Entretien Enseignement supérieur privé : la recherche du profit au détriment de la réussite des étudiants
En bref
- Entretien avec la journaliste Claire Marchal qui pointe, dans un ouvrage (Le Cube), les méthodes délétères de Galileo Global Education, leader de l’enseignement supérieur privé lucratif.
- Au sein des écoles du groupe, les conditions d’études et la qualité de l’enseignement représentent une variable d’ajustement, dans un contexte où seul le profit compte.
- Des dérives qui entraînent de la souffrance chez les étudiants, et compromettent leur insertion professionnelle.
Pourquoi avoir consacré une enquête au groupe Galileo Global Education ?
Les effectifs étudiants dans les écoles d’enseignement supérieur privé à but lucratif [permettant de générer des bénéfices financiers, NDLR] connaissent une croissance exponentielle. J’ai enquêté pour comprendre cette tendance. Et, assez rapidement, un groupe s’est détaché, Galileo Global Education, le leader dans ce domaine. Cette multinationale compte plus de 210 000 étudiants et une soixantaine d’établissements répartis dans une vingtaine de pays. Parmi ces écoles, figurent de belles marques installées depuis des années, que Galileo a rachetées au fur et à mesure de son expansion : Strate, Cours Florent, LISAA, Bellecour ou Penninghen… Durant deux ans, j’ai mené 150 entretiens et analysé plus de 900 documents confidentiels. En premier lieu, un fichier compilant plus de cinquante mille avis laissés par les étudiants, dans le cadre d’enquêtes de satisfaction internes. Si certains retours s’avèrent positifs, je constate un sentiment d’insatisfaction récurrent : manque de places pour s’asseoir en cours, matériel informatique obsolète, désorganisation administrative… De nombreux étudiants s’interrogent sur la valeur de leur diplôme et dénoncent le coût excessif de leur formation. Aussi, des enregistrements de comités de direction de Galileo, auxquels j’ai eu accès, révèlent une gestion essentiellement tournée vers la recherche de rentabilité. Au cœur de ce système, le « Cube », un logiciel de pilotage dédié à la performance du groupe.
En quoi le Cube est-il déterminant dans le fonctionnement des écoles ?
Toute décision repose sur le Cube. Les directeurs et cadres de la multinationale observent, école par école, la croissance des effectifs étudiants – et par conséquent des frais d’inscription – une donnée essentielle pour anticiper le chiffre d’affaires du groupe. Pour schématiser, quand tout va bien, le cube s’affiche en vert, mais quand les chiffres ne sont pas bons, il devient rouge. Les écoles sont alors sommées de tout mettre en œuvre pour engranger à nouveau des bénéfices. Si cette gestion commerciale se justifie en entreprise, les dérives qu’elle entraîne posent question. Pour gagner en rentabilité, le groupe rogne sur les coûts en menant une stratégie d'optimisation des frais pédagogiques : diminution des volumes d'heures de cours, gel des recrutements d'enseignants, recours à d’anciens étudiants pour enseigner bien que peu expérimentés sur le marché du travail, augmentation des effectifs dans les classes, hausse des cours en distanciel… Le tout, en cours d’année, avec un impact important sur la qualité des enseignements, et de façon plus générale sur la qualité de l'accueil des étudiants dans les établissements. Parfois, seuls 20% des frais d'inscription sont investis dans la pédagogie. Autre levier employé : l'augmentation de ces frais, déjà conséquents (de 6 000 à 10 000 euros par an). Entre la première et la troisième année, le nombre annuel d’heures de cours diminue drastiquement, quand les tarifs des formations, eux, grimpent. Enfin, pour verdir le Cube, le groupe presse ses équipes de recruter de nouveaux étudiants.
Comment les écoles attirent-elles les étudiants ?
Elles surfent sur l’incertitude générée par Parcoursup ! Dans leur communication, ces écoles proposent de « sécuriser » sa place dès le deuxième trimestre pour éviter l’attente des résultats d’admission de la plateforme, lesquels arrivent bien plus tard et s’étendent jusqu’à l’été. Comprenez : payer d’entrée de jeu les frais d’inscription ou un acompte. Pour peu que la formation fasse rêver, cet argument trouve un écho auprès des candidats angoissés… D’autant que, sur les salons d’orientation ou lors des journées portes ouvertes, le discours vantant les mérites de l’école est aussi porté par des étudiants. Rien de mieux pour créer du lien… et convaincre. Ces étudiants ambassadeurs, à l’allure heureuse et épanouie, ne manquent pas de souligner les possibilités de prêts à taux limité grâce à des partenariats entre leur école et des banques ou encore les occasions de réaliser des semestres d’études à l’étranger. Certains étudiants, obligés d’éluder la réalité morose qu’ils connaissent, me confient leur malaise. En outre, le procédé questionne. Cette participation est parfois imposée par les écoles ou fortement encouragée par l’acquisition de points en vue de la validation du diplôme ou de cartes cadeaux destinées à l’achat de matériel. Toutefois, ces techniques restent largement employées par les écoles privées, qu’elles appartiennent ou non à Galileo.
Au téléphone, des commerciaux emploient des méthodes très insistantes, parfois limites. Décrivez-nous lesquelles ?
Galileo dispose d’une vaste centrale d’appel remplie de commerciaux soumis à des objectifs très élevés. Ils sont chargés de rappeler les personnes qui laissent leurs coordonnées en ligne pour obtenir des informations sur une formation. L’argumentaire, fourni par la hiérarchie, pousse le prospect (potentiel client) à s’inscrire rapidement. S’il réfléchit trop, il peut changer d’avis. Les commerciaux recontactent de manière incessante les prospects, une pratique proche du harcèlement, estime une commerciale que j’ai rencontrée. Et certains adoptent des méthodes franchement discutables, à l’insu de leur responsable. À commencer par se présenter abusivement comme des conseillers en formation. En réalité, ils ne prennent pas la peine de s’intéresser véritablement aux besoins du candidat. Quitte à lui vendre une formation incohérente avec son projet. Un commercial a même admis avoir majoré le tarif d’une formation à plusieurs reprises pour augmenter son chiffre d’affaires et sa prime. De plus, les commerciaux restent flous sur la reconnaissance du diplôme. La majorité des écoles Galileo délivrent une certification RNCP (validant des compétences professionnelles par le biais du ministère du Travail). Celle-ci ne permet pas une poursuite d'études dans un établissement relevant du ministère de l'Enseignement supérieur. Une distinction essentielle à connaître avant de s’engager.
Un étudiant apprend de manière fortuite que son école délivre le même titre RNCP pour plusieurs formations différentes. Qu’en est-il ?
Un même titre RNCP peut être délivré par de nombreuses formations, que ce soit au sein d’une même école ou dans différents établissements. Dans le cas de Pierre, à LISAA (école d’art et de design,) le titre RNCP qu’il prépare est également proposé dans une école de commerce du même groupe. Cela signifie que les étudiants acquièrent un socle commun de compétences professionnelles, défini dans le référentiel officiel du titre. L’organisme France Compétences attribue ces certifications pour une durée limitée. Or, il s’avère crucial pour ces écoles de conserver leurs certifications, principalement pour deux raisons. D’abord parce qu’elle permet d’accéder au financement public de l’apprentissage. Ensuite, certains grands groupes, comme Galileo, mutualisent ces titres en les louant à des petites écoles indépendantes. Cette pratique conduit à une profusion de diplômés avec les mêmes compétences sur le marché du travail. Or, la certification est surtout renouvelée au regard du taux d’insertion professionnelle. Si les étudiants peinent à s’insérer dans l’emploi, le maintien de la certification se voit compromis. Les écoles sont conscientes de ce paradoxe. Malgré tout, la course aux effectifs pousse certaines à assouplir leurs critères d’admission. Si des écoles du groupe restent très sélectives, d’autres deviennent plus accessibles. Lors de mon enquête, j’ai pu observer des taux d’insertion faibles dans les domaines du jeu vidéo et de l’animation, en raison d’une saturation du marché. Mais aussi d’un décalage entre les compétences de certains étudiants et les exigences des entreprises.
Cette stratégie conduit à des situations de détresse parmi les étudiants de Galileo. Que vous rapportent-ils ?
Nombre d’entre eux se trouvent dans une profonde détresse financière, endettés de plusieurs dizaines de milliers d'euros, ils peinent à trouver un emploi. Ils ont l’impression d’avoir été admis juste pour signer un chèque… Beaucoup se sentent trahis, car la promesse initiale d’accéder au métier de ses rêves s’est transformée en désillusion. Certains finissent par claquer la porte avec le sentiment d’avoir perdu du temps et de l’argent. Ce sont souvent des publics issus de la classe moyenne, vulnérables face à ces perspectives professionnelles, qui s’inscrivent dans ces écoles… D’autres, malgré le désenchantement, poursuivent afin d’obtenir cette fameuse certification. On ne peut rester insensible devant ces témoignages. Celui qui m’a particulièrement marquée, c’est le parcours d’Adrien, en reconversion professionnelle pour devenir aide-soignant. Son rêve s’est brisé face au manque de pédagogie et de soutien de la part de son école qu’il l’a envoyé en stage dans un établissement pour personnes âgées avant même le début de sa formation. Pas préparé, il s’est trouvé, sans le vouloir, maltraitant envers des résidents. Cette expérience l’a profondément affecté et compromis la poursuite de ses études. Sans compter qu’une telle dérive dans des métiers de soins est particulièrement grave.
Avez-vous reçu d’autres réactions suite à la parution du livre ?
Le livre a rencontré un certain écho estudiantin, politique et médiatique. J’ai reçu énormément de messages sur Instagram de la part d’étudiants qui fréquentent ou ont fréquenté ces écoles. Ils me remercient, disent se sentir moins seuls, car ils se pensaient entièrement responsables d’une situation qui, finalement, les dépasse. Cette remise en question, cette perte de confiance en soi, les étudiants que j’ai rencontrés au cours de l’enquête m’en ont aussi fait part. Une inspection interministérielle vient d’être lancée par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère du Travail pour comprendre ces dérives et définir des mesures concrètes. En attendant davantage de régulation, avant de choisir une formation, il convient d’examiner le volume horaire, les qualifications des enseignants et la reconnaissance du diplôme. Ne pas hésiter à fouiller les commentaires, à interroger d’anciens étudiants tout en gardant à l’esprit que les entreprises privées poursuivent des objectifs de croissance, parfois au détriment de la qualité.
Focus
Une nouvelle proposition de loi pour encadrer l’enseignement supérieur privé
Cette proposition de loi, présentée le 26 mars, prévoit notamment l’interdiction des « droits de réservation » pour garantir une place dans un établissement, l’allongement du droit de rétractation de 14 jours à deux mois, et des sanctions pour les responsables d’établissement (peines de prison, interdiction d’enseigner ou de diriger un établissement d’enseignement supérieur).