- Enquête
Passer le DAEU en prison : une expérimentation pour assurer la continuité des cours
- Reprendre ses études
- Etudier sans le bac
Diplôme de niveau bac qui permet de poursuivre ses études dans l’enseignement supérieur, le DAEU peut aussi se préparer en prison. Après les confinements successifs et l’impossibilité de donner des cours en présentiel, l’idée d’équiper les détenus d’ordinateurs portables pour continuer à se former a émergé au centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône et est étendue aujourd’hui à toute la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Depuis avril 2021, une expérimentation est menée au centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône : prêter des ordinateurs portables aux détenus qui se préparent au DAEU (diplôme d’accès aux études supérieures). « L’idée a émergé après le premier confinement, en mars 2020 » explique Emeline Bonin, responsable locale de l’enseignement dans ce centre pénitentiaire. « Nous ne pouvions plus intervenir en détention. Nous avions des cours pour les détenus mais aucune possibilité de leur envoyer. Alors, nous avons réfléchi à un système pour garder le lien, malgré tout ».
Des ordinateurs pour assurer la continuité des cours en prison
Rester en contact. A la maison d’arrêt de Fleury Mérogis aussi, le premier confinement a été un coup dur pour les détenus. Pour Karine Marot, professeure de géographie, il s’est résumé à « 2 mois de chaos. Pour les étudiants à l’université, nous utilisions les mails pour garder le contact, mais en prison nous n’avions plus rien ». La crise sanitaire et ses confinements successifs a créé une vraie solitude. « On a enlevé des activités à des personnes qui étaient déjà confinées. C’était très dur » se souvient Emeline Bonin. Mais c’est aussi cette situation compliquée qui a permis d’accélérer le projet.
Qu’il s’agisse de cours en présentiel ou à distance, « l’accès aux ressources pédagogiques des détenus est limité. Ils y ont accès quand ils sont dans leur salle de classe, soit quelques heures par jour seulement » explique Mireille Baurens, chargée de mission détention et maîtresse de conférence à l’université de Grenoble Alpes. A Villefranche-sur-Saône, « nous avons quelques ordinateurs qui sont au sein de l’unité locale d’enseignement où les élèves viennent travailler en autonomie. Mais avec le confinement, nous n’étions plus présents, donc ils ne pouvaient plus venir réviser » explique Emeline Bonin. « On s’est alors dit qu’il faudrait qu’ils aient des ordinateurs en cellule ». Et ils l’ont fait. A Villefranche-sur-Saône, « nous sommes le premier site en France à avoir permis à 9 détenus qui préparent le DAEU d’obtenir un ordinateur en cellule » se félicite la responsable locale de l’enseignement. Les détenus ont alors accès à tous leurs cours à volonté, même en dehors des heures de classe.
Préparer le DAEU en prison
A Villefranche-sur-Saône, ce diplôme est préparé à distance en partenariat avec l’université de Grenoble Alpes et plus spécifiquement via le DAEU dit Sonate (solidarité numérique et attractivité territoriale). 11 universités en France se sont rassemblées pour proposer ce diplôme pour lequel, chacune d’elles fournit des cours sur une matière donnée. « Par exemple à Grenoble, nous fournissons du contenu sur les langues » explique Mireille Baurens. Dans ce DAEU, « toutes les ressources pédagogiques sont accessibles à distance à toute personne, où qu’elle soit en France. C’est un vrai diplôme de la 2e chance qui permet à des personne qui ont décroché à un moment de leur vie, de reprendre le chemin de la culture ».
Pensé, au départ, pour les personnes dites empêchées, c’est-à-dire qui n’ont pas accès à une structure pédagogique pour se former, c’est tout naturellement qu’il a été proposé aux détenus. Après tout, « qui est plus empêché qu’un détenu ? » martèle Mireille Baurens. En prison, le DAEU Sonate permet donc aux détenus d’avoir accès à l’ensemble des cours mais aussi « à des vidéos, des exercices autocorrectifs, de l’audio pour l’anglais… » détaille Emeline Bonin.
L’expérimentation étendue à toute la région Auvergne-Rhône Alpes
Pour Karine Marot, qui enseigne à la prison de Fleury Mérogis, l’accès à des ordinateurs, à internet ou, à minima, à un intranet devient incontournable pour les détenus. « Plus longtemps ils resteront enfermés, moins ils auront les codes de la société lorsqu’ils vont sortir ». Le prêt d’ordinateurs permettrait donc d’assurer la continuité des cours mais aussi de faciliter la réinsertion des détenus qui, pour certains, ne sont pas familiarisés avec les outils numériques. « J’en ai connu un qui n’avait jamais vu de smartphones de sa vie » illustre Karine Marot. Mais force est de constater que « beaucoup d’expérimentations ont déjà été menées pour leur donner accès à internet, mais on ne dépasse jamais le stade de l’expérimentation. Ça ne débouche jamais sur une loi qui pourrait changer le système » se désole la professeure de géographie.
Et pour cause, donner accès aux détenus à des ordinateurs, nécessite de former les équipes encadrantes en prison. « Ça prend beaucoup de temps » admet Emeline Bonin. « A Villefranche, en amont, nous avons beaucoup travaillé pour faire prendre conscience aux surveillants que l’école a un intérêt ». Car pour eux, faire suivre des cours aux détenus génère surtout une inquiétude face au mouvement que cela implique. En prison tout est très disciplinaire. Accompagner un détenu au sein de l’unité locale d’enseignement demande une grande vigilance pour éviter les débordements. Mais Emeline Bonin ne peut que constater que « sur l’année scolaire, nous n'avons eu que 2 incidents comme des bagarres entre détenus. C’est très peu ». Certains d’entre eux adoptent un comportement tout à fait correct en se rendant en cours. « Après tout, l’école reste une bulle d’oxygène pour eux. Certains surveillants remarquent d’ailleurs que lorsqu’ils viennent en cours, ils sont plus sereins » explique la responsable locale de l’enseignement.
Le premier ordinateur a été donné en avril 2021. Quasiment un an après, l’expérimentation va être étendue à toutes les prisons de la région Auvergne-Rhône-Alpes. « Il faut aller doucement pour éviter qu’il y ait le moindre souci et que l’expérimentation soit arrêtée » explique Emeline Bonin. Le prochain objectif est qu’elle soit étendue à d’autres diplômes comme les CAP. Mireille Baurens va même plus loin. « Aucune femme n’est inscrite à ce DAEU. Mais puisqu’il est complétement à distance, j’aimerais le proposer à toutes les femmes qui sont en détention. Ce sera mon combat de cette année ».
Marine Ilario © CIDJ
Article mis à jour le 15-02-2022
/ créé le 15-02-2022
Crédit photo : Sharon Mccutcheon - Unsplash