Connaissez-vous Angela ? Agressions sexuelles dans les fêtes, les trucs à savoir pour se protéger

Odile Gnanaprégassame
Publié le 18-09-2024

En bref

  • Agressions ou violences sexistes et sexuelles se produisent au sein des lieux de fêtes, laissant planer un sentiment d’insécurité qui vient gâcher le moment.
  • Aussi, avant chaque sortie, Julie, Marion et Tiphaine élaborent des stratégies pour passer une soirée safe : code entre amis, déplacements en binôme, repérage des lieux...
  • Quant aux organisateurs d’évènements, bars ou discothèques, ils multiplient les initiatives : couvercle de verre, application d’alerte, nom de code pour demander de l’aide…
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D'après l’association Consentis, près de 60 % des femmes — contre 10 % des hommes — ne se sentent pas en sécurité dans un lieu festif. Crédit : David Jackson - Unsplash
« Lors de cet atelier de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, j'ai appris qu'une main aux fesses constitue une agression passible de 5 ans d'emprisonnement », révèle Jade, 21 ans, en école d'ingénieurs. Crédit : Odile Gnanaprégassame - CIDJ
Fin 2023, avec « Umay », l'application contre le harcèlement de rue, la RATP inaugurait une première « safe place » dans une station parisienne fréquentée. Crédit : RATP Group
À Paris, la Blast (brigade de lutte contre les atteintes à la sécurité dans les transports) traque les frotteurs du métro. Crédit : France Info

Mauvaise expérience

Cette nuit-là, un drame a été évité. Témoin d’une tentative de soumission chimique sur sa cousine lors d’une soirée, Julie raconte : « J’ai tout de suite repéré qu’elle n’était pas dans son état normal ». Ce que les analyses sanguines confirmeront par la suite en révélant la présence de GHB, appelée drogue du violeur. Depuis, Julie ne quitte plus son verre des yeux et garde même « une main dessus ». Un brief précède désormais chaque sortie avec ses amies. « On récapitule les points de vigilance ». D’après un sondage de l’association Consentis, près de 60 % des femmes — contre 10 % des hommes — ne se sentent pas en sécurité dans un lieu festif. Leur crainte ? Subir des violences sexuelles. Crainte fondée, car la même proportion de femmes affirme avoir été victime de harcèlement et d’agression à caractère sexuel. Les mouvements #MeToo, #Balancetonporc, #Balancetonbar témoignent de la persistance de ce type de violences à l’encontre des femmes. Elles n’épargnent aucun milieu professionnel, aucun espace public ou privé comme les établissements dédiés à la fête. Parce que la notion de consentement semble loin d’être acquise par tous, échafauder des plans entre amis pour être en sécurité, même en milieu festif, apparaît comme une réponse nécessaire. En parallèle, bars, clubs, festivals, mais aussi associations et pouvoirs publics s’emparent de la question avec des dispositifs qui rassurent. Dans certaines limites.

Sortir entre amis pour décompresser, boire un verre ou danser… et élaborer des tactiques pour prévenir les agressions. C'est le lot de nombreux clubbeurs, fêtards ou festivaliers. Règle numéro 1, ne jamais se rendre seul(e) à une soirée. « Je sors toujours accompagnée, comme ça, on garde un œil les unes sur les autres », déclare Marion. Ensuite, baliser le terrain. « Lorsqu’on va dans un nouvel endroit, sur place, on se déplace systématiquement à deux, pour aller jusqu’aux toilettes, commander au bar ou danser sur la piste », raconte Julie. Typhaine, elle, examine la configuration et la réputation du lieu. « Pour passer une bonne soirée, je m’assure auparavant que l’établissement corresponde à mes attentes. La tranquillité en fait partie », reconnaît-elle. La jeune femme explique avoir défini un code par texto avec ses amis, pour les alerter si besoin, même si elle ne se sent « pas spécialement menacée à l’intérieur des lieux ». En revanche, ce qui l’inquiète, c’est l’insécurité à l’extérieur. « Il m’arrive de réquisitionner un proche pour venir me chercher quand je rentre tard d’une soirée. Quelques mesures existent bien dans les transports. La SNCF et la RATP (Île-de-France) mettent à disposition un numéro d’urgence, le 3117, accessible 24 h/24 et 7 j/7 (31 177 par texto). Fin 2023, avec l'application contre le harcèlement de rue Umay, la RATP inaugurait une première « safe place », dans une station parisienne fréquentée. Le principe ? Un commerce labellisé qui accueille, rassure et oriente les victimes. De même, les arrêts à la demande dans les bus se développent en France. Ils ont d’ailleurs été généralisés à partir de 22 heures en région parisienne. Côté bar et discothèques, des initiatives émergent aussi.

De l’avis de Typhaine, « les lieux festifs font ce qu’ils peuvent en matière de sécurité ». Même si « certains pourraient faire davantage ». La jeune femme fait référence au code de secours aperçu dans les toilettes pour dames de certains bars. « Cette action, plutôt simple à mettre en place, tous les bars devraient la proposer. » De quoi s’agit-il ? Originaire du Royaume-Uni, ce concept permet d’alerter le barman lorsqu’on est en danger en lui demandant « où est Angela ? » ou « connaissez-vous Angela ? » (« ask for Angela »). Le barman peut alors conduire la victime à l’abri, en appelant un taxi ou la police selon la situation. Le tout sans éveiller les soupçons de l’agresseur. Les réseaux sociaux aidant, la combine s’est répandue partout dans le monde. Sous des formes variées. Fiona ne connaissait pas l'astuce, jusqu’à ce soir de mai où elle tombe sur une affichette dans les toilettes d’un bar parisien. En substance, le message informe de la possibilité de commander un cocktail au nom spécifique en cas de harcèlement. « Dans les lieux où je sors habituellement, ce genre d’initiative n’existe pas », réalise-t-elle avec regret. De son côté, Julie estime que les bars devraient systématiquement fournir des couvercles de verre. Ces protections en silicone empêchent l’introduction de drogue comme le GHB. Des institutions publiques encouragent d’ailleurs leur utilisation. Ainsi, en 2023, la Région Sud en a distribué gratuitement aux professionnels de la fête sur son territoire. On le voit, assurer la sécurité des personnes dans les bars et discothèques n'est pas une mince affaire. Mais qu’en est-il des festivals qui battent leur plein chaque été ?

Brassant des milliers de fêtards simultanément et sur une superficie conséquente, les festivals ne sont pas épargnés par les violences sexistes et sexuelles. Et ce, malgré un staff chargé de la surveillance. Alors, quel gage de sécurité pour les festivaliers ? L’association Act Right veut apporter une solution. Elle entend rendre la fête plus responsable en fédérant les lieux festifs autour d’un label de qualité. « Nous formons les acteurs du monde de la nuit et des musiques actuelles à rendre leurs évènements plus sûrs, paritaires et respectueux de l’environnement », indique Marine Rodriguez. Actions de prévention, de sensibilisation et de réduction des risques, mise en place de protocoles pour secourir et écouter les victimes de violences… les objectifs s’avèrent ambitieux. En 2019, le festival marseillais Marsatac a pour sa part inauguré l’application géolocalisée Safer, à laquelle Act Rigth et Consentis ont participé. Aujourd’hui présente dans une trentaine de festivals, Safer permet de se signaler face à une situation de harcèlement ou d’agression. Une équipe de bénévoles en maraude sur le festival se déplace alors auprès de la personne à secourir. L’enjeu ? Réduire le temps entre l’alerte et la prise en charge par une professionnelle de l’écoute postée au stand prévention pour accueillir et accompagner tout festivalier qui en exprimerait le besoin. « Je trouve rassurantes toutes ces initiatives », affirme Fiona. Difficile pourtant d’en apprécier l’impact. Si elles sécurisent, elles ne peuvent représenter la seule réponse aux violences sexuelles.

Une « capote de verre » évite-t-elle de devoir garder un œil sur son verre ? Un texto envoyé à ses amis parce que harcelée à l’autre bout du bar évite-t-il que les choses s’enveniment ? « Malheureusement, on fait face à de nouvelles manières d’agresser », constate Julie faisant référence aux piqûres qui sévissaient en masse dans les lieux de nuit. Bien qu’elle trouve « judicieux » les noms de code dans les bars pour alerter, Typhaine s’insurge : « Une telle initiative ne devrait pas avoir à exister. Ce n’est pas normal d’avoir peur d’être agressée ». Si elles répondent à un besoin immédiat de sûreté, ces initiatives montrent leurs limites. Parce qu’on ne peut jamais prévoir avec certitude le déroulement d’une soirée. Parce que les plans préétablis sont susceptibles de changer au dernier moment. Parce qu’on est dépendant du bon fonctionnement de nos smartphones. Et de leurs batteries. Parce que c’est fatigant et usant de craindre pour sa sécurité. Parce que ça gâche la fête de rester sur ses gardes en permanence. La diffusion des dispositifs de lutte contre les violences sexuelles contribue néanmoins à rendre plus visible aux yeux du grand public la charge portée par les cibles potentielles. Pour agir sur le fond et changer les mentalités, expliquer et diffuser la notion de consentement demeure capital. Afin qu’un jour, qu’on espère proche, il ne soit plus nécessaire d’imaginer moult stratagèmes pour revenir de sa soirée sain et sauf.

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