Archive Des initiatives pour lutter contre la précarité menstruelle chez les jeunes

Odile Gnanaprégassame Odile Gnanaprégassame
Publié le 29-01-2021

En bref

  • La précarité menstruelle, vous en entendez parler, peut-être même la vivez-vous ? Sachez que des initiatives fleurissent pour venir en aide aux jeunes femmes et briser le tabou qui entoure les règles.
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Lutter contre la précarité menstruelle chez les jeunes Crédit : Annika Gordon - Unsplash

Après une expérimentation lancée en septembre dernier par la région Île-de-France dans une trentaine d’établissements, des distributeurs gratuits de protections menstruelles seront installés progressivement dans tous les lycées publics de la région. Cette initiative est la première à une telle échelle. Mais d’autres en France avaient déjà vu le jour dans des universités ou dans l’espace public. Pourquoi est-ce nécessaire ?

Beaucoup de femmes et de jeunes femmes, à travers la planète, ne vivent pas sereinement leurs règles parce qu’elles ne peuvent pas acheter de protections adaptées ou en quantité suffisante. Et aussi parce qu’il y a un tabou qui entoure ce phénomène naturel. Certaines femmes ne vont pas travailler ou ne vont pas en cours plusieurs jours par mois, d’autres utilisent des protections de fortune (papier toilette, tissus…) ou changent moins souvent de protection dans la journée. Et, bien souvent, elles n'osent pas en parler. Cela met en danger leur bien-être, leur santé et parfois aussi leur sécurité. En effet, dans certaines parties du monde, les femmes ayant leurs règles sont considérées comme impures plusieurs jours par mois. Avoir ses règles est source de discrimination pour les femmes. L’hygiène menstruelle fait d’ailleurs l’objet d’une journée mondiale le 28 mai, date symbolique puisque faisant référence au cycle menstruel de 28 jours et mai étant le 5e mois de l’année, ce chiffre correspond à la durée moyenne des règles chaque mois. 

La France n’est pas épargnée par la précarité menstruelle. Plus de 15 millions de femmes entre 13 et 50 ans sont concernées par l’achat de protections menstruelles, selon le rapport d’information sur les menstruations rendu par les députées Laëtitia Romeiro Dias et Bénédicte Taurine en février 2020. Il s’agit d’une dépense fixe et régulière qui ne relève pas du confort mais de la nécessité. Or, une étude réalisée par l’Ifop pour l’association Dons solidaires, révèle que 1,7 million de femmes en France manquent de protections hygiéniques. Parmi elles, des femmes en situation de grande précarité ou sans-abri auxquelles viennent en aide des associations comme Règles élémentaires. Mais il y a aussi des lycéennes et des étudiantes.

« La précarité menstruelle est un sujet dont les médias parlent beaucoup, je me souviens que Le Monde avait publié une série d’articles sur les règles », raconte Élise Michel. « J’ai réalisé que des étudiantes sont aussi concernées ». Avec deux amies, elles décident d’agir pour leur venir en aide à travers leur association MAY (Menstruation and you), créée il y a un peu moins de deux ans. « Nous sommes très préoccupées par le fait que chaque jeune femme puisse faire et réussir des études en ayant le choix. Avoir ses règles ne devrait pas entraîner de déscolarisation plusieurs jours par mois », souligne la jeune femme. L’association collecte des protections à destination des étudiantes. « Pour l’instant, nous les distribuons via deux associations étudiantes à Toulouse (AGEMP) et à Strasbourg (AFGES) qui sont en lien avec les Crous », explique Élise Michel. « Notre objectif est d’élargir ce réseau de distribution en lien avec les associations étudiantes. »

L’AFGES organise, tous les mercredis depuis le premier confinement, des distributions gratuites de produits alimentaires et d’hygiène à destination de tous les étudiants sur présentation de leur carte. Les protections collectées par l’association MAY sont proposées à cette occasion. « À côté de cela, nos épiceries solidaires disposent de protections gratuites accessibles aux bénéficiaires inscrits », déclare Léa Santerre, présidente de l’AFGES. « À terme, nous aimerions que l’État prenne en charge la précarité menstruelle. Nous souhaitons que l’université de Strasbourg installe des distributeurs gratuits de protections hygiéniques. Nous sommes en négociation, car cela représente un budget conséquent pour l’université. Nous proposons qu’il repose sur la CVEC. Et il faut se mettre d’accord sur beaucoup d’éléments : emplacement des distributeurs, accès avec un badge ou non... », ajoute-t-elle.

Convaincre leur université d’installer des distributeurs, c’est ce qu’ont réussi à faire des étudiants de l’association du cursus master en ingénierie de l’université de La Rochelle, avec le projet Primrose. « Dès février, si la situation sanitaire le permet, le campus va être équipé de 4 distributeurs gratuits de protections menstruelles, en accès libre au niveau des toilettes », annonce Clara, membre du bureau de l’association. « À terme, nous souhaiterions que ce projet ne repose pas uniquement sur des étudiants mais également de l’administration de l’université. L’initiative devrait être portée à un niveau national, les bâtiments publics devraient être équipés ».

Dans le Finistère, l’association Précarité Menstru’elles a été créée par des lycéennes soucieuses de venir en aide aux femmes en grande précarité. Elle récolte principalement des dons via une cagnotte en ligne. Les protections achetées sont distribuées à des associations comme le Secours catholique ou les Restos du coeur et lors de maraudes avec la Croix-Rouge. « C’est une publicité faite par une marque de protections qui m’a permis de réaliser que des jeunes filles rataient l’école car elles n’avaient pas de protections », se souvient Daphné, membre du nouveau bureau de l’association. Le précédent bureau avait essayé d’installer un distributeur dans le lycée, mais s’est heurté au refus du proviseur. « Nous avons mis en place une pétition pour faire accepter ce projet », déclare Daphné. Actuellement étudiante à l’université de Brest, elle projette aussi de coller des affiches sur la campus afin de sensibiliser les étudiants à la précarité menstruelle.

En attendant, l’association a passé un accord avec une entreprise bretonne qui fournit déjà des distributeurs de protections bio à des universités, des lieux publics et bientôt aux lycées d’Île-de-France. « La directrice accepte de nous livrer uniquement les protections bio ». C’est la même entreprise qui va fournir les distributeurs pour l’université de La Rochelle. 

« Ces distributeurs proposeront des tampons avec ou sans applicateur et des serviettes avec ou sans ailettes complètement bio et écologiques », annonce Clara. « Dans ce projet Primrose, nous sommes tous étudiants en sciences et sensibilisés aux questions environnementales. C’est important pour nous aussi d’encourager cette dimension écologique. C’est aussi une garantie pour la santé ».

« Nous préfèrerions acheter des protections bio, mais pour l’instant, nous n’avons pas les moyens d’une grande association. Nous achetons des protections des grandes marques afin de répondre au problème immédiat de la précarité menstruelle », remarque Elise Michel. L’association May réfléchit à un projet avec les bénéficiaires de l’épicerie solidaire de Strasbourg. « Nous aimerions bien que les étudiantes aient ce choix entre protection jetable et lavable. Le lavable et réutilisable a un double intérêt : elles ne seraient plus dépendantes de dons qui ne sont pas toujours constants, et en plus elles bénéficieraient d’un produit qui n’est pas nocif pour leur corps et qui est écologique pour la planète. »

« Avec toute la problématique des pesticides et autres produits contenus dans les protections, c’est vrai qu’on préférait opter pour du bio », affirme Léa Santerre. À la rentrée dernière, l’AFGES et le Crous ont organisé une distribution de protections lavables sur plusieurs campus. « Elles sont certifiées Oeko-Tex et permettent de tenir, non pas un ou deux cycles, mais plusieurs années », déclare la présidente de l’association. « Les retours des étudiantes sont positifs. Celles qui n’ont pas les moyens d’acheter des protections expriment leur soulagement. Et celles qui peuvent acheter des protections jetables mais pas de protections lavables en raison de leur coût élevé, ont saisi cette occasion pour en utiliser et ne plus avoir de dépenses liées aux protections. La dimension écologique entrait également en compte pour nombre de ces étudiantes », détaille la jeune femme.

Les femmes ont leurs premières règles plus tôt, à partir de 11-12 ans, et elles ont des cycles de 5 jours pendant 38 ans, en moyenne. Cela représente près de 11 500 protections menstruelles utilisées pour un coût allant de 8 000 à 23 000 euros au cours d’une vie ! 97% des 12-19 ans trouvent que les protections périodiques sont trop chères d’après un sondage Les petites Glo, la newsletter engagée qui a porté la campagne #StopPrécaritéMenstruelle et qui milite pour un accès libre et gratuit à des protections bio dans tous les collèges et lycées de France. « Nous estimons que les protections devraient être remboursées, en priorité pour les jeunes et les femmes dans le besoin et progressivement pour toutes les femmes », considère Élise Michel de l’association MAY. Comme toutes ces associations engagées contre la précarité menstruelle, MAY affiche aussi la volonté de briser le tabou des règles dans la société.  « Nous allons à la rencontre de lycéens et étudiants pour leur expliquer comment les règles fonctionnent, leur parler des maladies comme l’endométriose ou encore des risques comme le syndrome du choc toxique, qui sont peu connus. »

Depuis 2015, les serviettes et tampons sont taxés à 5,5 % contre 20 % auparavant. Un premier pas vers l’égalité. Car oui, il s'agit bien d'une question d’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Le Gouvernement a annoncé qu'il allait consacrer 4 millions d’euros supplémentaires pour lutter contre la précarité menstruelle en 2021, portant le budget à 5 millions d'euros.

 

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