Enquête Étudiants des Outre-mer : faire ses études en métropole, une chance ou une contrainte ?

Odile Gnanaprégassame Odile Gnanaprégassame
Publié le 06-05-2019

En bref

  • Chaque année, des milliers d’étudiants des Outre-mer quittent le territoire où ils résident pour venir faire leurs études supérieures en métropole. Comment vivent-ils cet exil loin de leur famille et de leurs repères ?
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Étudiants des Outre-mer : faire ses études en métropole, une chance ou une contrainte ? Crédit : Pixabay

« Il y a des moments où je baissais les bras et je souhaitais rentrer à la maison », confie Annecie, 19 ans, en deuxième année de licence à l'université de Rennes. « La plus grande difficulté, c’est apprendre à vivre seul en gérant le quotidien et les études en parallèle », confie Mathieu, 20 ans, en première année de licence d'histoire à l’université de la Sorbonne à Paris. Ces paroles pourraient être prononcées par tout étudiant qui a quitté le nid familial pour suivre des études supérieures. Un moment marquant pour chaque lycéen, en particulier lorsque cela induit une mobilité. Mathieu le reconnaît : « être étudiant, c’est ça aussi. Mais ce qui nous différencie des autres étudiants, c’est la distance qui sépare notre lieu d’études et notre famille. On ne peut pas rentrer le week-end. » La particularité de ces étudiants ? Ils sont ultramarins. Mathieu et son frère Valentin, 23 ans, ont quitté La Réunion après le bac, tout comme Annecie. C'est la Guadeloupe que Jôsl'ie-Fritz, 21 ans, a laissée derrière elle.

Le départ est quasi obligatoire pour les quelque milliers de bacheliers des Outre-mer qui souhaitent poursuivre des études supérieures. En cause, le manque de formations proposées au niveau local. Pour le master par exemple, il en est proposé 35 à La Réunion, 28 en Guadeloupe, 9 en Guyane, 9 en Polynésie française, 8 en Nouvelle-Calédonie… et aucun à Mayotte. Pour comparaison, 827 masters sont proposés en Île-de-France, 148 en Normandie, 285 dans les Hauts-de-France... Même en débutant un parcours d’études au sein d’une université locale, il faut se rendre en métropole pour continuer ses études. Alors beaucoup arrivent dès qu’ils obtiennent leur bac.

« Ça été un choix difficile de quitter ma famille à 17 ans, raconte Annecie. Je n'ai jamais vécu ailleurs. Je m'étais préparée à intégrer une fac à Paris, j’y étais déjà venue en vacances quinze jours et j’ai de la famille dans la région, mais j'ai été refusée. Il a fallu me réorganiser. Les débuts à Rennes ont été difficiles. » Titulaire d'un Abibac (double bac français et allemand), Annecie a souhaité poursuivre des études qui lui permettent d'utiliser cette langue. Son choix se porte sur le droit franco-allemand, une filière qui n'est pas proposée à La Réunion. Après une prépa grandes écoles en région parisienne, Mathieu choisit de faire une licence d'histoire. La filière étant saturée à l'université de La Réunion, il opte pour la Sorbonne. Jôsl'ie-Fritz et Valentin ont voulu faire Sciences Po. Venir en métropole était donc incontournable. « J'ai fait le choix de cette grande école qui me permet d'avoir un peu le temps de réfléchir à ce que je veux faire par la suite », déclare Jôsl'ie-Fritz. L'aspect pluridisciplinaire de Sciences Po a également séduit Valentin.

L'éloignement ajoute une difficulté supplémentaire quand on sait que la réussite des études repose aussi sur le soutien que peut procurer l’entourage proche, famille et amis. « C'est frustrant de voir les étudiants rentrer chez eux pour le week-end, confie Annecie. Heureusement, ma famille me soutient et arrive à me remonter le moral à distance. » « Alors qu'on constate une baisse des prix des billets d'avion, ceux pour les territoires d'Outre-mer restent élevés », souligne Valentin. Une situation qui ne permet pas à tous de rentrer voir leurs familles durant l'année, ni aux familles de rendre visite à leurs enfants. « Ce qui est très dur à vivre aussi, c’est de passer les fêtes de fin d’année loin de sa famille », assure Annecie.

Pour pallier cet inconvénient majeur, le "passeport mobilité études" a été mis en place. « Il est accordé aux étudiants des Outre-mer titulaires du bac, sous condition de ressources du foyer fiscal des parents, et à condition que la formation ne soit pas proposée sur le territoire local ou saturée », indique Laura Bourgninaud de LADOM, l’agence des Outre-mer pour la mobilité qui gère ce dispositif pour les Dom, St Barthélémy et St Martin. « Les étudiants bénéficient chaque année d’un billet d’avion aller-retour pour rentrer chez eux, financé à 100 % pour les boursiers, à 50 % pour les non-boursiers », précise-t-elle.

Attention cependant, non utilisé, ce billet est perdu car il n’est pas possible de cumuler cette aide d’année en année. Il arrive parfois, pour cause de stage par exemple, que certains étudiants ne rentrent pas de l’année. D’autres travaillent l'été pour renflouer leur porte-monnaie. Valentin, en master 1 à Sciences Po Grenoble, arrive à se débrouiller en travaillant de manière ponctuelle. « Je suis boursier, c'est vrai qu'après avoir payé le loyer de ma chambre et mes courses du quotidien, il me reste peu pour les loisirs. Mais ça va, je reste concentré sur mes études. Je profite de l’offre culturelle de mon école, comme les conférences », déclare-t-il. Pour Jôsl'ie-Fritz, en première année de master à Sciences Po Paris, l'aide de ses parents est précieuse : « J'ai la chance qu'ils financent mes études, reconnaît-elle. Je n'ai pas besoin de travailler pendant l'année comme beaucoup d'étudiants ultramarins. » Logée dans une résidence étudiante privée, elle évoque la problématique du logement pour ces étudiants.

Des chambres en cité universitaire sont, chaque année, réservées aux étudiants des Outre-mer, « mais cela ne suffit pas », déplore-t-elle. Surtout en région parisienne, et en particulier à Paris. Les jeunes doivent alors se débrouiller comme ils peuvent. « Certains se voient refuser leur caution parentale par des propriétaires sous prétexte que leurs parents ne vivent pas sur le territoire métropolitain, précise Valentin. Même si cela a été interdit. Il faut bien se rendre compte que c'est un choc de se retrouver sans logement pour un jeune de 17, 18 ans qui a traversé le globe pour venir faire ses études. C'est une énorme entrave à sa réussite. »

« En tant qu’ultramarins, nous sommes tous différents, mais nous connaissons en partie les mêmes difficultés », résume Mathieu. « Quand on arrive, on découvre de nouveaux codes, un univers qui est différent de ce que l’on connaît », renchérit Valentin. Annecie a perçu "un choc culturel " entre La Réunion et la métropole : « on doit faire un travail sur nous-mêmes, ne pas se laisser aller même si on n’a pas confiance en nous. On est obligé de faire avec, on n’a pas le choix, c’est une contrainte ». « Venir étudier dans une ville comme Paris peut être impressionnant pour un jeune qui vient de la Guadeloupe », accorde Jôsl'ie-Fritz. La jeune femme est habituée à quitter sa Guadeloupe natale, elle a vécu et étudié à l’étranger (Espagne, Italie, Angleterre) lors des mobilités professionnelles de ses parents. Mais, à son arrivée à Paris, elle dit avoir été étonnée du manque de connaissance concernant les Outre-mer. « On m’a demandé si j’étais passée par la procédure internationale pour intégrer Sciences Po, d’autres m’ont demandé si on a accès à Internet en Guadeloupe ! », raconte-t-elle, amusée.

« On constate que certains étudiants ultramarins sont accueillis avec les étudiants internationaux alors qu’ils sont français ! », s’exclame Valentin. À Sciences Po, la 3e année doit s’effectuer dans une université partenaire à l’étranger. Jôsl'ie-Fritz a choisi de la passer à Miami, pour rentrer plus facilement dans son île (!), mais pas que. « Miami et la Guadeloupe connaissent des préoccupations climatiques, biologiques et sociologiques comparables. De plus c’est une ville très cosmopolite », explique-t-elle. Pour accompagner les futurs étudiants réunionnais, Valentin a créé avec des amis l’Union des étudiants réunionnais de l’Hexagone (UERH), implantée dans plusieurs villes comme Toulouse, Rennes, Paris. « Pour mieux accueillir et soutenir ces étudiants et atténuer le déracinement, car c’est comme ça que nous le vivons pour la plupart », précise le jeune homme qui aurait aimé pouvoir bénéficier d’une aide à son arrivée. « Chaque solution trouvée diminuera les difficultés des prochains étudiants réunionnais », déclare Mathieu.

Jôsl'ie-Fritz s’est engagée au sein de l’association de son établissement Sciences Ô. « Il me semble primordial de travailler à ce que les ultramarins soient reconnus en tant que Français à part entière et de faire connaître davantage les problématiques des Outre-mer », affirme l’étudiante. Sciences Ô prépare notamment les lycéens de la Martinique et de la Guadeloupe au concours d’entrée à Sciences Po. « Aux Antilles, beaucoup ne connaissent pas cette école ou pensent ne pas pouvoir y accéder, il y a peu d’aides pour se préparer. Nous accueillons ces jeunes à Paris durant une semaine, nous organisons des oraux blancs ainsi que des sorties culturelles pour leur apporter le plus de connaissances possible. Les jurés des oraux aiment poser des questions sur la dernière exposition visitée par exemple ».

L’association Sciences Ô, qui souhaite lier les territoires métropolitain et ultramarins, organise des événements et des conférences. « Certaines problématiques sont les mêmes, d’autres sont spécifiques aux Outre-mer. Mais c’est dommage, on ne touche pas encore assez un public métropolitain », regrette Jôsl'ie-Fritz. De son côté, l’Union des étudiants réunionnais de l’Hexagone organise aussi des conférences et débats sur les enjeux des Outre-mer, ainsi que des after-work pour faire se rencontrer les jeunes réunionnais en métropole.

« La mobilité est de moins en moins bien vécue », analyse Valentin dont le souhait est de rentrer une fois diplômé. Devoir faire ses études en métropole est considéré comme une injustice – pourquoi devrais-je quitter mon territoire pour mes études supérieures ? – mais aussi comme une opportunité. « Étudier dans une université prestigieuse comme la Sorbonne est une chance. C’est plaisant d’être étudiant à Paris où tout est à portée, les bibliothèques ouvrent tard, il y a une grande activité culturelle… », s’enthousiasme Mathieu. « J’ai gagné en maturité et en confiance. Je n’aurais sans doute pas autant mûri si j’étais restée à La Réunion. Les difficultés ont fait que j’ai réalisé beaucoup de choses. En même temps, j’ai fait découvrir à mes amis la culture de La Réunion », rapporte Annecie.

Paradoxalement, c’est être en métropole qui a fait prendre conscience à ces deux jeunes étudiants des problématiques liées à La Réunion. « Être étudiant ultramarin c’est aussi ne pas être sûr de pouvoir rentrer chez nous pour y travailler et y faire notre vie », déplore Mathieu. Le taux de chômage des jeunes dans les Dom-Tom est plus élevé qu’en métropole et ces territoires font face à une fuite des cerveaux. Mais Jôsl'ie-Fritz remarque aussi que beaucoup d’étudiants restent pour s’occuper des problématiques locales. « La Guadeloupe est confrontée aux algues sargasses qui envahissent les plages au point de nuire au tourisme. Un groupe d’étudiants travaille actuellement à les transformer en carburant mais ils manquent de financement », détaille-t-elle.

Tous les quatre ont pour projet de rentrer un jour dans leur île respective avec pour ambition de travailler au développement de ces territoires. « Je souhaite participer au développement de l’enseignement à La Réunion afin que la mobilité étudiante reste un choix et non une obligation », déclare Mathieu. « Je ne pense pas pouvoir rentrer tout de suite. Il faut que j’acquière une expérience professionnelle significative avant, estime Annecie. Je pense que ça prendra une vingtaine d’années avant de rentrer. » Jôsl'ie-Fritz mise également sur ce délai : « en attendant, je peux aussi être utile à la Guadeloupe en restant travailler en métropole ».

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