Violences dans les couples adolescents, comment réagir ?

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Violences au sein du couple chez les adolescents, comment réagir ?

« Il contrôlait tout ce que je faisais, me disait ce que j’avais le droit ou pas de faire, ma manière de m’habiller, les personnes avec qui j’interagissais. » Saviez-vous que les violences dans le couple concernent aussi les adolescents et les jeunes adultes ? Elles touchent majoritairement des femmes et prennent diverses formes difficilement repérables quand on débute sa vie amoureuse. Voici quelques clés pour vous en protéger.

« Lorsqu’il s’en est pris à moi physiquement, je me suis dit " là, c’est terminé " », raconte Agathe Breton, 26 ans. Adolescente, elle vit sa première relation amoureuse durant laquelle elle a été victime de violences conjugales. Mais ça, elle ne l’a compris que bien plus tard.

Les moins de 25 ans ne sont en effet pas épargnés par les violences conjugales. Mais généralement, et en particulier les adolescents, ils n’identifient pas ce qu’ils vivent comme étant des violences conjugales. Pourquoi ? Entre autres parce que ce terme renvoie à la conjugalité, au fait d’être adulte, de vivre ensemble, d’être un couple établi, et lorsqu’on est adolescent ou jeune adulte, on ne s'identifie pas à cette image.

Pourtant, « quel que soit son âge, une femme peut être victime de violences conjugales sans habiter sous le même toit que son partenaire », alerte Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité femmes qui a créé et gère le numéro national d’écoute 39 19 (Violence Femmes Info) ainsi qu’un réseau de 73 associations d’accompagnement dans toute la France.

Vivre ses premières histoires d’amour à l’adolescence rend bien plus vulnérable aux violences dans le couple, car il y a peu de repères auxquels se référer pour reconnaître si les situations vécues sont abusives.

Violences conjugales : les couples adolescents sont aussi concernés

En 2020, les forces de sécurité en France ont enregistré 159 400 victimes de violences de la part de leur partenaire (hors homicide), soit 139 200 femmes et 20 200 hommes. Voilà pour les chiffres officiels qui recensent les mains courantes et les plaintes déposées. C’est sans compter les violences conjugales qui passent sous les radars. Beaucoup de victimes ne se manifestent pas craignant de ne pas être crues, d’exacerber encore plus la violence du partenaire, ou encore parce qu’elles ne réalisent pas être victimes de violences au moment où elles les vivent, comme cela peut être le cas chez les adolescents et les jeunes adultes.

En 2020, ce sont 97 % de femmes qui ont appelé le 39 19, parmi elles, 10 % étaient âgées de 18 à 25 ans. « Cela reste probablement en-deça du nombre de jeunes femmes victimes de violences dans le couple. On peut se demander si elles connaissent bien la ligne d’écoute », déclare Françoise Brié.

À défaut de se tourner vers les associations spécialisées ou les lignes d’écoute qui ont du mal à les cibler, les jeunes, et en particulier les jeunes femmes, consentent plus facilement à parler de leurs relations de couple, de leurs interrogations et difficultés sur des forums en ligne ou sur les réseaux sociaux. « Elles ne vont pas forcément y rencontrer l’écoute et l’aide de professionnels dont elles auraient besoin », relève Louise Delavier.

C’est la raison pour laquelle la jeune femme a cofondé l’association En avant toutes qui a créé le tchat Comment on s’aime conçu pour les jeunes sans distinction de genre ou d’orientation sexuelle. Ils peuvent s’adresser à des professionnels tout en restant sur un mode de communication écrit qui leur assure discrétion, anonymat et confidentialité.
« C’est en ayant un échange avec les professionnels du tchat que les jeunes se rendent compte qu’ils sont victimes de violences », explique Louise Delavier. « Lorsque les jeunes femmes s’interrogent sur leur couple, elles ne disent pas : " je suis victime de violences conjugales ", mais plutôt : " j’ai des problèmes de couple ", " mon copain est jaloux " ; " ses pratiques sexuelles me gênent " au lieu de " j’ai vécu un viol " ».

Sur les 4 900 tchats réalisés en 2021, les principaux utilisateurs ont entre 16 et 25 ans et sont à plus de 95 % des jeunes femmes, 3 % des utilisateurs étant des hommes. « La plupart des jeunes hommes que nous accompagnons subissent des violences de la part des hommes avec qui ils sont en couple », déclare Louise Delavier. La violence de la part de jeunes femmes existe également, en plus faible proportion : 22 cas de violences envers d’autres femmes et 7 cas de violences envers des hommes ont été relevés.

Les violences conjugales peuvent concerner tout le monde : les hommes, les femmes, les personnes hétérosexuelles, homosexuelles, transgenres, non-binaires… Il s’agit d’une emprise exercée par un membre du couple sur l’autre. Mais ce sont les femmes qui en sont majoritairement les victimes.

Cette emprise s’est installée peu à peu dans le couple qu’Agathe Breton formait avec Léo* entre l’âge de 16 et 19 ans. « Il y avait peu de choses que je pouvais faire seule », raconte la jeune femme. « Souvent, on entend dire qu’à la première gifle, il faut partir. C’est ce que j’ai fait, je suis partie au premier coup qu’il m’a donné. Mais avant ça, il s’est passé plein de choses que je n’assimilais pas à de la violence », explique-t-elle.

Couples adolescents : des violences psychologiques aux violences physiques

« Le problème, c’est que les campagnes de prévention illustrent les violences conjugales avec des coups, des bleus, des visages tuméfiés », déplore Agathe Breton. « Cela invisibilise complètement toutes les autres formes de violence. Si une personne se pose des questions sur sa relation et qu’elle voit ce type de communication, elle ne peut pas se considérer comme victime. »

La violence physique est la plus visible car elle peut laisser des traces (coups, étranglement, brûlures, bousculades, pincements…) mais les violences conjugales se manifestent de manières très diverses. Elles peuvent être verbales (insultes, cris, intimidation par des menaces chuchotées en présence d’autres personnes…), psychologiques (chantage, menaces, humiliations…), sexuelles (viol, agression sexuelle, contrainte pour faire quelque chose qu’on n’aime pas…), économiques et administratives (pression sur les aspects matériels, détournement de la bourse du Crous ou des allocations logement par exemple…).

« Ce sont des violences que tout le monde peut vivre. Chez les jeunes femmes on a constaté une surreprésentation des violences psychologiques, des violences sexuelles et des cyberviolences comme la cybersurveillance ou le revenge porn », déclare Louise Delavier.

Ce sont surtout des violences psychologiques et verbales qu’a subies Agathe Breton. « Il contrôlait tout ce que je faisais, me disait ce que j’avais le droit ou pas de faire, ma manière de m’habiller, les personnes avec qui j’interagissais, mes déplacements. Je devais constamment lui dire en temps réel par message ou par téléphone où j’allais, avec qui et pourquoi ». Pour justifier son comportement, Léo lui dit que c’est normal dans une relation de couple. « Il avait un an de plus que moi, je pensais qu’il savait de quoi il parlait », déclare Agathe Breton. Le jeune homme la rabaissait également devant les autres : « Pour lui, ce que je disais était moins intéressant ».

L’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte sont des périodes durant lesquelles les jeunes cherchent à prendre de l’indépendance vis-à-vis de leurs parents. Ils quittent parfois le foyer familial pour leurs études. Ils ne vont pas spontanément s’adresser à eux pour parler de leurs relations amoureuses. « Il y a très peu d’endroits en France où les jeunes peuvent questionner leurs relations pour savoir ce qui est sain ou non, c’est à ça que sert le site Comment on s’aime », souligne Louise Delavier. « Ils sont tributaires des représentations qui leur sont données dans les séries ou les médias. Si on fait un tour d’horizon, ce ne sont pas des représentations de relations très saines qui sont valorisées. Et c’est un problème ».

Il y a, par exemple, une romantisation de la jalousie qui est perçue comme une preuve d’amour. C’est ce qu’a pu constater Agathe Breton lorsqu’elle intervient dans des établissements scolaires pour faire de la prévention : « Beaucoup me disent " mais Madame, s’il n’est pas jaloux, c’est qu’il ne vous aime pas ". C’est souvent une certitude chez eux. »

Par ailleurs, de nombreux stéréotypes liés au genre sont encore très présents dans la société et bien souvent intériorisés par les jeunes. Par exemple, les filles sont douces, elles doivent être obéissantes et jouent à la maman tandis que les garçons, qui doivent affirmer leur virilité, jouent à la bagarre. Parfois, c’est dans le domicile familial que les jeunes voient des violences entre leurs parents ou subissent eux-mêmes des violences, ils intègrent ce qu’il s’y passe comme étant normal.

Violences dans le couple : les signes qui doivent alerter

De l’extérieur, les personnes autour peuvent se rendre compte que quelque chose ne va pas, que l’un des membres du couple est malmené. Mais quand on est dans ce couple, ce n’est pas évident car les violences s’installent progressivement et « il y a des sentiments amoureux », rappelle Agathe Breton. « Léo me disait qu’il m’aimait et trouvait toujours des justifications à son comportement. De mon côté, je me demandais constamment pourquoi il agissait ainsi, je lui trouvais des excuses. C’est difficile de garder son esprit critique. »

Un petit copain ou une petite copine qui a un double visage est un signe qui doit alerter. Les auteurs de violences conjugales sont manipulateurs, ils arrivent à faire culpabiliser et douter leur partenaire. « Léo était charmant avec les autres et avec mes parents, c’était le clown de service qui faisait rire tout le monde au lycée », confirme Agathe Breton. C’est aussi ce qui freine pour parler à son entourage des difficultés vécues au sein du couple.

Quand elle est partie pour ses études, la jeune femme a commencé à comprendre que quelque chose n’allait pas dans son couple. « Je faisais beaucoup d’allers-retours parce que c’était difficile pour lui de ne pas me voir au quotidien car on était dans la même classe au lycée. Les retrouvailles étaient toujours un peu tendues. J’adaptais sans cesse mon comportement pour éviter ou apaiser les tensions. Je me suis dit que ses réactions étaient très exagérées, qu’il était très jaloux et possessif et que c’était très énervant. Mais en même temps, je trouvais ça super mignon parce que ça montrait son attachement et son intérêt pour moi. »

Agathe Breton poursuit : « Je ne comprenais pas pourquoi je retournais vers lui. C’est comme si j’étais aimantée parce qu’il était impossible d’imaginer une vie dans laquelle il n’est pas ».

L’emprise exercée par le partenaire n’est pas de l’amour. « Cette emprise empêche la séparation, par le biais du chantage et des menaces. Or, quand on aime, on respecte l’autre », explique Françoise Brié.

La relation d’Agathe a été ponctuée de quelques séparations durant lesquelles le jeune homme lui interdisait de fréquenter quelqu’un d’autre alors qui lui-même avait profité de ces séparations pour voir une autre personne. « Lorsque je m’en suis aperçue et que je l’ai confronté, il était à court d’excuses et m’a fait du chantage au suicide. On était dans la cuisine, il a pris un couteau et s’est tailladé les veines et le cou. J’ai culpabilisé et arrêté d’être en colère parce qu’il a été hospitalisé une semaine ». Ce geste et cette hospitalisation n’ont pas amené Léo à s’interroger sur son comportement vis-à-vis d’Agathe. Et sans prise de conscience de la part de l’auteur des violences, on ne peut pas espérer un changement.

S’il y a bien un indicateur essentiel pour repérer si sa relation de couple est saine ou violente, c’est la peur. « Avec le recul, les premiers moments où je n’ai pas osé faire ou dire par peur de ses réactions auraient dû m’alerter », analyse Agathe Breton.

Lorsqu’on est en couple, il arrive de se disputer, de crier. C’est ponctuel, la dispute prend fin lorsque les deux membres du couple ont pu exprimer leur point de vue et trouvé un terrain d’entente. On est alors dans une relation égalitaire et équilibrée, où l’un ne domine pas l’autre. « La question du consentement se pose aussi lorsqu’on est en couple. On n’est pas obligé d’accepter des relations sexuelles si on n’est pas d’accord », rappelle Françoise Brié.

« Les derniers temps de notre relation, c’était très compliqué. Un soir, il a voulu regarder qui m’envoyait un texto, j’ai refusé de lui donner mon téléphone. Il m’a frappée une fois au visage. Je l’ai ramené chez lui. Et en sortant de la voiture, il était derrière moi, il m’a attrapée par-derrière, m’a soulevée et m’a étouffée. Jamais je n’aurais pensé qu’on puisse en arriver là. Ça a été un déclic pour moi », confie Agathe.

Les tentatives de contrôle et de domination précédent généralement les violences physiques. Il est important de questionner sa relation de couple, même si on ne se projette pas dans l’avenir avec son ou sa partenaire. « Il n’y a pas de honte à contacter les associations spécialisées ou les lignes d’écoute pour essayer de comprendre quelque chose sur sa relation de couple. C’est tout à fait utile et important car cela peut impacter les relations futures. Les professionnels de l’écoute ne portent pas de jugement », recommande Françoise Brié.

Il existe un outil pour se repérer, c'est le Violentomètre créé par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et de Paris, l’association En avant toute(s) et la mairie de Paris. Il été adapté pour les jeunes par le Centre Hubertine Auclert en présentant des situations qu'ils peuvent vivre au sein de leur couple (voir ci-dessous). « C'est outil est très parlant. Si j'avais pu y avoir accès lors de mon adolescence, il m'aurait énormément aidée », confie Agathe Breton.

Agathe Breton a un diplôme d’assistante sociale. Elle a écrit son livre C'est pas ça l'amour (Formbox Editions) pour aborder les violences amoureuses à l'adolescence. La jeune femme travaille aujourd’hui au sein de la Fédération nationale Solidarité Femmes. Elle a été suivie par une psychologue pour comprendre son histoire. « Lorsque j’ai rencontré un autre jeune homme, j’ai reproduis ce pour quoi j’avais été conditionnée par ma relation avec Léo. Je lui envoyais tout le temps des messages pour lui dire où j’étais, ce que je faisais. Et lui m’a dit que je n’avais pas besoin de faire ça », raconte-t-elle.

C’est important de rappeler qu’après avoir été victime de violences conjugales, on peut s’en sortir et vivre de belles relations par la suite. « Être victime de violences dans le couple laisse des traces qui mettent du temps à s’estomper. Lorsque je marche dans la rue et que je ne vois pas ce qu’il se passe derrière moi, ça peut être compliqué parce que c’est dans cette configuration que Léo a tenté de m’étouffer. À l’inverse, j'ai vécu des micro-victoires quand je prends le train et que je n’ai plus à envoyer de message pour dire " je suis montée dans le train ". Aujourd’hui, je dirais que je vais bien, je pense que le plus difficile est derrière moi et que j’ai passé les plus grosses étapes », déclare Agathe Breton.

*Agathe Breton a choisi de ne pas donner le véritable prénom de son ex-petit copain

 

Pour consulter le Violentomètre, cliquez sur ce lien ou sur l'image ci-dessous.

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Odile Gnanaprégassame © CIDJ
Article mis à jour le 17-02-2022 / créé le 17-02-2022