Actualité La pénibilité physique du travail augmente, malgré les progrès techniques
En bref
- Alors que la numérisation et la robotisation facilitent de plus en plus de tâches professionnelles, la pénibilité au travail augmente pour de nombreux travailleurs dont l’activité ne peut être remplacée par des machines. De ce fait, les inégalités dans les conditions de travail ne diminuent pas sur la dernière décennie.
La pénibilité physique au travail affecte essentiellement les personnes moins qualifiées. Un constat dressé par l’Observatoire des inégalités dans une note publiée en septembre 2022. Plus largement, «?une fraction considérable de la force de travail continue à exercer des emplois éprouvants dans des environnements dangereux. Une pénibilité loin d’être reconnue à sa juste valeur, que ce soit en termes de salaire ou d’estime sociale?», peut-on y lire.
S’il est vrai que la pandémie a contribué à mettre en lumière ces travailleurs qui se lèvent tôt et dont l’activité est indispensable, la reconnaissance par les employeurs ne s’est pas traduite par une augmentation des salaires. Si les aides-soignants et les infirmiers ont bien bénéficié d’une revalorisation salariale, comme l’ensemble des soignants, celle des employés et caissiers de supermarchés, des éboueurs, des ouvriers et de tant d’autres professionnels est passée à la trappe. Pour couronner le tout, le précédent quinquennat a raboté le nombre de critères de pénibilité reconnus pour un départ à la retraite anticipée. Une décision prise avant la crise sanitaire. Décidément, cela ne va pas dans le sens d’une meilleure égalité entre les travailleurs.
Pénibilité au travail : de quoi parle-t-on??
La pénibilité au travail se traduit par des facteurs de risques professionnels auxquels se trouvent exposés les travailleurs. Le Code du travail les définit précisément : manutentions manuelles de charges?, postures pénibles?, vibrations mécaniques?, agents chimiques dangereux?, activités exercées en milieu hyperbare (hautes pressions)?, températures extrêmes?, bruit?, travail de nuit?, travail en équipes successives alternantes?, travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.
Certains salariés bénéficient d’un compte professionnel de prévention (C2P) pour cumuler des points tout au long de leur carrière. Et espérer pouvoir prendre leur retraite jusqu’à 2 ans avant l’âge légal. Il s’agit des salariés exposés à au moins un des 6 facteurs suivants : travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif, activités en milieu hyperbare, températures extrêmes ou le bruit. Mais il faut atteindre un certain seuil d’exposition pour acquérir des points.
Est considéré comme facteur de risque, le fait de travailler 1 heure entre minuit et 5 heures du matin, au moins 120 nuits par an. Autre exemple : l’exposition quotidienne à un bruit d’au moins 81 décibels pour une période de référence de 8 heures durant 600 heures par an constitue un facteur de risque professionnel.
Depuis le 1er octobre 2017, les autres facteurs de risque ont été exclus du C2P. Exit notamment le port de charges lourdes, alors même qu’il constitue l’une des principales composantes de la pénibilité au travail, déplore l’Observatoire des inégalités.
La pénibilité physique du travail en augmentation
L’accélération de la numérisation et de la robotisation, le développement de l’intelligence artificielle n’y ont rien fait : près de 40 % des salariés restent concernés par le port de charges lourdes en 2016, soit autant qu’en 2005. Les ouvriers sont 5 fois plus exposés à cette contrainte que les cadres, tandis que les professions intermédiaires y sont davantage confrontées qu’auparavant ( 5,6 points sur la même période).
Si entre 2005 et 2016, le fait de travailler debout a diminué pour l’ensemble des salariés (de 52 % à 50 %), les professions intermédiaires et les ouvriers ne bénéficient pas de ce progrès. 76 % des ouvriers ne peuvent s’asseoir durant leur journée de travail. 70 % des employés de commerce et de services aux particuliers exercent en station debout longtemps.
À côté de la pénibilité physique à proprement parler, d’autres facteurs de pénibilité touchent plus fortement les travailleurs moins qualifiés : un environnement de travail hostile, un travail sous contrôle, un travail de nuit.
D’autres facteurs de pénibilité au travail en croissance
L’exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité n’est pas sans conséquences sur les travailleurs. En particulier l’exposition aux nuisances environnementales comme le bruit, les poussières et les produits dangereux. Elle entraîne fatigue, maladies, handicaps et réduit la qualité de vie, rappelle l’Observatoire. Un salarié sur trois subit ce type de nuisances et deux tiers des ouvriers exercent dans ce contexte. Chiffre alarmant : 1,8 million de personnes travaillent au contact de produits chimiques cancérogènes comme le benzène, la silice ou l’amiante, particulièrement dans le BTP. Les ouvriers qualifiés demeurent 3 fois plus concernés que la moyenne des salariés.
La part des travailleurs, dont une part importante d’ouvriers et d’employés, exerçant sous contrôle a augmenté en 2016 par rapport à 2005. Même si le travail à la chaîne ne concerne plus que 5 % des salariés, le travail rythmé par une machine a progressé de deux points entre 2005 et 2016. Et contre toute idée reçue, le travail répétitif connaît une spectaculaire croissance sur la même période : il concernerait 42 % des salariés contre 28 % en 2005.
Enfin, la proportion d’ouvriers travaillant la nuit est passée de 15 à 25 % sur la période étudiée. Un ouvrier sur dix travaille en 2 x 8, c’est-à-dire en alternant les périodes de 8 heures le matin ou l’après-midi, chaque semaine. À noter que les hommes subissent la plus grande part de la pénibilité au travail. Même si les femmes occupant des postes dans les métiers de services (aide à la personne, ménage, caisse…) ne sont pas épargnées.
Quoi qu’il en soit, le sujet de la pénibilité reste d’autant plus sensible qu’une nouvelle réforme repoussant l’âge de départ à la retraite se prépare. Avec en bruit de fond, la question de la prise en compte de la pénibilité du travail et le maintien dans l’emploi des seniors.