- Témoignage
Témoignage d'un artificier : la rencontre de l’artistique et de la technique
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Bertrand Julhès est artificier et président de la société de pyrotechnie « Fêtes et feux ». Il revient sur ses expériences et délivre quelques conseils pour exercer ce métier
Tombé dans l’artifice un peu par hasard, à la suite d’une rencontre, Bertrand Julhès est aujourd’hui artificier et président d’une société de pyrotechnie. « Je suis né un 14 juillet. Finalement c’était peut-être un signe du destin » raconte-t-il. « Ce que j’aime, c’est sublimer un lieu grâce à l’artifice ».
Le feu d’artifice a connu ses lettres de noblesse sous Louis XIV qui montrait sa grandeur à l’occasion de soirées au château de Versailles. « J’aime garder cette culture de l’artifice, d’en mettre plein la vue mais surtout de l’associer aux techniques modernes qui permettent un feu plus précis » explique l’artificier.
Priorité absolue : le respect des règles de sécurité
Pour devenir artificier, le respect des règles de sécurité est une priorité absolue. « Etre extrêmement attentif à la sécurité c’est ce qu’il y a de plus important car quelle que soit la beauté du spectacle, on ne doit absolument pas mettre en danger le public » prévient Bertrand Julhès. « Je dirai aussi qu’il faut être minutieux et réactif en cas d’imprévus, c’est-à-dire savoir gérer son stress ». L’artificier sait de quoi il parle. Il a lui-même dû faire face à plusieurs situations imprévues durant sa carrière. « Comme nous utilisons des produits manufacturés, il se peut qu’il y ait des défaillances » prévient-il. « Par exemple l’explosion peut avoir lieu au sol et non dans les airs. Le public et les équipes ne sont pas en danger car nous devons respecter une certaine distance de sécurité. En revanche, l’explosion peut provoquer la coupure de lignes qu’il faut réparer parfois en quelques minutes seulement » explique-t-il.
Vent, humidité : savoir prendre la bonne décision
Etre artificier c’est aussi savoir composer avec le temps. La pluie n’annule pas un feu, mais le vent et l’orage peuvent mettre en danger la sécurité des équipes ainsi que du public. « Ça nous est arrivé de ne pas avoir de vent à hauteur d’homme mais 20 mètres plus haut on s’est rendu compte qu’il y avait des bourrasques. Si le vent ramène le feu vers le public et qu’il y a une quelconque mise en danger d’autrui, il faut le stopper ».
Mais parfois la décision n’est pas toujours évidente. « Plusieurs paramètres sont à prendre en compte » explique Bertrand Julhès. « Le premier c’est la sécurité. S’il y a un danger ou un risque quelconque : on ne tire pas. S’il n’y a pas de danger il faut prendre en compte le nombre de personnes qui ont fait le déplacement pour voir le feu ». Une situation qu’a connu l’artificier. « L’année dernière nous réalisions le feu de Saint Cloud. Un feu d’1h30 qui rassemble plusieurs milliers de personnes. Il a plu toute la journée et quelques heures avant le feu la pluie a cessé » se souvient l’artificier. « On était en capacité de tirer le feu car la situation ne présentait aucun danger pour le public. Mais avec l’humidité ambiante et l’absence d’air, dès que nous avons lancé la première ligne, un nuage de fumée s’est accroché à l’air et ne s’évaporait pas. On a été obligé d’attendre plusieurs minutes entre chaque tir. Au lancement du final, on entendait le feu mais on ne le voyait pas ».
Faire face aux demandes les plus farfelues
Outre les demandes les plus courantes, mais impossibles à réaliser, comme le tir de feux d’artifice sur une terrasse d’un immeuble en pleine ville, Bertrand Julhès a parfois été confronté à des demandes surprenantes. « Je me souviens, il y a deux ans, un touriste Russe voulait un feu d’artifice dans Paris à son retour de Corse. Ça nous laissait uniquement 2 jours pour créer un feu de toute pièce. Dans Paris je lui ai expliqué que ce n’était pas possible mais je lui ai proposé de louer un lieu privé en région. Il a été d’accord et nous a donné carte blanche et budget illimité. En urgence j’ai fait travailler mes équipes toute une nuit pour être prêt le jour J. Le feu a été tiré pour seulement 4 personnes ». Et contrairement aux apparences, avoir un budget illimité ne simplifie pas la tâche des artificiers. Car d’après Bertrand Julhès « ça ne sert à rien de faire grand pour faire grand. Ce qu’il faut c’est que le feu soit cohérent avec le lieu d’où il est tiré ».
Avoir un deuxième métier est souvent nécessaire pour compléter ses revenus
En plus des conditions météo et de la gestion de situations qui peuvent être stressantes, ces professionnels doivent parfois tirer les feux d’artifices de lieux qui demandent une certaine endurance physique. « Il nous arrive de faire des feux en montagne. L’altitude peut rendre les efforts moins supportables. Le froid ralentit aussi le travail car nous devons travailler à main nue pour les branchements, … alors quand il y a de la neige et que la température n’excède pas 3 degrés les doigts gèlent vite » explique Bertrand Julhès.
Il est difficile de vivre uniquement du métier d’artificier. « C’est un métier saisonnier où l’on travaille surtout de mai à septembre » explique Bertrand Julhès. « C’est pour cela que je conseille aux jeunes qui sont intéressés par cette voie de faire les études qu’ils souhaitent et s’ils en ont la possibilité, ils peuvent compléter leurs revenus en participant à des feux ».
La plupart des artificiers sont intermittents du spectacle et gagnent entre 80 € nets (en tant que débutant) à 220 € nets (pour un artificier chevronné) par prestation. « On fait malgré tout un métier magique qui donne du plaisir. Le feu d’artifice ne connait pas de barrière sociale ni culturelle. C’est un langage universel, qui ne connaît pas de frontières ».
Propos recueillis en 2016.
Marine Ilario © CIDJ
Article mis à jour le 06-08-2018
/ créé le 22-05-2016
Crédit photo : Bertrand Julhès