Témoignage Programmes égalité des chances : un atout pour la poursuite d'études ?

Odile Gnanaprégassame
Publié le 16-06-2024

En bref

  • L’accès aux études supérieures reste compliqué pour certains élèves dont l’environnement n’est pas favorable à la poursuite d’études.
  • C'est pourquoi les programmes Égalité des chances ont essaimé un peu partout en France.
  • Eylem, Mona, Laurent, Alicia et Shérazade, ont intégré des dispositifs Égalité des chances et en retirent un bilan positif, bien au-delà du seul aspect scolaire.
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Un faible nombre d'élèves issus des milieux socio-professionnels défavorisés accède aux grandes écoles, et beaucoup renoncent à poursuivre des études supérieures. Crédit : Pixabay

Confiance en soi et sociabilité

« Je ne pense pas que j’aurais pu accéder à une prépa et à une école de commerce sans la Cordée de la réussite Artem Réussite », raconte Eylem, 20 ans, étudiante à ICN Business School Nancy. « C’est mon professeur qui a insisté pour que je candidate au programme Égalité des chances. Moi, je n’y croyais pas », se souvient Mona, étudiante en 5ᵉ année à l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier. « La cordée Égalité active m’a apporté la confiance en moi et a développé ma sociabilité », affirme Laurent, 17 ans, en 1ʳᵉ STMG dans les Hautes-Pyrénées. « Le stage Égalité des chances de la fondation Culture & Diversité m’a aidée à prendre conscience du travail que je devais faire pour intégrer une prépa », explique Alicia, 19 ans, étudiante à l’École nationale supérieure d’art de Bourges. Shérazade, en L3 de sciences politiques à l’université de Montpellier, estime quant à elle que le programme Dispo lui a « beaucoup apporté ». À leur création en 2008, les Cordées de la réussite étaient un dispositif destiné aux élèves avec un bon niveau qui ne s’imaginaient pas poursuivre dans des filières qu’ils jugeaient inaccessibles. Aujourd’hui, le dispositif a évolué et se destine à accompagner les élèves éligibles dans leur projet d’orientation, quel que soit leur niveau. « Nous accompagnons les élèves en zone rurale ou en périphérie urbaine qui n’ont pas un environnement favorable pour se projeter dans l’enseignement supérieur », déclare Philippe Sessiecq, conseiller technique Cordées auprès du recteur de l’académie de Nancy.

Focus

Un impact encore faible sur l'ouverture des grandes écoles à la diversité

Les programmes Égalité des chances sont destinés à compenser un fait notable : peu d’élèves issus des catégories socio-professionnelles défavorisées accèdent aux grandes écoles et un certain nombre d’entre eux ne poursuivent pas en études supérieures. Or, ces programmes semblent avoir un faible impact sur l’ouverture des grandes écoles à la diversité, selon une étude de l’Institut des politiques publiques. Tout au plus 10 % de ces élèves accèdent aux grandes écoles et cela n'aurait quasiment pas évolué de 2006 à 2016. Pour un effet significatif, il faudrait, entre autres, augmenter considérablement le nombre d’élèves qui accèdent à ces dispositifs. Le rapport Diversité sociale et territoriale dans l’enseignement supérieur, commandé par le ministère de l’Enseignement supérieur, préconise même d’ouvrir toutes les formations du supérieur à des quotas.

« Des élèves sont parfois bridés par leurs professeurs ou leur famille. L’objectif est de leur montrer qu’ils sont capables d’ouvrir leurs horizons pour qu’ils ne se limitent pas dans leurs projets et de trouver la bonne voie pour arriver au but fixé », souligne Nicolas Parada, 21 ans, étudiant à ISN Business School Nancy et ancien président de l’association Artem Réussite. Avec une dizaine de programmes Égalité des chances, la fondation Culture & Diversité œuvre depuis 15 ans à l’ouverture sociale des écoles d’art et de la culture. « Avec les élèves que l’on accompagne, nous travaillons beaucoup sur la confiance en soi, sur le sentiment de légitimité. Quand nous les amenons dans les écoles dans le cadre de la semaine de stage, nous leur disons « vous avez votre place ici », explique Saïd Berkane, délégué général adjoint de la fondation Culture & Diversité. « Parfois, certains lycéens ont juste besoin d’un coup de pouce pour leur donner confiance et l’envie de continuer », observe Shérazade, ancienne élève Dispo et aujourd’hui tutrice et en service civique en tant que gestionnaire de tutorat. Le programme Égalité des chances Dispo, porté par Sciences Po Toulouse, est labellisé Cordée de la réussite depuis 2008. Il s’inscrit dans le programme d’études intégrées (PEI) mené par le réseau Sciences Po (Aix-en-Provence, Lille, Lyon, Rennes, Saint-Germain-en-Laye, Strasbourg et Toulouse) depuis 2006. « La préparation au concours d’entrée à Sciences Po n’est pas l’unique objectif. Dispo aide les élèves à se projeter dans l’enseignement supérieur », précise Shérazade.

Tous ces programmes Égalité des chances ont un point commun : les élèves sont accompagnés par des étudiants. La proximité dans l’âge et dans le parcours de vie facilite les interactions. « J’ai en tête l’exemple d’une élève qui était passionnée par le dessin, mais ne s’investissait pas au niveau scolaire, au grand dam de ses parents qui de surcroît percevaient mal cette passion. La visite d’un laboratoire dans une école lui a permis de réaliser que le dessin pouvait être traduit par le numérique. Cette élève s’est alors intéressée aux écoles d’ingénieurs qui forment au numérique. Elle a compris l’intérêt de maîtriser les maths en plus du dessin et ses résultats ont changé. Aujourd’hui, elle travaille dans l’animation 3D », raconte Philippe Sessiecq qui précise que le travail d’information se fait aussi auprès des parents. Immersion en école ou à l’université, visites d’entreprises, rencontres avec des professionnels… Les actions menées par les différents programmes visent le même objectif : se familiariser avec l’environnement des études supérieures, acquérir une méthodologie de travail, apprendre à s’exprimer à l’oral… À côté de cela, elles aident aussi les collégiens ou lycéens à développer leur culture générale, à rencontrer des élèves de différents horizons, à travers des sorties, des voyages, des séjours. 

« Je préparais un bac STMG, je savais que je voulais travailler dans le secteur du commerce, mais je ne pensais pas faire des études longues », se souvient Eylem. Avec la cordée, elle a fait une immersion d’une journée en classe prépa, encouragée par sa professeure de marketing. « L’enseignant nous a fait cours comme si nous étions en première année de prépa. Cela m’a fait réaliser que le niveau demandé était accessible pour moi. » La jeune femme postule alors pour « une petite prépa » sur Parcoursup où elle est admise dès la première phase. L’immersion, c’est aussi le principe des programmes Égalité des chances de la fondation Culture & Diversité. Les élèves sélectionnés participent à un stage d’une semaine au sein d’une école partenaire où ils réalisent un projet en groupe, aidés de professeurs et d’étudiants. Ce stage a permis à Mona et Alicia d’y voir plus clair dans leurs choix. Passionnée par le dessin et les maquettes depuis le collège, Mona est parvenue, non sans difficulté, à intégrer un bac pro technicien d’études du bâtiment, option assistant d’architecte. « Le conseiller d’orientation m’avait dit que je n’avais pas le niveau, j’ai donc été par défaut en bac pro construction bois pendant six mois, avant de demander à changer », raconte l’étudiante en architecture. Repérée par sa professeure, Mona remplit un dossier de candidature pour accéder au stage Égalité des chances. Il s’agit d’un dossier de motivation qui précise les centres d'intérêt du candidat, en plus d’une analyse architecturale concise. « Lors du stage, on a eu une longue séance de préparation au concours avec différentes écoles. Je dois dire que ce concours me faisait peur, j’avais l’impression qu’étant en bac pro, je ne correspondais pas au profil. Puis j’ai décidé de ne passer que le concours de l’école d’architecture de Montpellier, car je n’avais pas les moyens de bouger ailleurs en France. Et j’ai été reçue ! En fait, le concours était basé sur notre personnalité plutôt que sur le cursus antérieur. »

Lorsqu’elle entend parler du stage Égalité des chances, Alicia est en terminale bac pro réalisation de produits imprimés et plurimédia, option productions graphiques et hésite entre une école de commerce et une école d’art. « La semaine de stage aux Arts Déco s’est bien passée, on avait un workshop sur le thème "l’homme et l’animal". Mais lors de la simulation de l’entretien d’admission, ça s’est mal passé. Le jury m’a dit que le style de dessin que je proposais ne correspondait pas aux beaux-arts », détaille l’étudiante. Pas de quoi la faire renoncer pour autant. Elle s’engage alors vers une prépa, car elle reconnaît que son bagage en histoire de l’art ou ses connaissances sur la façon de monter un projet sont limitées. « J’ai été admise à plusieurs d’entre elles et cela m’a confortée dans mon choix. » Eylem a beaucoup apprécié les sorties culturelles rendues possibles par sa cordée. « Notre groupe a participé au comité éthique à Paris. Nous avons débattu avec des élèves de milieux favorisés, comme des enfants d’ambassadeurs, devant un amphithéâtre plein… Pour moi qui viens d’une petite ville et d’un lycée de ZEP, c’est une expérience marquante. J’ai eu l’impression d’être écoutée, ça m’a fait mûrir. » « Peut-être que si je n’avais pas fait toutes ces activités et sorties culturelles, je n’aurais pas suivi les études que j’ai faites. Ces expériences m’ont ouvert l’esprit », estime Shérazade qui a suivi le programme Dispo de la seconde à la terminale. 

« Ma première année de participation, j’ai eu la chance de faire partie du groupe qui a gagné le premier prix, un voyage linguistique en Angleterre. C’est quand même quelque chose qui marque. » Le programme Dispo accompagne des élèves de la 3ᵉ à la terminale. Chaque année est fédérée autour d’un projet de groupe. En seconde, les élèves doivent préparer une présentation orale à partir d’un thème donné. En première, lors de tables rondes, ils rencontrent des représentants du monde économique, culturel et institutionnel, pour exposer leur projet professionnel. L’année de terminale est consacrée à la préparation à l’entrée dans les études supérieures et à Sciences Po pour ceux qui souhaitent passer le concours. « Quand j’ai intégré la cordée de la réussite en 3ᵉ, je ne pensais pas que ça allait m’aider à ce point pour mon orientation », raconte Laurent qui souhaite devenir avocat, mais craint les longues études. « J’ai notamment pu participer à une visioconférence qui présentait les études et les métiers dans le domaine du droit et de la justice. Cela m’a permis d’y voir plus clair ». Le lycéen a opté pour un BUT carrières juridiques dans un premier temps car « c’est plus encadré que la licence de droit ». « D’un côté, je suis confiant, mais il y a toujours des doutes », exprime-t-il. « Je ne sais pas si ces études vont me plaire, alors je vais voir si c’est possible de faire une journée d’immersion en IUT ».

« J’ai vite compris que j’étais à ma place. Même si je ne maîtrisais pas la dissertation, j’avais des facilités avec l’informatique et les logiciels d’architecture. Dès le premier semestre, je me suis rendu compte que je faisais partie de la moyenne attendue en école d’architecture », déclare Mona. Selon Saïd Berkane, les étudiants n’ont pas de difficulté d’intégration, mais plutôt des difficultés méthodologiques : « Ces études sont compliquées en première année, mais cela suit la même logique pour tout type d’études. De plus en plus, les écoles mettent en place des accompagnements en première année. L’Institut national du patrimoine propose un accompagnement en sciences, l’École du Louvre propose du tutorat pour apprendre à rédiger une dissertation, prendre des notes à partir d’un livre d’histoire de l’art, par exemple. » La fondation Culture & Diversité accompagne les élèves qui entrent dans ses programmes Égalité des chances sur une dizaine d’années, jusqu’à l’insertion professionnelle. « Je dirais que le pari des études est relevé. Les boursiers sont représentés dans ces écoles, cela veut dire qu’elles reflètent la réalité. En revanche, il faut des dispositifs d’accompagnement, notamment au niveau matériel et logistique, car beaucoup quittent leur région et cela occasionne un surcoût », souligne Saïd Berkane. La fondation propose des bourses et des aides au logement. « Sans ces aides, je n’aurais pas pu faire ma prépa », affirme Alicia.

« Quand je suis arrivée en prépa, j’étais intimidée par le bagage culturel des autres élèves, mais j’ai compris qu’il est possible de rattraper son retard, et qu’on apprend aussi tous ensemble », confie Eylem, devenue tutrice. « Quand un élève me pose une question sur mon parcours, je lui réponds, mais je ne lui montre pas que c’est la voie à suivre. L’idée de la cordée, c’est de trouver la voie qui nous correspond ». La jeune femme « ne veut pas vendre du rêve et ne se pose surtout pas en exemple ». Pour ne plus être confrontée à la problématique du coût de l’école et se professionnaliser, elle envisage de continuer son cursus en l’alternance. Tous n’accèdent pas à leur premier choix. Shérazade n’a pas eu le concours d’entrée à Sciences Po Toulouse. « Lors de la préparation du concours, j’ai vu mes lacunes en dissertation. » Elle a opté pour une licence de sciences politiques à la fac de Lille. « J’ai remarqué que nous avions les mêmes cours et à 80 % les mêmes enseignants que Sciences Po Lille et, pour certains, Sciences Po Paris. Nous avions la possibilité d’utiliser la BU de Sciences Po Lille qui est très bien fournie », analyse Shérazade. « Le véritable plus de Sciences Po, c’est l’année de mobilité obligatoire. À la fac, c’est très difficile de pouvoir en faire une », regrette-t-elle. Il est difficile d’évaluer les résultats des différents programmes Égalité des chances qui sont proposés sur le territoire. « La cordée Artem Réussite a sollicité deux services civiques pour mettre en place un indicateur afin d’évaluer l’impact de nos actions », annonce Nicolas Parada. « En moyenne, un élève sur deux intègre une école partenaire », indique Saïd Berkane. « Parmi ceux qui échouent aux concours, trois sur quatre continuent dans des études artistiques et culturelles. » La fondation va lancer une évaluation sur l’insertion professionnelle des étudiants accompagnés.

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