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Interview Grossophobie et discrimination à l’embauche : comment y faire face ?

Laura El Feky
Publié le 02-02-2021

En bref

  • Une candidate en surpoids à qui on refuse un poste de vendeuse au motif qu’elle risquerait de nuire à l’image de la marque.
  • Un candidat obèse qui décroche deux fois moins d’entretiens d’embauche et une entreprise dont l'uniforme professionnel ne va pas au-delà de la taille 42…
  • Si le Code du travail interdit tout traitement défavorable fondé sur l’apparence physique, dans les faits, c'est autre chose, selon Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations.
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L’apparence physique est le deuxième critère cité parmi les discriminations perçues par les demandeurs d’emploi interrogés, selon une étude de l’OIT et du Défenseur des droits. Crédit : Unsplash
Grossophobie ? Témoignages de ceux qui la subissent... Crédit : Ville de Paris

Comment les discriminations liées au poids peuvent se manifester dans le monde du travail ?

Jean-François Amadieu, professeur à l'université Paris 1 Panthéon et directeur de l’Observatoire des discriminations : " Depuis plusieurs années, il y a une valorisation des physiques plutôt minces qui sont considérés comme attirants, en particulier chez les plus jeunes. En parallèle, il y a des préjugés liés à l’obésité et au surpoids. Lors d'un recrutement, les employeurs peuvent avoir tendance à penser d'une personne en surpoids ou obèse, qu'« elle ne fait pas de sport, elle mange mal donc c'est sa faute », qu'« elle est en mauvaise santé », qu'« elle ne se discipline pas »… Certains employeurs vont refuser d'embaucher des personnes obèses, car ils recherchent un personnel qu'ils considèrent en mesure de "séduire" la clientèle, en résumé : jeune et beau. Plusieurs études ont déjà été menées sur le sujet. Avec mon équipe, nous avons fait des tests en envoyant des CV avec photos. Les résultats sont variables selon le type d'emploi et s'il est en contact avec la clientèle. Par exemple, dans la restauration rapide, un candidat mince a trois fois plus de chance d'être embauché qu'un candidat en surpoids. A compétences égales, pour un poste dans l'accueil, une candidate en surpoids a six fois moins de chance. Les principales victimes de ces discriminations sont les femmes. L'apparence physique va également avoir une influence sur l'évolution de la carrière et sur le salaire, créant ainsi des écarts équivalents à une ou deux années d'études."

Jean-François Amadieu : « En 2001, la loi relative à la lutte contre les discriminations a ajouté l’apparence physique à la liste des motifs interdits. L'obésité et le surpoids figurent parmi les premières causes de discrimination fondée sur ce critère. En effet, même si les recruteurs n'en sont pas toujours conscients, ils considèrent encore comme admissible la distinction entre salariés en fonction de leur poids. Or, une entreprise n’a pas le droit de fixer ses propres critères, y compris pour un job d’hôte ou d’hôtesse dans l'événementiel. Pourtant, sur leur site de recrutement, les agences demandent systématiquement des photos en pied du candidat ainsi que ses mensurations. Si la loi permet de tenir compte de ces critères pour embaucher un acteur ou un mannequin par exemple, cela n'est pas autorisé pour un poste de vendeur·euse, serveur·euse ou encore d'hôte·sse d’accueil.»

Focus

À l'université, des cellules d’écoute pour les victimes de violences et de discriminations

En France, près de 80 universités, dont celle d'Angers, sont dotées de cellules de lutte contre les violences sexistes et sexuelles : « Depuis la rentrée 2019, nous avons voulu élargir l'action de cette cellule à toutes les violences et discriminations » explique Isabelle Richard, 1ʳᵉ vice-présidente de l’université et en charge de l’égalité. « Face à des comportements discriminants, notamment grossophobes, les étudiants et étudiantes peuvent saisir la cellule d’écoute via une adresse mail unique. En complément, une commission égalité a pour objet de traiter les problèmes collectifs.»

Pour savoir si une cellule existe dans votre université, renseignez-vous auprès du secrétariat de votre établissement.

Jean-François Amadieu : « Jusqu'à une période récente, le sujet était peu traité. S'il a pu émerger, c'est aussi parce qu'il a été porté par une partie du mouvement féministe, ainsi que des militants LGBT. Jusqu'ici, on a laissé faire les entreprises. Beaucoup de recruteurs considèrent que, lors d'un entretien d'embauche, la rencontre en face à face est importante. Mais en réalité, cela biaise et fausse les jugements. Pour changer les choses, je serais pour le CV anonyme : il serait préférable que les photos soient interdites et que l'on recrute uniquement sur les compétences. En attendant, afin de contrebalancer les préjugés liés au surpoids, il faut savoir jouer sur d'autres éléments de l’apparence physique, comme la tenue vestimentaire. Enfin -et heureusement- le physique n'est généralement pas le principal critère de recrutement : la formation et les qualifications demeurent prioritaires ! »

Jean-François Amadieu : « Les gens subissent des moqueries, du harcèlement, des discriminations, mais ils vont très rarement porter plainte. Quant aux réclamations auprès du Défenseur des droits, leur nombre est dérisoire. Pourtant, elles peuvent se faire très facilement par téléphone, par courrier ou en ligne. Il est également possible de signaler, toujours auprès du Défenseur des droits, les annonces et sites de recrutement qui sont discriminants.»

Focus

Comment saisir le Défenseur des droits ?

Toute personne qui s'estimerait victime de discrimination dans les domaines suivants : l'emploi (privé et public), l'accès à la protection sociale, à la santé, aux avantages sociaux, à l'éducation, et aux biens et services comme le logement, les loisirs, le crédit... peut saisir le Défenseur des droits.

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