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Enquête Crowdfunding : de plus en plus de projets financés

Isabelle Fagotat Isabelle Fagotat
Publié le 21-06-2018

En bref

  • Il permet de réaliser des albums, des livres, des films, des plats cuisinés, des projets associatifs, humanitaires, des startups, et d'apporter des capitaux à des artistes, créateurs d'entreprises, responsables associatifs… Apparu il y a une dizaine d’années, le financement participatif ne cesse de se développer. Entre 2015 et 2017, les fonds collectés en France sont passés de 167 à 336 millions d’euros. Enquête.
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Loolie and the Surfing Rogers Crédit : Jean-Marc Iehl

Basée à New-York, Kickstarter est la plus ancienne plateforme de crowdfunding (« financement participatif » en français). Elle a vu le jour le 28 avril 2009, suite à une histoire finalement banale. En 2001, Perry Chen, fondateur de Kickstarter souhaite programmer deux DJs à un festival de jazz de la Nouvelle-Orléans. Faute d’argent, son projet n’aboutit pas. Lui vient alors l'idée de proposer au public d'acheter des places d'un spectacle à l'avance afin de financer la venue des artistes.
Il aura fallu 8 ans, du travail et des rencontres, pour que l’idée devienne réalité. Aujourd’hui, Kickstarter est le leader mondial du crowdfunding. La société emploie 131 personnes. Depuis avril 2009, près de 15 millions de contributeurs ont soutenu quelque 146 000 projets à travers le monde à hauteur de 3,7 milliards de dollars.

Les plateformes de crowdfunding françaises ont aussi le vent en poupe. Créée à Paris en octobre 2010, Ulule compte aujourd’hui 2 millions de membres. Depuis sa création, près de 23 000 projets ont été financés à hauteur de 110 millions d’euros. Kisskissbankbank, l’autre leader du marché français, a quant à lui permis le financement de plus de 17 000 projets pour un montant de 83 millions d’euros depuis son lancement en septembre 2009. Ces acteurs que l’on pourrait qualifier d’« historiques » ne sont désormais plus les seuls sur le marché français. Il existe aujourd’hui des plateformes spécialisées dans des thématiques, comme HelloAsso pour les projets associatifs ou MiiMOSA, exclusivement dédiée à l’agriculture et à l’alimentation. Les plateformes de financement participatif fonctionnent sur le principe de la participation libre de contributeurs qui soutiennent un projet en l'échange de contreparties (ou « goodies ») : place de concert, CD, livre,... 

Les plateformes de crowdfunding equity comme Wiseed, Smartangels ou Sowefund vont plus loin. Elles permettent à des entrepreneurs de lever des fonds auprès de particuliers qui investissent de l’argent dans leur projet en échange d’actions. Certaines sont spécialisées, comme Lita qui permet le financement de projets à vocation sociale, sociétale ou environnementale.
Selon l’organisation Financement participatif France, entre 2015 et 2017, les fonds collectés en France grâce au crowdfunding (traditionnel et equity) sont passés de 167 à 336 millions d’euros. C'est le secteur économique qui représente la part la plus importante des financements (261 millions) suivi par le domaine culturel (45 millions) et social (30 millions). Les secteurs financés vont du numérique au sport en passant par l'audiovisuel, le spectacle vivant, la santé, l'enseignement ou le patrimoine.

Chez Ulule entre 2013 et 2017, les fonds collectés ont grimpé de 7 à 28 millions. Réalisation d’un album de musique, d’une bande-dessinée, conception d’un prototype, construction d’un lieu écologique, lancement d’une mission humanitaire…, une multitude de projets voient le jour grâce au crowdfunding. Le financement participatif dessine des tendances, la mode étant actuellement aux micro brasseries, aux projets autour de la cuisine, aux écoles alternatives de type Montessori.
« Le record sur Ulule, c’est NOOB, un jeu vidéo qui a levé plus d’1,2 millions d’euros. La communauté geek est très présente sur les plateformes de financement participatif. Joueuse et très connectée, elle dispose d’un pouvoir d’achat généralement important. Les projets notamment dans le domaine du jeu vidéo peuvent s’appuyer sur une grosse communauté comptant plusieurs milliers de membres », analyse Margaux Thierée, directrice du pôle projet d’Ulule.

Car c’est bien sur la capacité à mobiliser un réseau que repose une campagne de crowdfunding.  « Ce sont surtout les proches qui financent. Quelques inconnus peuvent participer, mais c’est rare. Dans notre collecte, ce sont principalement nos familles, amis et notre réseau dans le domaine de la musique qui se sont mobilisés », souligne Christian Latapie, dont le groupe The Bridgers (anciennement Crazy wagons) a récolté plus de 3 000 euros sur Kisskissbankbank.
Dans une campagne de crowdfunding, les proches constituent le premier réseau. Le deuxième cercle est composé du réseau des proches. Le grand public constitue le 3ème cercle qui est aussi le plus difficile à atteindre. Pour le toucher, les porteurs de projet doivent investir les réseaux sociaux, organiser des événements et
 communiquer un maximum.

Car si la somme demandée n'est pas récoltée dans le temps imparti (de 30 jours à 90 jours généralement), rien n'est versé au porteur de projet : les contributeurs sont remboursés. Le crowdfunding implique donc un gros travail de communication sur un temps limité. « C’est un vrai marathon, dès que la campagne commence, il faut animer les réseaux sociaux, faire vivre la page Facebook du groupe et les pages personnelles de chaque membre pour sensibiliser les gens et leur donner envie de participer », explique Christian Latapie.
Si la mobilisation sur Internet et les réseaux sociaux n’est pas suffisante, des événements (soirée, concert, repas, exposition....) peuvent être organisés pour présenter le projet et inciter d’autres personnes à participer. « C’est un peu comme une campagne présidentielle. Il faut pitcher son projet, remercier les premiers contributeurs, contacter les médias, les éventuels partenaires... », résume Margaux Thiérée.

Les plateformes de crowdfunding mettent généralement à disposition des porteurs de projet des conseillers pour les aider à valoriser leur initiative ou leur produit. Objectif : travailler le storytelling, à savoir raconter une histoire qui donne envie de participer. « Avant de lancer notre campagne sur Ulule, nous avons réfléchi en amont aux éléments de présentation du projet, raconte Hyat Luszpinski, la chanteuse du groupe de rock Loolie & the surfing Rogers. Nous avons expliqué à quoi l’argent servirait (enregistrement en studio, réalisation de CD et vinyles…). Nous avons réfléchi à des contreparties qui donneraient envie. Nous avons intégré des photos, des démos, des vidéos. Il fallait convaincre et faire rêver. » Kisskissbankbank conseille de donner des nouvelles de la collecte et du projet chaque semaine : « les créateurs qui dépassent le plus le montant fixé initialement sont ceux qui continuent à communiquer une fois l'objectif atteint, en explicitant clairement à quoi servira le montant supplémentaire qui sera collecté. »

« Nous avons évalué notre réseau et avons demandé le tiers de ce dont nous avions besoin (3 000 euros). Nous avons estimé qu’il valait mieux ne pas être trop ambitieux pour réussir la campagne », poursuit Hyat Luszpinski. Chez Ulule, la plateforme sur laquelle elle a fait sa campagne, le budget demandé moyen est de 5 000 euros et les contributeurs donnent en moyenne 50 euros chacun.
Dans son budget, un porteur de projet calcule la somme dont il a besoin pour développer ou finaliser son projet et intègre le prix des contreparties. La plupart des campagnes de crowdfunding reposent en général sur des pré-achats de contreparties (CD, vinyles voire concert pour un groupe de musique, DVD, nom au générique, invitation à l'avant-première d’un film…). Pour définir le budget à demander, Kisskissbankbank conseille de
 diviser le montant de la collecte par la contribution moyenne de la plateforme (55 euros) pour évaluer la quantité de personnes à mobiliser. 

« Une campagne commence généralement par un démarrage fort, puis se poursuit par un creux de vague car les gens ont tendance à procrastiner. On enregistre un retour de la participation quelques jours avant la fin de la campagne », prévient Margaux Thiérée. Le porteur de projet peut mobiliser des influenceurs dans sa communauté qui l'aideront à mobiliser un réseau plus large afin de réussir la campagne.
Dans ses préconisations, Kisskissbankbank évoque même l'importance d'avoir une « équipe de campagne ». Pour lever 600 000 puis 800 000 euros pour financer sa startup Pkparis, spécialisée dans les objets connectés, Luc Pierart n’a pas hésité à mettre les moyens nécessaires. « J’ai dédié une personne à temps plein sur l’opération en charge de rassurer chaque investisseur pour le convaincre de financer le projet; cela m'a permis de réussir à chaque fois mes campagnes crowdfunding equity », explique-t-il.

Le financement participatif permet de lever en peu de temps de plusieurs milliers à centaines de milliers d'euros, un moyen simple et utile pour mener à bien un projet. L'essor de ce mode de financement s'explique par sa notoriété grandissante et par l'augmentation du nombre d'artistes, responsables associatifs et entrepreneurs utilisant le crowdfunding. Mais sa croissance est aussi due à une diminution des subventions notamment dans le secteur artistique, culturel et associatif, trois domaines dans lesquels il est particulièrement présent. Les collectivités locales, notamment, ont des budgets de plus en plus contraints et ne versent plus les mêmes montants de subventions qu'il y a une dizaine d'années. « Depuis la chute des ventes de disques, toutes les grosses majors récupèrent les subventions. Le secteur associatif souffre lui aussi d'une diminution des subventions. Le crowdfunding permet de combler ce vide. Cela détermine à quel point ces milieux sont en péril », déplore Hyat Luszpinski.

Si le crowdfunding permet de pallier le déficit de subventions, il permet aussi de passer outre le prêt bancaire et de bénéficier d’un capital de départ pour démarrer.« Il est vrai que le succès du crowdfunding est lié à un déficit des modes de financement classique et des subventions, mais les porteurs de projets le choisissent aussi car ils recherchent un financement indépendant. Quant aux contributeurs, ils sont contents de savoir où est investi leur argent », pointe Margaux Thiérée. 
Le financement participatif est aussi symptomatique de l’époque actuelle, caractérisé par l’économie collaborative, le développement de l’entrepreneuriat et des logiques de solidarité. « Il permet de préserver la diversité culturelle, de défendre des projets différents de la consommation culturelle de masse, de "ce qui passe à la télé". Basé sur la solidarité, il est fondamental dans le développement d’idées, la réalisation de projets artistiques éclectiques et le soutien aux projets associatifs. Il contribue à la liberté d’expression », conclut Hyat Luszpinski.

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