus tôt que leurs voisins européens. Crédit : Noémie Courchinoux - CIDJ
Citation de Mélody : En passant d’une vie à quatre à une vie en solo, je m’attendais à une transition compliquée. Or la solitude m’est apparue comme une nécessité. Je me suis très vite sentie chez moi.
Mélody, 19 ans, a quitté son Alsace natale pour réaliser son rêve de venir étudier à Paris. Crédit : Odile Gnanaprégassame - CIDJ
Citation de Laura : On n’imagine pas la charge réelle de nos parents. Et d’un coup, on doit assurer seul !
Laura, étudiante de 18 ans, envisage de vivre en autonomie sans devoir solliciter ses parents. Crédit : Odile Gnanaprégassame - CIDJ

Dépasser les premières craintes

Au réveil, la confusion règne un bref instant. Un coup d’œil vers la baie vitrée de l’appartement et la mémoire lui revient : « Je suis enfin chez moi ! », réalise Flavie. Après dix-sept ans passés sous le toit de ses parents, elle emménageait alors sans eux. Et à l’entendre évoquer ce souvenir trois ans plus tard, la jubilation éprouvée reste perceptible. L’envol du nid familial s’apparente à un rite de passage tour à tour libérateur et formateur. Une expérience que nous relatent également Nicolas*, Mélody, Cassiane, Côme*, Erell et Laura (* les prénoms ont été changés à la demande des intéressés). Les raisons du départ ? L’éloignement géographique du lieu d’études pour certains, une envie de prendre le large pour d’autres. Son bac en poche à 17 ans, Nicolas s’installe à trois heures de route de sa famille dans un studio situé au sein d’une maison. « Les propriétaires vivant juste au-dessus, ce contexte rassurait ma mère », se remémore l’étudiant actuellement en master. « De mon côté, l’enthousiasme dominait ». Un sentiment identique anime Mélody, 19 ans. Quitter son Alsace natale pour suivre des études à Paris ? Un rêve. Le cursus peu courant qu’elle choisit, une licence de coréen, concrétise son souhait. Direction un studio dans une résidence étudiante. Non sans quelques inquiétudes. « En passant d’une vie à quatre à une vie en solo, je m’attendais à une transition compliquée », confesse-t-elle. « Or la solitude m’est apparue comme une nécessité. Je me suis très vite sentie chez moi ». Sur les bancs de la fac, elle fait connaissance avec Erell et Laura, fraichement débarquées dans la capitale. Et ça matche ! Toutes trois tissent des liens assez vite.

Reconstituer un cercle social et amical demeure la clé de voûte pour s’ancrer dans une nouvelle ville. Et adoucir l’éloignement des proches. Arrivée à Lille en août dernier afin de « vivre une première expérience d’indépendance », Cassiane, francilienne de 19 ans, n’en menait pas large. « C’est déstabilisant de perdre ses repères », reconnaît-elle. En dépit de « moments très difficiles où elle regrette le foyer familial », l’excitation prend le dessus. La jeune femme s’adapte peu à peu à la faveur de la vie étudiante foisonnante de son école de commerce. Quant à Côme, 20 ans, elle qualifie son envol du nid après le bac de « libération ». Elle échappe ainsi à une famille nombreuse où les relations se tendent. Paradoxalement, dans son minuscule logement, elle oscille entre rejet de la solitude et besoin d’entourage. « Je dors beaucoup chez mon copain ou chez des amies. Parfois je m’enferme plusieurs jours dans ma bulle. » Une envie partagée par Flavie, qui, après une colocation calamiteuse, la conduit à réaliser le besoin impérieux d’un chez-soi bien à elle. Quitte à se serrer la ceinture. Pour la plupart d’entre eux, la vie de famille n’induisait pas de contraintes particulières. Ou si peu. « Par égards pour ma mère, je me devais d’être à l’heure pour le dîner », pointe Erell, 18 ans. Tous évoquent la liberté ressentie en emménageant dans leur propre logement. Une sensation qui se heurte parfois à l’intendance du quotidien. « Une fois dans mon appartement, un doute m’a traversée », affirme Laura, 18 ans. Pourtant, peu avare en coups de main à la maison, elle constate : « On n’imagine pas la charge réelle de nos parents. Et d’un coup, on doit assurer seul ! ». Tâches ménagères, courses, alimentation… Il s’agit d’inclure de nouvelles responsabilités dans son rythme de vie.

Parce que s’équiper demande du temps – et de l’argent – emménager rime souvent avec système D. Préparer une omelette avec une casserole ? « Facile », tente Laura, confiante. S’ensuit une longue attente… Avant d’admettre que, non, ça ne fonctionne pas sans le matériel adapté ! Une anecdote dont elle rit encore. Une autre fois, du chocolat fondu au micro-ondes se met à brûler, dégageant une impressionnante fumée. « Sans doute l’ai-je chauffé trop longtemps… », convient-elle. Plus de peur que de mal : son studio de 18 m² est rapide à aérer ! Pour sa part, Mélody angoissait à l’idée de manipuler ses plaques de cuisson. « Les premières semaines je me servais uniquement du feu très doux. » La préparation des repas s’en trouvait inévitablement chronophage. Étrangement, le plus fastidieux à ses yeux consiste à prévoir les menus de la semaine. Impression partagée par Laura dont l’équilibre alimentaire parvient tout de même à survivre. « Je priorise l’achat de légumes, de fruits et de protéines ». Une (bonne) habitude transmise par sa mère. Quand prendre la main sur l’organisation des repas s’apparente presque à une aventure pour les uns, il s’agit pour d’autres de se réapproprier ces moments. Seule à décider du contenu de son frigo, Côme se nourrit désormais sans entrave selon ses convictions végétariennes. Exit les tablées où elle doit supporter de voir engloutis des produits carnés. Flavie, qui revendique un petit appétit, prend ses repas aux horaires qui lui conviennent.

La satisfaction de gérer son temps à sa guise figure en tête des avantages les plus appréciés. Mais quitter le foyer familial à l’âge des expérimentations en tout genre ouvre la voie aux excès. Les nuits de Côme sont ainsi courtes. « Je vis dans une très petite surface, donc je passe beaucoup de temps à l’extérieur, pour étudier ou faire la fête. J’entame rarement ma nuit de sommeil avant 1 heure du matin », analyse la jeune femme qui peine encore à s’imposer un cadre. Une difficulté inconcevable jusqu’ici pour Mélody. « Je baisse un peu la garde et j’oublie de dîner à une heure raisonnable », illustre-t-elle. Novice en matière de tâches ménagères, elle découvre sur le tas. Et apprend vite : « Ça me plaît de prendre soin de mon espace. » Une idée qui prend le temps de faire son chemin dans l’esprit de Nicolas. Il reconnait qu’une « meilleure préparation aurait bénéfique » lui qui s’occupait surtout de sa chambre chez ses parents. Quant à Erell, elle n’oubliera pas sa première lessive. Le fonctionnement de la machine à laver s’est révélé complexe à comprendre. Dans les premiers temps, l’étudiante en langue coréenne appelle beaucoup sa mère. « Internet s’avérait aussi d’un grand secours ! » Pour affronter les difficultés, la vie en résidence étudiante semble un bon compromis. « Lorsqu’une fuite d’eau s’est présentée, je me suis adressée au gardien », raconte Cassiane rassurée de la proximité d’un interlocuteur permanent. Si pour beaucoup d’entre eux leurs parents les soutiennent financièrement, ces jeunes envisagent avec sérieux leurs responsabilités. Ils s’appliquent à gérer au mieux leur budget et ne perdent pas de vue la réussite de leurs études.

Focus

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Commander des repas tout prêts. « Tellement pratique », se dit Nicolas. Oui, mais la réalité de son budget le rattrape. « Les pâtes maison c’est bien aussi ! », note-t-il finalement avec humour. Dans la Ville Lumière où pléthore de restos, sorties et autres activités lui tendent les bras, Erell s’estime toujours en apprentissage en matière de finances. « Je ne regardais pas trop les prix au début, rassurée par mes quelques économies », décrit-elle. « J’ai dû rectifier le tir. » À l’inverse, tétanisée par cette nouvelle responsabilité, Mélody se prive de plaisirs jugés superflus. « De l’histoire ancienne » maintenant qu’elle parvient à une gestion raisonnée de son argent. Illustration ? « Avec mes amies, on aime se poser régulièrement dans des bubble tea. » Une récréation somme toute banale quand on a 20 ans. Or l’apprentissage du budget apparaît comme un point d’achoppement. Pour le surmonter, Laura adopte une technique implacable : la tenue d’un carnet de comptes. « Grâce à ce registre, j’analyse et j’ajuste mes dépenses », commente-t-elle. « Il y a eu des moments casse-gueule, notamment lors de l’installation ! » Ses parents l’aident alors, mais l’étudiante boursière se refuse à les solliciter davantage. Elle envisage une entière autonomie. Une décision qui décuple sa charge mentale. Mais quelles que soient leurs obligations, les interviewés démontrent une volonté de rester focus sur leur cursus. « Ma nouvelle autonomie n’a pas nui à mes études. Sorties, loisirs, je me fixe des limites », confie Cassiane. Selon Côme, son cursus universitaire fait office de boussole : « Peu importe les tourments de ma vie, sur ce point, je gère ».

Avec le recul, que feraient-ils différemment ? La question les désarçonne. « Les erreurs favorisent l’apprentissage », considère Laura. Puis Nicolas de renchérir : « Notre parcours nous emmène là où nous en sommes ». Accepter de se tromper. Reconnaitre ses difficultés. Et les affronter fièrement. Voilà que ces étudiants se muent en philosophes. « Difficile de préjuger de notre capacité à y arriver sans nos parents », estime Nicolas. « Rien ne sert d’avoir peur par anticipation, même si ça se comprend ! », approuve Cassiane. « Je m’en suis finalement mieux sortie que dans mon imagination », proclame Mélody. « Petit à petit, mes angoisses se sont débloquées. » Quitter ses parents reste « une nécessité pour se découvrir soi-même » raisonne Laura. Et gagner en maturité. Cerise sur le gâteau : « Vivre séparés permet de mieux se retrouver », découvre Erell. S’ils ne l’avouent pas toujours, les parents réalisent aussi le chemin parcouru par leurs enfants. « J’observe des changements dans la manière dont ils me perçoivent. Ils acceptent que je peux me débrouiller », atteste Flavie. Le mot de la fin revient à Côme : « On ne se responsabilise pas uniquement par la contrainte, mais aussi par le bonheur qu’on retire de savoir bien cadrer sa vie seul. » À n’en pas douter, cette réflexion illustre bien le grand saut vers l’âge adulte.

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