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Salomé Saqué : "J’ai pensé mon livre comme un outil pour renouer un dialogue intergénérationnel"

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La journaliste Salomé Saqué appelle dans son livre à une meilleure considération de la jeunesse.

Journaliste spécialisée en économie et écologie, Salomé Saqué s’est récemment attaquée à un autre domaine qu’elle connaît bien : la jeunesse. En découle le livre “Sois jeune et tais-toi” dans lequel elle démantèle un à un les reproches faits aux jeunes.

Si son livre s’ouvre sur la promesse de “changer le regard sur la jeunesse”, Salomé Saqué garde les pieds sur terre : elle ne prétend pas transformer le monde avec 277 pages. À travers cette enquête, la jeune journaliste de 27 ans a simplement souhaité interroger les clichés que l'on imputait à sa génération : “paresseuse”, “individualiste”, mais aussi sans "conscience politique"... À chacune de ces injonctions, la professionnelle de chez Blast y répond à la force d’exemples chiffrés, de rapports Insee et de témoignages des principaux concernés. Avec une certaine lucidité, elle revient sur la construction de "Sois jeune et tais-toi" (Éditions Payot) et sur les messages qu’elle souhaite transmettre.

Vous avez choisi comme titre un slogan de Mai 68 qui résonne avec votre propos ainsi qu’avec la période de mobilisation actuelle. Plus de cinquante ans après, quel parallèle peut-on faire entre les deux ?

Pour être parfaitement honnête, j’avais déjà le titre en tête avant d’écrire le livre, et je ne connaissais pas encore le slogan de Mai 68. Quand j’ai pris connaissance de cette expression, ça a renforcé mon envie de choisir ce titre-là. C’est aussi un clin d'œil aux personnes qui ont pu participer à ces événements, et qui sont parfois aujourd’hui nos critiques les plus virulents. Ce titre est une manière de leur rappeler qu’il y a quelque temps eux aussi ont pu ne pas se sentir écoutés, et qu’il serait judicieux de ne pas reproduire cela… Après, est-ce que les jeunes étaient moins écoutés avant par rapport à aujourd’hui ? Je ne me risque pas à ce parallèle-là. Ce qui est certain, c’est que le sentiment perdure.

En quoi la jeune génération serait-elle plus en rupture par rapport aux générations précédentes ?

Pour moi, la crise climatique est le caractère inédit du conflit générationnel actuel. Nous sommes inégaux face au dérèglement climatique, car les jeunes vont davantage subir les conséquences de l’urgence écologique que les plus âgés : dans le livre, je reprends une étude de la revue Sciences qui dit qu’un jeune qui est né en 2020 va subir sept fois plus de vagues de chaleur qu'une personne née en 1970. Nous sommes dépendants des décisions qui vont être prises aujourd’hui, car on ne pourra pas revenir dessus dans le futur. C'est pourquoi on a besoin que les plus âgés prennent en compte l’avenir qu’ils veulent laisser aux plus jeunes.

"Je suis fatiguée. Je suis terrifiée. Je suis furieuse. Et j'en ai assez. À ceux qui liront ceci. À ceux qui peuvent faire quelque chose. Je vous en supplie. Agissez." Anna, 17 ans, interrogée par Salomé Saqué

Emmanuel Macron disait : « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 ». Pour ce livre, vous êtes allée à la rencontre de ces vingtenaires. Sont-ils représentatifs de la jeunesse actuelle ?

Pour les rencontrer, j’ai d’abord passé un appel sur mes réseaux sociaux personnels, afin de prendre un peu la température et voir ce qui en ressortait… Mais je savais effectivement qu’il y avait un biais : ce sont des jeunes qui étaient volontaires pour répondre, et qui avaient souvent un intérêt pour l’écologie ou les thématiques abordées. Donc j’ai ensuite fait un travail de lecture d’études sociologiques sur la jeunesse en identifiant plusieurs catégories possibles. Je suis allée à leur rencontre, sur le terrain, parfois de manière aléatoire comme en trouvant au hasard un jeune serveur de café, et parfois de manière ciblée pour aller chercher des personnes que je ne côtoyais pas dans mon quotidien. C’est le cas des jeunes d’extrêmes droites, ou de ceux qui souffrent de maux spécifiques que je voulais décrire, comme l’écoanxiété, le fait de ne pas vouloir d’enfant… J’ai essayé d’avoir un panel le plus représentatif possible, même si j’ai conscience qu’il ne l’est pas totalement.

Qu’est-ce qui vous a surprise et/ou alertée lors de ces entretiens ?

Avant de les interroger, je pensais que mon pessimisme était personnel. Je me disais que c’était lié à ma trajectoire et que ma vision du monde était déformée par mon travail, qui touche à des sujets compliqués liés à l’écologie, la précarité, la montée de l’extrême droite… Mais j’ai été surprise de constater que ce désarroi est partagé par beaucoup de jeunes, y compris ceux qui ne sont pas forcément sensibilisés à ces questions. Il y a un ressenti global, une incapacité à projeter dans l’avenir lointain, et une sensation que le monde ne va faire que de se dégrader. Dans le livre, je cite une enquête qui dit que 74% des jeunes jugent l’avenir effrayant. Et parfois, ce désarroi peut prendre des formes beaucoup plus profondes : Santé Publique France a récemment dévoilé qu’un jeune sur cinq souffre de troubles dépressifs. C’est énorme !

Les interviews présentes dans votre livre dévoilent aussi des témoignages de jeunes désespérés et angoissés...

Je pense que j’étais obligée de passer par un constat assez dur. Je voulais rappeler à quel point le quotidien de beaucoup de jeunes (car ce n’est pas le cas de tous, certains vont très bien) est difficile, et à quel point ils ont peu d'outils pour s’en sortir. Après j’ai aussi voulu pointer ce qui allait bien, et surtout finir sur une touche positive dans laquelle j’appelle à une entraide intergénérationnelle. Je voulais souligner deux choses : dire aux jeunes qu’ils peuvent se mobiliser (car je suis persuadée que le meilleur remède, notamment pour l’éco anxiété, est l’engagement et l’action) et que leurs voix valent quelque chose. Ensuite, du côté des plus âgés, je voulais leur dire : écoutez-les, tendez-leur la main, et aidez-les de la meilleure manière que vous le pouvez. Je suis convaincue que tout n’est pas perdu, on a les moyens humains et matériels de créer une société meilleure.

Vous évoquez dans votre ouvrage le traitement médiatique acerbe que reçoit la jeunesse. Quel est votre devoir en tant que journaliste auprès de ces jeunes ?

Mon objectif a vraiment été d’apporter de la nuance sur la question de la jeunesse : je ne voulais pas avoir une défense aveugle des jeunes. À l’inverse, je souhaitais montrer qu’il y avait des contradictions, avec par exemple le témoignage d’une étudiante qui se moque de ce qui se passe autour d’elle. La partie sur les réseaux sociaux m’a aussi donné un peu de fil à retordre : je n’allais pas dire que ce sont les "meilleures pratiques culturelles qui existent", ou que les jeunes en font un "usage modéré". Il faut montrer le positif, et aussi le négatif !

Quels sont les premiers retours des jeunes à propos de “Sois jeune et tais-toi” ?

Les premiers retours des lecteurs sont très bons, mais j’imagine que les gens qui font la démarche d’acheter mon livre et de m’écrire sont gentils (Rires). Et cela me rassure, car j’avais peur que les jeunes ne se retrouvent pas dans un bouquin qui parle d’eux. Maintenant, j’aimerais qu’il y ait un déclic positif. Pour l’instant ce sont plutôt des jeunes qui achètent les livres. Parfois, ils les offrent à leurs parents, grands-parents... J’ai reçu des messages sur les réseaux sociaux de personnes qui me disent : “Mon fils m’a offert votre livre, et j’ai changé d’avis !”. J’aspire à ça, à ma petite échelle. Je ne dis pas que je vais révolutionner la France, mais je souhaiterais juste que l'on fasse plus attention aux autres. J’ai pensé mon livre comme un outil pour renouer un dialogue intergénérationnel, qu’on achète, qu’on offre, qu’on partage… Lors de dédicaces, je rencontre des jeunes qui viennent avec leurs familles. Ça me fait très plaisir, car je vois que le dialogue existe déjà : ils n’ont pas attendu mon livre pour ça !

Perrine Basset © CIDJ
Article mis à jour le 28-04-2023 / créé le 25-04-2023