Reportage Crise dans les Ehpad : où en est l'emploi auprès des personnes âgées ?
En bref
- Début octobre, le gouvernement a lancé le plan "grand âge" qui intervient quelques mois après la mobilisation du personnel des établissements accueillant des personnes âgées. Si la qualité de prise en charge des résidents s’est beaucoup améliorée au fil des années, les conditions de travail en revanche se sont dégradées. Partout en France, les professionnels des EHPAD expriment leur ras-le-bol face au manque de moyens humains et financiers, parallèlement ils témoignent aussi de leur attachement très fort à ce métier qui leur apporte beaucoup. Etat des lieux de l'emploi auprès des personnes âgées et rencontre avec les pros…
Milieu d’après-midi dans un EHPAD public du 15e arrondissement de Paris, une altercation entre deux seniors éclate, le ton monte. L’un brandit sa canne, prêt à en découdre, sous le regard curieux d’une résidente assise, tenant sur ses genoux le sac à main qu'elle emmène partout avec elle. Pendant ce temps, dans le bureau de la psychomotricienne, un résident un peu bougon passe un test d’équilibre. Plus loin, deux résidents papotent popotes lors d’un atelier pâtisserie. A l’étage les aides-soignants s’activent, le goûter se termine c'est l'heure des soins d'hygiène. Tandis que plus bas, au rez-de-chaussée, une employée enquête sur le mystérieux vol de cigarettes qui a eu lieu la nuit dernière… Bienvenue à l’Ehpad Huguette Valsecchi, un établissement de la ville de Paris qui accueille 101 résidents.
Quand l’établissement a ouvert en 2015, une partie des résidents ont été transférés de l’Ehpad de Belleville, implanté dans un quartier populaire du nord-ouest de Paris, fermé alors pour travaux. Aux résidents bellevillois majoritairement masculins, plutôt valides mais souffrant pour certains de pathologies psychiatriques, s'est ajouté le public principalement féminin et âgé issu du cossu 15ème arrondissement. Le résultat donne un brassage étonnant autour duquel gravitent une centaine de professionnels, l’équivalent de 90 temps plein. "Bien loin de l’image de mouroir, l'EHPAD a été conçu comme un lieu de vie, d’accompagnement social et d’échange ouvert sur le quartier" explique Emmanuel Drouard le directeur adjoint de l'EHPAD, en nous faisant visiter les lieux. Bâtiment neuf, décoration moderne et jardin fleuri, on pourrait croire que la situation est au beau fixe.
" Un soignant pour dix résidents, c'est trop peu "
Pourtant, cette année et pour la première fois de sa carrière, le directeur adjoint a fait grève, par "solidarité avec les soignants". "On constate un vrai problème d’effectif en lien avec la diminution des subventions publiques commente Emmanuel Drouard En deux ans et demi que je suis là j’ai vu des suppressions et des gels de poste. Les postes au chevet, au plus près des résidents, sont ceux qui sont particulièrement touchés".
Ici, comme ailleurs, le ratio résident-professionnel est inquiétant. "Nous avons en moyenne un soignant pour dix résidents" comptabilise le directeur adjoint de l'EHPAD. Des statistiques guère mieux, si ce n'est pire, dans le privé.
Romain Gizolme, à la tête de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), va plus loin : "Si l'on compare à d’autres pays européens la moyenne est de 8 professionnels pour dix résidents".
Un manque de moyen qui se traduit par une véritable course contre-la-montre pour les équipes. "Un après-midi comme aujourd'hui, on est trois pour 34 résidents, c'est trop peu. On est obligé de courir or notre cœur de métier c’est justement de prendre le temps avec les résidents, de les écouter, d'être bienveillant" regrette Louis Rault, aide médico-psychologique (AMP) auprès des personnes atteintes de la maladie d'Alzeihmer à l'EHPAD Valsecchi.
Des besoins croissants
Sous l’effet de l’allongement de la durée de la vie et de l’avancée en âge des générations du baby-boom, la population française vieillit. En 2060, une personne sur trois aura plus de 60 ans, selon l'Insee.
"C'est un secteur d'avenir en terme de création d'emplois" assure Romain Gizolme directeur de l'association des directeurs au service des personnes âgées. D'ici à dix ans, 400 000 emplois soignants (infirmiers, aides-soignants, psychologue...) seraient à pourvoir selon le Synerpa, le syndicat des établissements et résidences privés pour personnes âgées . Le nombre de recrutement devrait aussi aller croissant en hôpital, en établissement public ou au domicile des personnes âgées.
Les professions de la filière médico-sociale ou sociale (assistant de service social, animateur socio-culturel...) pourront aussi tirer leur épingle du jeu.
"Les besoins auprès des personnes âgées augmentent remarque Romain Gizolme de l'AD-PA. Avec l'arrivée d'une nouvelle génération de seniors, celle qui a fait mai 68, les attentes et les exigences évoluent aussi."
Des initiatives alternatives
Pour accueillir les personnes vieillissantes, certaines initiatives alternatives commencent à émerger sur le territoire. En Haute-Loire, à Tence, Jacqueline Decuiltis a créé une colocation pour senior. "L’idée m’est venue alors que je réfléchissais à la façon dont j’aimerais moi-même vieillir" se souvient cette ancienne infirmière. "J’ai eu envie d’un accueil à taille humaine et d’une ambiance familiale".
Après l’achat d’une maison et quelques mois de travaux, la maison Marguerite ouvre ses portes. L’endroit accueille aujourd’hui six résidents et emploie l’équivalent d’un temps plein et demi pour gérer l’intendance, les courses, les repas et le linge. L’idée a fait des petits et Jacqueline Decuiltis a depuis été contactée à plusieurs reprises par des personnes souhaitant se lancer dans des projets similaires. Mais ce qui pèche dans le secteur c'est aussi le manque de candidats.
Les formations peinent à faire le plein
Méconnu, dévalorisé, bourré d'a priori, le secteur peine à attirer les jeunes actifs malgré des besoins réels. Le poste à temps partiel qu’occupe actuellement Anaïs Guilloton, 23 ans, psychomotricienne contractuelle au Centre d'action sociale de la ville de Paris (CASVP) était inoccupé depuis plusieurs mois. "Nous rencontrons des difficultés de recrutements notamment sur les fonctions paramédicales" confirme Emmanuel Drouard, directeur adjoint en EHPAD.
Le premier verrou à faire sauter pour Romain Gizolme, directeur de l'AD-PA est "la discrimination liée à l’âge dans une société où l'on ne valorise que ce qui est jeune, beau, dynamique".
Dans l’aide à domicile où près des trois quarts des publics sont des personnes âgées, il n’y a jamais eu autant de besoins. "Plus de 5 000 offres d’emploi sont à pourvoir dans les associations de la branche d'aide, d'accompagnement, de soins et services à domicile sur l’ensemble du territoire" explique Anne-Sophie de Poulpiquet, responsable des recrutements à l'union ADMR, l'une des structures de l'union syndicale des employeurs de la branche de l'aide à domicile (USB). Les offres, répertoriées sur le site "Coeur Emplois" concernent principalement des postes d’auxiliaire de vie sociale, d'aide-soignant et d'aide à domicile. "Nous recherchons des profils avec ou sans diplôme. Au-delà des qualifications ou de l’expérience, nous recherchons surtout des qualités humaines" souligne-t-elle.
Dans le secteur, 95% des personnes formées trouvent un emploi six mois après. Pourtant les formations peinent à faire le plein et les candidats qui s’y lancent abandonnent parfois en cours de route. Dans plusieurs régions, le nombre de candidats aux concours des instituts de formation d'aides-soignants (IFAS) baisse de près 30%, révèle le quotidien le Monde. "On ne choisit pas ces métiers par hasard, il faut une réelle empathie, beaucoup de patience et une grande capacité d’écoute remarque Emmanuel Drouard, directeur adjoint Ce sont des métiers porteurs de sens, au cœur de la relation à l'autre mais qui peuvent être éprouvants".
Epuisés, les professionnels des EHPAD y laissent parfois leur santé
Aujourd'hui les seniors entrent plus tard en EHPAD , vers 85 ans environ. Ils sont de plus en plus dépendants et ont besoin d'un accueil médicalisé. Pour les professionnels au chevet, les tâches sanitaires se multiplient. Si les bâtiments sont de mieux en mieux aménagés en conséquence (chambres et douches individuelles, élévateur de personnes, chambre équipée d’un rail…) cela n'empêche pas le personnel, en sous-effectif, d'y laisser parfois sa santé.
"C’est le seul secteur d’activité où les accidents du travail ont augmenté" alerte Romain Gizolme, directeur de l’AD-PA. Selon un rapport de l'assurance maladie, le secteur de l'aide et des services à la personne totalise 94,6 accidents du travail pour 1 000 salariés, c'est trois fois plus que la moyenne. Un taux qui dépasse même le secteur du BTP.
"On doit régulièrement faire face à des reclassements souligne Emmanuel Drouard, directeur adjoint en EHPAD Notre responsable des admissions est une ancienne soignante qui ne pouvait plus continuer suite à des problèmes de dos".
Aux difficultés physiques, s'ajoutent d'autres types de difficultés : "Même si c'est un public qui nous apporte beaucoup, être au contact d'une population vieillissante, parfois très anxieuse et angoissée n'est pas toujours facile." prévient Anaïs Guilloton, psychomotricienne.
Du côté du secteur associatif de l'aide à domicile, confronté aux mêmes problématiques, des mesures ont été prises pour prévenir les risques psycho-sociaux : "l'USB-domicile a mis en place une plateforme d'écoute et de soutien téléphonique 24h/24 à destination de l'ensemble des salariés" explique Anne-Sophie de Poulpiquet, responsable des recrutements à l'ADMR, réseau associatif de services à la personne.
"Le sentiment de ne pas pouvoir consacrer autant de temps qu'on le souhaite aux patients peut aussi être une vraie source de frustration" ajoute Louis Rault, aide médico-psychologique. Aujourd'hui âgé de 38 ans, celui qui a commencé comme aide à domicile auprès d'une personne âgée quand il n'en avait que 18 sait qu'il n'exercera pas ce métier toute sa vie. "Je connais mes limites, c’est un métier qui peut être épuisant physiquement et psychologiquement. Heureusement il y a la solidarité et l’entraide entre les collègues qui compensent".
Mi-avril, le chef de l'état a annoncé vouloir "changer les choses" sur la question des EHPAD. Les professionnels du secteur attendent à présent les mesures de fond qui en découleront. En attendant Louis Rault retourne auprès de ses seniors en charentaises, exercer ce métier dont il est fier.
[Reportage vidéo] Mon quotidien dans un EHPAD parisien