Métiers Infirmier : un métier qui fait rêver sur le papier, et déchanter dans la réalité

Odile Gnanaprégassame
Publié le 04-04-2024

En bref

  • Chaque année sur Parcoursup, les demandes de formation au métier d’infirmier caracolent en tête des voeux.
  • Or, la moitié des jeunes diplômés en soins infirmiers ne recommanderait pas ce métier.
  • Une désillusion attribuée au décalage entre la formation et les réalités du terrain.
etudiant_infirmier_doute_reforme_2024_spleen_difficile.webp
Infirmier : un métier qui fait rêver, mais aussi déchanter Crédit : Wavebreakmedia

Des étudiants qui déconseillent de suivre leur exemple

Douche froide. En décembre 2023, l’Ordre national des infirmiers (Oni) révélait les résultats d’une consultation menée auprès de 35 000 professionnels en exercice. Objectif ? Recueillir leur sentiment quant à leur formation, soit de prendre le pouls d’un secteur… qui ne va pas fort. Bilan ? Un jeune diplômé sur deux estime que la formation constitue un motif de désenchantement qui les conduit à ne pas recommander leur métier à leur entourage. Tous niveaux d’expériences confondus, cette proportion grimpe même à 63 %. Dans le détail, les répondants estiment que les missions occupées sur le terrain apparaissent en décalage avec le contenu de l’enseignement théorique reçu dans leur institut de formation en soins infirmiers (IFSI). Et de pointer du doigt les conditions d’apprentissage (70% des interrogés) avec en ligne de mire un accompagnement insuffisant au cours des études. Si bien que près de sept diplômés sur dix, depuis moins de cinq ans, déclarent avoir songé à abandonner le cursus, quand 10% des étudiants jettent l’éponge dès la première année. Cette consultation met aussi en lumière le manque de soutien ressenti dans cette profession dès les premiers pas au contact des patients pour 41 % des diplômés. Mais ces professionnels ne sont pas pour autant désinvestis. Bien au contraire, conscients des difficultés à dépasser dès le parcours de formation, 69 % se disent prêts à endosser une fonction de tuteur auprès des étudiants.

Abandon des études par les étudiants infirmiers
 

Dans un « contexte de difficultés d’accès aux soins et [de] vieillissement de la population » et au regard des résultats de cette consultation, l’Ordre national des infirmiers formule des propositions d’évolution de la formation. Il préconise de réformer le décret infirmier axé actuellement sur les actes pour établir un décret axé sur les missions réelles et quotidiennes des infirmiers. Afin de mieux appréhender les différentes structures d’exercice et leurs particularités, l’instance souhaite diversifier les lieux de stage. En parallèle, elle entend faciliter le tutorat en permettant aux professionnels de bénéficier de temps dédiés et d’une reconnaissance de cet engagement. Selon l’Ordre des infirmiers, les IFSI devraient s’assurer des conditions d’accueil de leurs étudiants en stage et offrir un accompagnement plus personnalisé. Pour ce qui relève des compétences acquises au cours de la carrière, l’Oni plaide pour un renforcement de la validation des acquis de l’expérience (VAE) et de la validation des acquis professionnels. Avec pour ligne directrice le maintien de la qualité et de la sécurité des soins. En mai dernier, le ministère chargé de la Santé annonçait une refondation du métier d’infirmier et de son cadre d’exercice. « La lutte contre le décrochage et la sécurisation des parcours individuels, de la sélection à l’intégration professionnelle, est érigée en priorité pour que tous les étudiants qui ont choisi ce métier l’exercent », peut-on lire sur le site gouvernemental.

Professionnels inscrits à l'Onfi
 

Revue et améliorée, la formation devrait entrer en vigueur à la rentrée 2024 même si les travaux de refonte demeurent en cours. Dans un entretien accordé au média spécialisé Infirmiers.com, Pauline Bourdin, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers reconnaît que « la répartition des enseignements n’est pas pertinente sur les 3 années d’études ». Elle milite ainsi pour une accélération de l’universitarisation de la formation en soins infirmiers qui « reste solidement ancrée au sein des IFSI et pâtit par conséquent d’un certain nombre de limitations ». Elle relève notamment que le recours en cas de refus à un master « n’est pas acquis pour les étudiants infirmiers ». Cette refonte contribuera-t-elle à limiter les abandons ? Au sein de la promo 2019-2022, seuls 61 % sont sortis diplômés. Et 10 % ont quitté la formation dès la première année. Dans un entretien accordé au CIDJ (lire ci-dessous), Philippe Thevenon, directeur de l’IFSI-IFAS de Saint-Lô, reconnaît qu’un certain nombre d’étudiants ne supportent pas le choc du premier stage qui intervient après deux mois de cours. Reste que l’idéalisation du métier conduit à des records de demandes de formation en IFSI sur Parcoursup : 658 000 en 2023. Ce qui place cette formation en deuxième position après le Parcours accès santé. Depuis 2024, le test d’auto positionnement, non communiqué aux établissements, est rendu obligatoire sur la plateforme. En y répondant, les candidats en IFSI testent leurs connaissances et leur compréhension du métier. Toujours est-il que les besoins restent très importants. Fin 2023, le ministère chargé du Travail soulignait les tensions sur le marché pour un certain nombre de métiers, dont celui d’infirmier. Et l’INSEE de rappeler qu’en 2040, il y aura 51 personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, soit 14 de plus qu’en 2021.

Focus

Focus. 
Trois questions à Philippe Thévenon, directeur de l’IFSI-IFAS de Saint-Lô dans la Manche.

Les étudiants s’attendent-ils à une formation avec une partie théorique si dense ? 
Les néobacheliers s’attendent à une formation qui se déroulerait essentiellement sur le terrain, or, elle comprend 50 % de cours théoriques. Les disciplines abordées en début de formation sont fondamentales pour le métier avec beaucoup de sciences, et cela reste abstrait pour un certain nombre d’étudiants. Ils vont suivre de nouvelles matières couplées à des matières déjà plus ou moins abordées au lycée. On va leur demander de solliciter des connaissances en sciences naturelles, en sciences du vivant, en mathématiques. Pour ceux qui ne proviennent pas d’un bac scientifique, il peut être difficile de suivre, surtout qu’une grande partie des élèves présentent un niveau insuffisant en arithmétique et en français. Je rappelle que les infirmiers établissent des dosages de médicaments tous les jours ainsi que des transmissions. Dans mon IFSI, comme dans d’autres, nous mettons en place des cours de remise à niveau. Cette charge de travail importante explique pour moitié les abandons lors du premier semestre, car il faut être prêt à travailler dur. Si un candidat n’a pas l’habitude de travailler régulièrement, se contente de bachoter la veille d’un examen, il va vivre très difficilement les premières semaines de cours.

Le premier stage constitue un test décisif ? 
Après deux mois de cours intensifs arrive le premier stage d’une durée de quatre semaines. Si les étudiants ont conscience qu’il s’agit d’un métier difficile, qui plus est mal payé, la première incursion en milieu professionnel reste pour beaucoup un choc. Ils n’imaginent pas ce qu’implique d’approcher une personne malade, ou un résident d’Ehpad, pour réaliser une toilette ou un soin. Ils entrent dans l’intimité de ces personnes. Et se trouvent confrontés à la maladie, à la perte d’autonomie, à la détresse sociale. Quand ils réalisent ce qui les attend durant leurs 3 années d’études puis dans leur vie professionnelle, beaucoup ne le supportent pas et quittent la formation. Pourtant, nous les préparons à ce stage durant toute une semaine. Nous leur expliquons ce à quoi ils seront confrontés. L’apprentissage du métier d’infirmier mobilise aussi bien des compétences scientifiques que des compétences en sciences humaines. Il faut être solide psychologiquement pour se confronter à la réalité du vieillissement, qui constitue un pan principal du métier d’infirmier. Si certains candidats ont déjà côtoyé un membre de leur famille ou un grand-parent malade, cela leur donne le sentiment d’une première approche. Mais pour savoir si l’on est capable d’encaisser psychologiquement, exercer un job au sein d’un Ehpad l’été peut se révéler très utile et concret. Attention, il ne s’agit pas d’un prérequis pour postuler, mais d’une aide afin de ne pas se tromper de voie. La réorientation au premier semestre concerne tout de même 12 % des effectifs au niveau national. Ceux qui dépassent ce cap poursuivent sans difficulté majeure.

Comment réussir sa candidature en IFSI sur Parcoursup ? 
Alors que nous recevions auparavant les lycéens pour un entretien, nous ne les rencontrons plus. Nous avons uniquement affaire à leur dossier. Le test d’auto-positionnement, proposé par Parcoursup depuis 2023, est une bonne initiative. Il permet aux candidats de se rendre compte de certaines contraintes liées au métier. Si tous les bacs ont leur chance, nous recherchons des candidats avec un bon niveau académique, capables de travailler en équipe et présentant des qualités d’empathie. Nous exerçons un métier de service. Détenir un bac scientifique mention très bien, mais ne pratiquer aucune activité collective ne suffit pas. Je préfère un candidat investi dans des actions de bénévolat ou dans un sport collectif, avec peut-être un moins bon dossier académique, mais dont les professeurs ont noté dans leurs appréciations sa capacité à s’investir et à redoubler d’efforts. Un conseil : soigner la lettre de motivation, tout en restant sincère et naturel dans ses propos. Et puisqu’elle est limitée en longueur, il faut se concentrer sur le parascolaire. Expliquer en quoi on a pu prendre plaisir à participer à une banque alimentaire, à exercer du rugby ou à chanter au sein d’une chorale par exemple. Cela donnera à voir une disposition à apporter un engagement individuel au service de la communauté. De quoi faire la différence entre deux candidats.

Nous rencontrer Nous rencontrer

Le réseau Info jeunes est accessible à tous les publics (collégiens, lycéens, étudiants, salariés, demandeurs d'emploi...) mais aussi à leurs parents, à leurs enseignants et à tous les travailleurs sociaux. L'accès est libre et gratuit.